16. Le passage secret


— ...Mais ensuite, personne n'a semblé la prendre au sérieux, acheva Arthur.

Ils étaient partis pour Aspignan dès le levé du jour, montant deux roncins prêtés par l'écurie de Beaumont. Arthur avait ignoré jusqu'à présent être capable de faire de l'équitation. Il avait eu un moment d'hésitation, perché au sommet de son montoir, à côté d'un cheval qui lui semblait fort haut. Mais, sitôt les étriers chaussés, diriger sa monture lui avait semblé relativement naturel. Si son esprit avait été vidé de sa mémoire, son corps devait avoir conservé quelques souvenirs. Il était loin d'avoir l'aisance du cavalier émérite qu'était Robert mais, jusqu'à présent, il était parvenu à ne pas tomber de sa selle. Du moins pas encore.

L'apprenti chevalier se mordit la lèvre, hésitant.

— Tu sais, dit-il, si personne n'a accordé de crédit à cette vieille femme, c'est sans doute pour une bonne raison. Mon oncle Philippe m'a déjà dit plusieurs fois que la prédiction de l'avenir était la branche de la magie la plus incertaine. On y rencontre bien plus de charlatans que de réels voyants.

— Peut-être, insista Arthur. Mais, tout de même, j'ai eu l'impression...

Le jeune homme ne termina pas sa phrase, ne sachant pas bien comment exprimer ses pensées. Il avait conscience du fait que son ami se montrait très sceptique, non sans raison. Sans doute devrait-il lui-même mettre les paroles de la vieille servante sur le compte de la folie ou de la sénilité, sans pourtant parvenir à s'y résoudre.

— Et cette Jeannette, demanda-t-il pour changer de sujet. Tu ne trouves pas que son comportement était étrange ?

— Si, si, concéda Robert d'un air tout aussi peu convaincu. Mais, si elle te connaissait réellement, pourquoi le nier ?

— C'est ce que je n'arrive pas à comprendre, reconnut son ami.

— Et quelle est la probabilité que tu tombes dès ton arrivée à Mundus sur une personne sachant qui tu es ? Je sais que tu as envie de découvrir ton identité, mais...

— Ce ne serait pas si incroyable, le coupa aussitôt Arthur avant de s'entendre dire qu'il se faisait des idées. Cette personne habite dans le château abritant l'une des portes intermondiales. J'ai les connaissances d'un Terrien, mais j'ai probablement également des liens avec Mundus, comme le prouve l'attaque des ominosi ou le fait que je sache faire de l'équitation. Il est donc envisageable d'imaginer que je puisse déjà être passé d'un monde à l'autre, notamment par la porte de Versailles. J'aurais pu tomber sur Jeannette au cours de l'un de ces voyages.

Il avait eu le temps de réfléchir à tout cela pendant sa nuit d'insomnie.

— Les Terriens aussi montent à cheval, le contra Robert qui avait visiblement décidé, pour une fois, de jouer le rôle de la voix de la raison. J'ai déjà vu cela dans un film.

— Oui, bon, d'accord. Mais pas de manière aussi fréquente que sur Mundus.

— Et les serviteurs de Beaumont ne sont pas au courant de l'existence du passage, continua l'apprenti chevalier comme s'il n'avait pas été interrompu. Si tu avais déjà emprunté cette porte, Henri de Folleville ou Sigebert t'auraient reconnu.

Arthur n'avait pas osé lui parler de l'étrange réaction qu'il avait cru lire sur le visage du gardien de Versailles, craignant d'achever de passer pour complètement paranoïaque. Robert n'avait cependant pas tout à fait tort et Sigebert de Beaumont n'avait eu aucune réaction particulière en le voyant.

— Cette Jeannette est donc réellement très myope, la pauvre femme, conclut l'apprenti chevalier d'un ton catégorique.

Arthur ne répliqua rien, n'ayant pas d'autres arguments à apporter. Il restait néanmoins persuadé que la jeune servante était plutôt une très mauvaise menteuse...

Les flocons avaient cessé de tomber au petit matin et le soleil avait timidement fait son apparition. Il éclairait à présent de ses rayons étincelants le manteau de neige immaculé qui recouvrait généreusement le paysage. Les chevaux trottaient à bonne allure sur une route vallonnée qui serpentait au milieu d'une forêt de sapins blanchis.

