18. La princesse disparue
Arthur leva son arme pour parer le coup. Les lames en bois s'entrechoquèrent. D'un mouvement circulaire, le jeune homme dévia l'épée de son adversaire. Il s'avança pour contre-attaquer, recula à nouveau, glissa sur un pavé humide et s'écroula dans le tas de neige qui restait dans un coin de la cour, effrayant une petite poule qui décampa en caquetant avec indignation.
- Tu serres trop ton épée, fit remarquer Louis qui, contrairement à Arthur, était à peine essoufflé.
Il lui tendit la main pour l'aider à se relever.
- Il faut garder plus de souplesse dans le poignet.
- Plus facile à dire qu'à faire, grommela le jeune homme en époussetant ses vêtements.
Plusieurs semaines s'étaient écoulées depuis son arrivée à Mundus. Arthur s'était parfaitement adapté à sa nouvelle vie. Une sorte de routine s'était mise en place. Fidèle à la promesse qu'il s'était faite lors de l'attaque des ominosi, le jeune homme avait entrepris d'apprendre à combattre. Charles et Louis d'Aspignan, qui entraînaient tour à tour Robert, avaient accepté de devenir ses professeurs et s'étaient heureusement révélés plus pédagogues que l'apprenti chevalier.
- Tu as fait cependant beaucoup de progrès, reprit Louis en faisant tourner son épée. Prêt pour une nouvelle manche ?
Arthur se mit en position de garde, revigoré par le compliment. Il savait bien qu'il ne parviendrait jamais à égaler l'adresse de Louis et Robert qui s'entraînaient depuis qu'ils avaient l'âge de tenir une épée, mais il ambitionnait d'apprendre suffisamment pour pouvoir se défendre.
Un hennissement détourna soudain leur attention. Interrompant leur début d'action, ils observèrent Robert passer au grand galop à une vingtaine de mètres de là, brandissant une longue lance. L'apprenti chevalier recula le bras avant de propulser son arme qui se ficha en plein cœur d'un mannequin en paille dressé au milieu de la cour.
Robert tendit en avant sa main désormais libre en direction d'un second mannequin qui se trouvait quelques mètres plus loin.
- Ignis ! cria-t-il avec détermination.
Il y eut un vague « pschitt » et un pâle rayon bleuté sortit de sa paume avant de disparaître aussitôt sans laisser aucune trace.
Louis fit une grimace.
Robert poussa un juron sonore en descendant de son cheval. Il se dirigea vers eux, de mauvaise humeur.
- Je n'arrive à rien avec le feu, grogna-t-il, excédé. Tout ce que je parviens à obtenir c'est cette lumière bleue complètement immatérielle ! Vous pouvez me dire en quoi cela pourrait être utile dans un combat ?
Il retira son heaume d'un geste rageur.
- Ça viendra avec le temps, assura Louis. Moi aussi j'ai eu beaucoup de mal à maîtriser ce pouvoir.
- Tu arrivais à produire des flammes bien avant ton adoubement, remarqua l'apprenti chevalier d'un ton amer. Je crois que je devrais renoncer définitivement à utiliser la magie...
Louis et Arthur échangèrent un regard derrière son dos. L'arrivée de la petite Catherine les dispensa de répondre.
- Mère dit que le repas va être servi, déclara-t-elle d'un ton solennel.
- Nous arrivons, répondit son frère aîné en laissant tomber son épée en bois.
Les trois jeunes hommes retirèrent les gantelets et plastrons qu'ils utilisaient lors des entraînements. Robert continuait à fulminer et se dirigea à grands pas vers le donjon sans attendre personne.
- Robert a toujours eu du mal à accepter l'échec, commenta Louis. Il se focalise sur ses médiocres compétences magiques alors qu'il est par ailleurs un excellent combattant, meilleur que moi et même que notre père.
Arthur comprenait la frustration de son ami, mais ne pouvait s'empêcher de penser qu'il exagérait peut-être un peu. Lui-même aurait donné n'importe quoi pour être capable de maîtriser de la magie, même s'il devait se contenter d'émettre de la lumière colorée, tel une guirlande de sapin de Noël.
Le jeune homme fut parcouru d'un brusque frisson. A présent qu'il était inactif, il ressentait davantage le froid de cette fin d'hiver. Le temps commençait cependant à s'améliorer. La neige, qui avait régné sans partage sur le paysage pendant des semaines, perdait jour après jour du terrain. Arthur avait vu aujourd'hui pour la première fois une pousse verte émerger entre deux pavés inégaux. Cette découverte l'avait réjoui. Il avait tant hâte de pouvoir se mettre enfin en route.
