14. Mundus
Arthur ne savait pas très bien à quoi il s’était attendu en passant le seuil de la porte. Probablement pas à ressentir ce froid mordant qui le transperça jusqu’aux os. Il avait l'impression d'avoir été propulsé la tête la première dans un bac d'eau glacée. Serrant les dents, le jeune homme fit un nouveau pas en avant et émergea dans une vaste crypte voûtée plongée dans la pénombre. La seule lumière provenait d'un puits de jour positionné au centre de la pièce circulaire. Lorsque ses yeux se furent adaptés à l'obscurité, il remarqua que des blocs de pierre sculptés étaient positionnés entre de larges colonnes. Des personnes semblaient dormir sur chacun d'entre eux. En s'approchant de plus près, Arthur constata qu'il s'agissait en réalité de statues peintes d'un grand réalisme par leur taille et leur forme.
S'arrachant à ce spectacle assez lugubre, il fit un tour sur lui-même et nota que la porte du côté mundussien n'avait rien à voir avec celle de Versailles. Il n'y avait ici aucune trace de toutes les fioritures dorées, remplacées par de grossiers panneaux en bois. L'ouverture donnait en revanche sur le même néant.
Il entendit un juron amplifié par la profondeur de la crypte et, l'instant d'après, Robert surgit à son tour de la porte, son baluchon sur l'épaule.
— Le passage n'est pas très agréable, n'est-ce-pas ? commenta l'apprenti chevalier avec une grimace.
— C'est le moins qu'on puisse dire, frissonna son ami.
Il ne faisait guère plus chaud ici et il observa à nouveau la salle avec une grande curiosité.
— Où sommes-nous ?
— Dans la nécropole familiale du château de Beaumont. Tu vois le troisième gisant en partant de la droite ?
Il désigna l'un des blocs sur lequel la statue allongée représentait une femme vêtue d'une longue robe verte.
— Il abrite la dépouille de ma grande-tante Isabeau. Elle est la mère de l'actuel seigneur du lieu, qui est par ailleurs le gardien de ce côté de la porte intermondiale. Le château d'Aspignan n'est qu'à quelques lieues d'ici. Nous nouons régulièrement des alliances avec les Beaumont. L’un d’entre eux, Sigebert, est l’un de mes plus proches amis.
Arthur avait imaginé sa première rencontre avec la famille de Robert un peu moins... morbide.
— Elle avait l’air…euh…sympathique, observa-t-il en contemplant le visage paisible d'Isabeau.
— Détrompes-toi, se récria aussitôt Robert. Le sculpteur ne l'avait certainement jamais rencontrée ! C'était une femme avec un fort caractère qui terrorisait tout son entourage. Elle était encore en vie lorsque j'étais enfant. Avec Charlotte, nous allions nous cacher dans les cachots à chaque fois qu'elle venait nous rendre visite. Si cela n'avait tenu qu'à moi, je l'aurais représentée sous les traits d'un dragon cracheur de feu.
Un claquement qui résonna bruyamment fit sursauter les deux amis. La porte intermondiale venait de se refermer.
— Adieu la Terre, soupira Robert.
— Et bonjour Mundus, sourit Arthur.
On entendit des bruits de pas pressés dans un escalier dérobé. Un jeune homme au visage marqué par une importante acné se dirigea vers eux. Il était enveloppé jusqu'aux pieds dans une épaisse fourrure.
— Bon retour dans notre monde, mon cher Robert.
Il posa brièvement sur Arthur un regard qui semblait hésiter entre la curiosité et l'indifférence puis détourna les yeux.
— Bonjour Sigebert, répondit l'apprenti chevalier d'un air ravi. Comment as-tu su que j'allais venir ?
— Ton oncle Philippe nous a transmis hier un message par le gardien de la porte de l'autre côté. Il nous a informés de ton retour prochain en compagnie de ton valet. J'ai tenu à venir à t'accueillir en personne. Tiens, voilà des vêtements plus convenables.