Arthur emplit ses poumons de l'air froid qui lui picotait les narines. Robert avait raison. Mundus sentait bien meilleur que la Terre.

Le chemin déboucha sur une petite colline à l'horizon dégagé.

— Voilà le château et le village d'Aspignan, annonça solennellement Robert.

Arthur suivit la direction qu'il indiquait.

Le château était en vue, perché au sommet d'une motte de terre. Le jeune homme était encore trop loin pour en examiner tous les détails mais pouvait déjà apercevoir de larges murailles ainsi qu'un donjon sur lequel flottait une bannière. Il ne discernait du village que de lointaines habitations aux cheminées fumantes.

Robert se dandina sur sa selle, soudain mal à l'aise.

— Il faut que je te dise...Ma famille est de souche très ancienne, mais nos revenus actuels sont loin d'égaler ceux de nos ancêtres. Sans compter que notre contrée a été rudement affectée par les événements provoqués par Athanasios et le Prince noir. Ne t'attends donc pas à vivre dans le luxe...

Il regarda son ami avec une certaine inquiétude, comme s'il s'attendait à ce que ce dernier s'exclame : « Quelle localité mal entretenue ! Je rentre immédiatement sur Terre ».

— C'est un endroit magnifique, assura très sincèrement Arthur.

De là où ils se trouvaient, les habitations ressemblaient à de petites maisons en pain d'épice saupoudrées de sucre glace. Les environs semblaient si paisibles qu'il était difficile d'imaginer que de rudes combats aient pu avoir été menés ici.

Les roncins entamèrent la descente et le jeune homme s'accrocha d'une main à sa selle, craignant de glisser. Au fur et à mesure de leur avancée, Arthur commença à mieux comprendre ce que Robert avait voulu dire. Il était indéniable que le village avait souffert. Les deux maisons les plus à l'écart avaient été incendiées et ne subsistaient plus que sous la forme de ruines calcinées recouvertes de neige. Un vieux moulin avait perdu sa roue qui gisait à même le sol, brisée en plusieurs morceaux.

Quand ils se furent approchés encore davantage, le jeune homme distingua de minuscules silhouettes en train de se regrouper à l'entrée du village.

— Nous sommes attendus, lança joyeusement l'apprenti chevalier.

Il lança son cheval au galop et dévala la pente. Arthur s'efforça de le suivre tant bien que mal.

Leur comité d'accueil était visiblement composé de villageois et de serviteurs du château. Une petite fille d'une dizaine d'années à la chevelure blonde se démarquait au milieu d'eux par la qualité de ses vêtements. Elle était vêtue d'une longue robe de velours bleu serrée par une ceinture de perles et aux manches interminables qui traînaient négligemment dans la neige humide.

Sitôt arrivé, Robert se laissa glisser de sa monture et enlaça la petite fille avec affection.

— Je me doutais bien que tu serais là.

— Bien évidemment.

La fillette lui rendit son étreinte puis regarda Arthur avec méfiance.

— Qui est-ce, celui-là ?

— Celui-là c'est Arthur, mon ami. Arthur, je te présente ma petite sœur, Blanche.

— Enchanté, lança poliment le jeune homme qui reçut en retour un signe de tête un peu hautain.

Robert examina la robe tachée de sa sœur avec réprobation.

— Tu vas encore te faire réprimander par notre mère, la gronda-t-il.

Blanche haussa les épaules avec une royale indifférence.

— J'avais hâte de te voir, dit-elle simplement. Dis, et si nous prenions le passage secret ?

— Excellente idée !

L'apprenti chevalier confia les rennes de son cheval à l'un des serviteurs, tout en lui recommandant de prendre bien soin du sac qui était attaché à la selle. Puis il commença à escalader la motte qui menait au château.

Arthur observa avec circonspection la pente recouverte de neige, se demandant si tout cela était bien avisé. Mais Blanche avait déjà bien entamé l'ascension, malgré sa longue robe traînante qu'elle salissait un peu plus à chaque mouvement. Et le jeune homme ne pouvait s'empêcher d'être curieux.

