13. La porte intermondiale

       Le matin de leur départ, le jardin se retrouva recouvert d’une fine couche de neige qui scintillait à la lumière jaunâtre des lampadaires. Lorsque Philippe déverrouilla la porte d’entrée, quelques flocons s’engouffrèrent sur le paillasson pour y fondre aussitôt.

 Le magicien regarda à droite et à gauche avec méfiance. Le jour ne s’était pas encore levé.

  — Allons-y rapidement, recommanda-t-il. L’ominosus n’attaquera probablement pas si nous restons bien groupés.

Il fit signe à son neveu de passer le premier, laissa Arthur le suivre et ferma la marche.

Robert avançait les bras chargés d’un baluchon bien rempli qui lui donnait, sous cette neige, une vague ressemblance avec un Père Noël. Il avait l’intention de rapporter divers présents originaires de la Terre à sa famille. Arthur pouvait voir dépasser un ballon de foot dégonflé et une conserve de cassoulet.

Il voyageait, quant à lui, bien plus léger. A l’exception des vêtements qu’il portait sur lui le jour de son réveil, il ne possédait rien.

Deux jours s’étaient écoulés depuis l’attaque des ominosi. Philippe lui avait jeté la veille un sort lui permettant de maîtriser la langue en usage dans le royaume de Galva dont étaient originaires les Aspignan. Robert avait naguère subi le même pour apprendre le français. Si cette méthode rapide avait d’incontestables avantages, elle avait tendance à embrouiller l’esprit. Le magicien lui avait cependant certifié que cet effet secondaire devrait s’estomper au bout de quelques jours.

Le jeune homme secoua la tête pour s’éclaircir les idées tandis qu’ils franchissaient les grilles de la propriété. Il se rendit compte qu’il n’avait en réalité aucune idée de l’endroit où ils devaient se rendre. Comment donc passait-on d’un monde à l’autre ? Mais avant d’avoir pu poser la moindre question, il vit Philippe sortir de sa poche un petit objet noir sur lequel il appuya. Les phares arrière d’une voiture grise garée un peu plus loin clignotèrent. Le magicien et son neveu s’y dirigèrent aussitôt.

Arthur leur emboîta le pas, un peu interloqué.

— Nous partons pour Mundus en voiture ?

— Non, gloussa Philippe tandis que son neveu tentait tant bien que mal de faire rentrer ses volumineux souvenirs dans le coffre. Nous allons seulement jusqu’à Versailles. Vous y emprunterez la porte intermondiale.

Le magicien sortit une brosse de la boîte à gants et commença à gratter le parebrise pour enlever la glace.

— C’est si long…marmonna-t-il.

Il jeta un petit regard coupable aux alentours, puis murmura.

Nix liquefacta !

La couche de givre fondit aussitôt.

Philippe croisa le regard d’Arthur.

— Il est normalement fortement déconseillé de pratiquer la magie en pleine rue, se justifia-t-il, comme si le jeune homme était un inspecteur des abus des usages magiques. Mais il fait encore nuit. Et nous devons nous hâter de te mettre à l’abri du danger. Les circonstances sont donc exceptionnelles. Allons, allons, les enfants. En voiture !

Une fois tout le monde à bord, le magicien tourna la clef de contact et effectua une marche arrière pour se mettre sur la route.

— Qu’est-ce que la porte intermondiale ? demanda Arthur en attachant sa ceinture.

— Une voie d’accès pour Mundus. Il s’agit d’une sorte de trou artificiel entre les deux mondes, si tu veux. Il a été créé par l’effort conjoint de puissants magiciens afin de créer un passage.

— Et la porte se trouve en France ? Ici ? A Versailles ? s’étonna le jeune homme qui trouvait la coïncidence avec sa propre position géographique un peu trop grande.

— Oh, elle est loin d’être unique. Il y en a dans tous les continents. Celle que vous allez utiliser est assez tardive. Elle n’a été ouverte qu’en 1682, date du calendrier terrien européen. Quant au choix de la localité, il était tout à fait logique à l’époque. Avec l’installation de la cour royale, Versailles était le centre du monde.

 Les rues enneigées étaient désertes en cette froide matinée d’hiver et ils ne croisèrent que quelques rares véhicules qui roulaient prudemment.

— Le gardien de la porte, Henri de Folleville, est l’un de mes confrères magiciens, reprit Philippe alors qu’ils bifurquaient vers une rue plus étroite. C’est aussi un bon ami. Nous fréquentons le même club de bridge.

Il gara sa voiture le long de la chaussée à côté d’une vaste demeure à la façade classique ornée de chapiteaux, pilastres et balustrades et qui devait être un hôtel particulier du XVIIe siècle.