Il tendit une pile de linge à Robert tout en toisant avec mépris le jeans et sweat-shirt dont il était vêtu. L’apprenti chevalier sélectionna quelques habits et envoya le reste à Arthur. Il entreprit alors de se déshabiller sans grande pudeur.
Arthur éprouva quant à lui une certaine gêne à se changer ici, à quelques mètres d'un inconnu et de la féroce grande-tante de Robert. Il se dépêcha donc de se revêtir le plus rapidement possible d’une tunique grise en laine et d’une sorte de pantalon. Lorsqu’il releva les yeux, il vit que son ami portait un pourpoint rouge aux manches bouffantes, serré par une ceinture dorée, et des chausses noires très ajustées qui lui donnaient une allure bien plus impressionnante que celle qu’il avait sur Terre. Les vêtements d’Arthur étaient, comme attendu, plus modestes.
Juste avant leur départ pour Mundus, il avait été décidé que le jeune homme se ferait passer pour un serviteur de l’apprenti chevalier jusqu’à leur arrivée au château d’Aspignan. Cela permettrait ainsi d’éviter les questions embarrassantes au sujet de sa brusque apparition et de préserver au mieux le secret de l’existence d’un autre monde.
Artur trouvait cependant qu’ils auraient pu mettre Sigebert de Beaumont dans la confidence, étant donné que ce dernier semblait bien au courant de l’existence de la Terre.
Robert et son ami étaient en train de se diriger vers l’escalier permettant de sortir de la crypte, sans faire attention à lui. Le jeune homme pressa le pas pour les rattraper et s’engagea à leur suite. Ils débouchèrent sur un couloir dont les murs étaient recouverts de tapisseries à motifs floraux.
— Est-ce que ce valet va continuer à nous suivre éternellement ? demanda soudain Sigebert alors qu’ils s’apprêtaient à entrer dans une salle.
Robert se retourna et échangea un regard avec Arthur.
— Nous nous retrouverons ce soir, lui dit-il. Je te donne quartier libre.
Les deux jeunes nobles disparurent alors dans la pièce.
— Il n’a pas l’air très dégourdi ton serviteur, observa Sigebert juste avant de claquer la porte.
Réprimant avec peine quelques répliques bien senties qu’il aurait aimé balancer à ce noble prétentieux, Arthur resta figé sur place, se demandant ce qu’il allait bien pouvoir faire. Après tous ces jours qu'il avait passés en compagnie de l'apprenti chevalier, il ressentait un certain sentiment d'abandon. Il tenta de se raisonner. Après tout, Robert avait une vie ici. Il avait d'autres amis et une position sociale telle qu'il ne pouvait pas passer sa journée à bavasser joyeusement avec son supposé serviteur.
Toujours indécis, le jeune homme continua d’avancer le long du couloir. Ce dernier le mena jusqu’à une porte en bois qu’il finit par pousser, se retrouvant à l’air libre dans une cour entourée de bâtiments. Comme sur Terre, de gros flocons tombaient du ciel, semblables à des morceaux de cendre échappés d’un brasier. La couche de neige était cependant bien plus épaisse qu’à Versailles et monta au-delà des chevilles d’Arthur lorsqu’il y fit quelques pas. Il se retourna pour observer les lieux. Il se trouvait au pied d’une galerie couverte en bois accrochée à une façade terminée de chaque côté par deux tours rondes percées de rares fenêtres.
— Eh, toi ! s’exclama soudain une voix autoritaire dans son dos. Ne reste pas planté ici dans ce froid ! Tu vas attraper la mort.
Le jeune homme se retourna et fit face à une jeune femme aux cheveux nattés qui sortait d’une baraque en bois, des bûches dans les bras. Les yeux de la fille s’agrandirent aussitôt de stupéfaction et elle laissa s’échapper l’une des branches qui s’enfonça dans la neige.
— Vous ? bredouilla-t-elle. Je croyais…Que voulez-vous ?
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