— Un passage secret ? répéta-t-il avec intérêt.

Il s'accrocha à un arbre pour commencer à se hisser le long de la motte. La pente était assez raide et la neige glissante. Le jeune homme dut s'aider de ses mains à plusieurs reprises pour s'agripper à des racines. Il progressa tant bien que mal, évitant de regarder vers le bas.

— Ce passage a été mis en place par nos ancêtres, il y a plusieurs siècles de cela, pour servir d'évacuation d'urgence en cas de siège du château, expliqua Robert. Regarde !

Arthur suivit la direction indiquée par son ami et vit un rocher percé de trois trous faisant la taille d'une tête.

— Est-ce le passage ? s'étonna-t-il. Comment peut-on y entrer ? C'est bien trop étroit !

— Ces trous servent de puits de lumière, le rassura Robert. L'entrée est quelques mètres plus loin. Nous y sommes presque.

Le jeune homme regarda autour de lui sans rien remarquer d'inhabituel. Ce n'est que lorsque Blanche disparut brusquement qu'il remarqua un autre trou dans le sol, bien plus vaste. Il s'en approcha prudemment. L'entrée semblait être creusée dans de la roche et s'enfonçait sur environ trois mètres. La paroi était raide. La petite sœur de Robert semblait n'en avoir été nullement gênée et était déjà en train de s'engager plus loin dans le passage.

— Passe le premier, offrit Robert avec un geste gracieux. Blanche, attends nous !

— Cessez donc de lambiner, répliqua la fillette sans tenir compte de son injonction.

S'efforçant de faire abstraction du vide, Arthur s'agrippa fermement au bord de l'ouverture et fit descendre l'une de ses jambes jusqu'à trouver un appui. Il engagea alors son autre jambe et l'un de ses bras. A force de descendre petit à petit, le jeune homme finit par toucher le sol. Il s'écarta pour que son ami descende à son tour. Robert le suivit avec bien plus d'aisance et de rapidité.

La suite du passage se révéla heureusement plus praticable et montait en pente douce.

— Vous n'avez pas peur que des brigands ou des assaillants utilisent le passage pour s'introduire à l'intérieur des murailles ? s'inquiéta Arthur.

— Il faut vraiment connaître l'entrée du souterrain pour réussir à la trouver, répondit l'apprenti chevalier. Et la sortie est gardée par une porte ensorcelée. Nous n'allons pas tarder à l'apercevoir.

Comme Robert l'avait annoncé, le passage se terminait sur une porte en bois massif, faiblement éclairée par un puit de lumière. Un motif en bronze s'étendait sur l'ensemble du battant tout autour de la serrure. Il représentait un arbre aux branches noueuses garnies d'une trentaine de petites feuilles.

— Une très ancienne magie a été lancée sur cette porte, il y a des siècles de cela, continua Robert. Elle résiste à toute tentative d'effraction et ne peut être ouverte que par des clefs très spécifiques. Chaque membre de la famille en reçoit une le jour de ses sept ans. Elles se transmettent ensuite de génération en génération. Nous devons avoir notre exemplaire en permanence sur nous.

Il tira de sa poche une tige en fer travaillée en forme d'ours se terminant par un panneton double qu'il fit tourner dans la serrure.

Le tronc de l'arbre s'illumina d'une lumière dorée qui se répandit le long des branches jusqu'à atteindre les feuilles. Ces dernières se mirent à pivoter les unes après les autres. Il y eut un bruit sourd et le pêne se débloqua.

— Rien que pour ce spectacle cela vaut la peine d'emprunter le passage secret, confia Robert. Après la remise de ma clef, je l'utilisais au moindre prétexte, malgré les remontrances de mon père qui craignait que le sort ne finisse par s'user. Depuis, je suis devenu raisonnable.

Il poussa un soupire résigné.

Arthur trouvait également ce sortilège  impresionnant, bien qu'un peu trop lent et visible pour un passage secret censé servir en cas d'urgence...

Blanche appuya sur le battant qui s'ouvrit lentement. Juste avant de franchir le seuil, Robert se tourna vers Arthur avec un grand sourire.

— Bienvenue à la maison.

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