— Aucun sort de camouflage n’a été installé ici, expliqua Philippe pendant qu’ils traversaient l’une des allées bordées de buis. La maison doit être facilement repérable par les expatriés de Mundus. Nous pouvons donc nous permettre un certain faste.

Il n’y avait pas de sonnette à côté de la porte d’entrée mais une cloche à l’ancienne reliée à une chaîne sur laquelle le magicien tira. Quelques secondes plus tard, une jeune fille vient leur ouvrir et, sans un mot, les guida jusqu’à un salon dans lequel une personne les attendait.

Henri de Folleville était un homme entre deux âges, à la mine sévère. Arthur le trouva tendu. Il salua Philippe d’une poignée de main mais ignora les deux jeunes hommes.

— C’est pour un départ, n’est-ce-pas ? demanda-t-il en dépliant un long rouleau. Ton neveu ?

— C’est cela. Ainsi qu’Arthur Montnoir, son ami.

Le gardien consulta attentivement son parchemin.

— Je ne vois aucun Arthur Montnoir dans la liste des personnes habilitées à voyager.

Philippe prit un air embarrassé.

— Je le sais bien. Il s’agit d’un cas spécial. Je pense qu’Arthur pourrait avoir un lien avec Mundus. Peut-être l’as-tu d’ailleurs déjà vu passer par ta porte ? Regarde-le donc.

Le magicien prit Arthur par l’épaule pour le mettre bien en vue. Henri de Folleville leva lentement le regard  pour le porter sur le jeune homme. Et se figea. Pendant une fraction de seconde, Arthur crut voir un éclair de peur traverser ses yeux. Mais peut-être cela n’était-il dû qu’à son imagination car, l’instant d’après, le gardien avait retrouvé son expression neutre.

— Jamais vu, dit-il d’un ton bourru. Il peut passer.

— Vraiment? s’étonna Philippe, surpris d’obtenir si vite gain de cause.

— Oui.

L’homme enroula à nouveau son parchemin sans regarder personne.

— Euh très bien, reprit Philippe qui paraissait toujours un peu étonné. Robert, Arthur, il ne me reste plus qu’à vous dire au revoir. La maison va être bien vide sans vous…

Il fit une accolade à son neveu avant de se tourner vers Arthur.

— J’espère que ton séjour à Mundus va te permettre d’en découvrir davantage sur ton passé. Si l’envie te prenait néanmoins de retourner vivre sur Terre, sache que tu seras toujours le bienvenu chez moi.

— Merci, répondit le jeune homme, touché.

Le gardien observait le baluchon de Robert avec une grande suspicion.

— Aucun objet électronique ou trop manifestement terrien ne peut être emporté sur Mundus.

— Il n’y a rien de tout cela, assura l’apprenti chevalier d’une voix toute innocente.

Arthur remarqua cependant que les mains de son ami se crispaient légèrement autour de son sac.

— Suivez-moi, ordonna alors le gardien.

Il s’avança vers l’entrée, les yeux baissés. Arthur avait la curieuse impression que l’homme essayait d’éviter de croiser à nouveau son regard, ce qui le mit mal à l’aise. Henri de Folleville savait-il quelque chose sur lui ou sur ce qui lui était arrivé ? Connaissait-il ses ennemis ? Il n’osa cependant pas lui poser de question de peur d’être ridicule. Son esprit encore embrumé le rendait peut-être  paranoïaque et il se faisait certainement des idées qui n’avaient pas lieu d’être.

L’immense pièce dans laquelle ils entrèrent était vide. Sans doute s’agissait-il d’une ancienne salle de bal. Il n’y avait aucun meuble à part un imposant lustre à huit branches et un très haut paravent tapissé d’un damas cramoisi. Le parquet craqua tandis qu’ils traversèrent la salle.

Henri de Folleville replia le paravent avec grand soin. Une élégante porte blanche fut dévoilée. Les motifs végétaux de ses panneaux et ses gonds étaient recouverts de feuille d’or. Il était gravé sur son linteau « Januae Mundi », les portes du monde.

Le gardien fit glisser de son cou une grosse clef qu’il portait sur une chaînette et l’enfonça dans la serrure. La porte s’ouvrit dans un grincement solennel. Arthur tendit le cou pour voir ce qui se cachait derrière ses battants. Il n’y perçut qu’une profonde obscurité.

— Que doit-on faire, maintenant ? demanda le jeune homme avec une certaine appréhension.

Il lui semblait que la porte menait vers le néant.

Robert lui sourit.

— C’est très simple. Il suffit de mettre un pas devant l’autre.

Arthur prit une profonde inspiration et s’avança.

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