A son grand dépit, le messager qui avait bravé les éléments pour gagner la cour royale était revenu bredouille. Personne là-bas ne semblait avoir jamais entendu parler d'un Arthur Montnoir.
Cela n'avait ébranlé en rien les convictions de Robert.
- Tu es peut-être connu là-bas sous un autre nom, avait-il affirmé d'un ton certain à son ami. Après tout, comment pourrais-tu être sûr de bien te nommer Arthur puisque tu as perdu la mémoire ?
- Parce que les illusions de ma sœur et de mes parents m'ont appelé comme cela ?
- Hm...Oui...Bon...Enfin... Tant que tu n'y seras pas allé en personne, tu ne pourras être certain de rien.
Arthur avait pour sa part cessé de croire à l'hypothèse qu'il puisse être issu d'une famille d'ambassadeurs. Il souhaitait cependant toujours parcourir Mundus. La sensation qu'il avait ressentie sur Terre de ne pas se trouver à l'endroit où il aurait dû être continuait à le tarauder. Il ressentait un puissant besoin d'action que la fatigue des entraînements ne parvenait pas à endiguer. Ce n'était assurément pas en restant enfermé au château d'Aspignan qu'il parviendrait à retrouver ses souvenirs.
Une délicieuse odeur les attendait dans la grande salle du donjon. Le jeune homme s'assit à sa place habituelle le long de la longue table en bois. Il raffolait de la nourriture mundussienne. Chaque plat était assaisonné de subtils mélanges d'épices qui donnaient au moindre aliment une saveur toute particulière.
Obert, le vieux mage ridé et sourd comme un pot qui servait la famille d'Aspignan était déjà en train de remplir copieusement son assiette d'un air gourmand. On racontait qu'il habitait déjà le château à l'époque de l'arrière-grand-père de Robert. Arthur ne l'avait jamais vu pratiquer la magie et doutait un peu de ses capacités.
- Quelle histoire allons-nous entendre aujourd'hui ? demanda Charles lorsque tout le monde se fut servi.
Les Aspignan avaient une coutume qu'Arthur appréciait beaucoup. A chaque repas, l'un des membres de la famille ou un invité extérieur était invité à raconter une aventure réelle ou imaginaire.
Jeanne se révélait la plus habile à cet exercice. Elle avait passé son enfance à la cour du roi où elle avait pu entendre de multiples récits.
- Mère pourrait nous conter une nouvelle fois la légende de la princesse disparue, réclama ce jour-là Catherine.
Jeanne lui sourit et commença à parler.
- Ce n'est pas une légende, mais une histoire vraie. Il y a de cela plus de vingt ans, alors que j'étais toute jeune fille, la princesse Junie, fille de la reine des elfes blancs, disparut sans laisser de trace. Elle n'avait qu'un an ou deux mais était promise à un grand avenir. En tant que fille unique elle succéderait un jour à sa mère comme souveraine de l'un des royaumes les plus puissants de Mundus. La reine Flavie, désespérée, lança de grandes recherches dans le monde entier et alla même jusqu'à demander de l'aide aux humains, ce que les elfes répugnent pourtant à faire. Elle promit d'exaucer le souhait, quel qu'il soit, de celui ou celle qui lui ramènerait la princesse disparue. Attirés par cette récompense, de nombreux aventuriers remuèrent le ciel et la terre pour retrouver la petite fille. En vain. A ce jour, on ignore toujours ce qu'elle est devenue.
- Quel genre de récompense pourrait offrir la reine Flavie ? demanda Blanche en se servant dans un nouveau plat que l'un des serviteurs venait d'apporter.
- Le royaume des elfes regorge de richesses fabuleuses. La reine est également dotée de puissants pouvoirs magiques. Que lui demanderais-tu, Blanche ?
- De me rendre aussi forte qu'un homme pour que je puisse devenir moi aussi un chevalier !
- Pff, ridicule, protesta Robert que le repas semblait avoir remis d'aplomb. Moi je lui emprunterais ses meilleurs guerriers pour trouver la forteresse d'Athanasios, la prendre d'assaut, tuer le Prince noir et délivrer Charlotte. Et toi, Arthur ?
Son ami haussa les épaules.
- Je lui demanderais bien évidemment de m'aider à retrouver mes souvenirs grâce à sa magie. Mais j'imagine qu'il est aussi compliqué de retrouver la princesse disparue que ma mémoire...
Cette simple constatation le déprima. La nouvelle bouchée qu'il avala lui parut bien moins savoureuse. Alors que les autres convives terminaient les plats avec bon appétit, il laissa la moitié de son assiette intacte.
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