11. Une odeur de plastique brûlé
Le couvercle de poubelle se brisa net au premier assaut. Arthur se délesta de l'un des deux morceaux, ne tenant plus qu'un long bout de plastique en forme de demi-lune. Il essaya désespérément de se souvenir des leçons d'escrime que lui avait naguère données Robert. Si seulement il avait persévéré dans son étude ! S'il sortait vivant de cette périlleuse situation, il...
Sans lui laisser la courtoisie d'achever sa promesse mentale, la mâchoire de l'un des monstres se referma à quelques centimètres de son oreille droite. Propulsée par son élan, la bête continua sur sa lancée sur quelques mètres avant de faire demi-tour.
Arthur remarqua que, si les créatures avançaient extrêmement vite en ligne droite, elles semblaient bien plus maladroites à effectuer des virages et prenaient un certain temps avant de se mettre en marche. Sans compter que, jusqu'à présent, elles n'avaient pas encore eu l'idée d'attaquer toutes les trois en même temps. Si le jeune homme continuait de parvenir à les esquiver par des mouvements sur le côté, peut-être avait-il une chance. Il jugeait peu probable, cependant, qu'elles se fatiguent plus vite que lui tandis qu'il effectuait ses pirouettes et entrechats. Non, il lui fallait contre-attaquer. Peut-être pourrait-il en assommer une ou deux avant d'achever de réduire en miettes son bouclier ?
Lorsque l'une des créatures s'avança à nouveau, Arthur se tenait prêt. Il abattit son arme de toutes ses forces, regrettant qu'elle ne soit qu'en plastique. Que n'aurait-il donné pour disposer d'une barre de fer ou, au moins, d'un simple bâton de bois...
Ce qui restait du couvercle entra violemment en contact avec la bête, perdant un nouveau fragment qui valsa contre le mur avec un bruit sourd. Il se passa alors quelque chose de très étrange. L'extrémité du bout du plastique s'enflamma.
La créature poussa un sifflement strident et recula de quelques mètres, le poil roussi.
Sous le coup de la surprise, Arthur avait bien failli lâcher son arme improvisée. Les flammes bleutées qui s'en dégageaient étaient bien trop hautes et vives pour être naturelles. Le plastique en combustion émettait une odeur fort désagréable qui lui donnait envie de se boucher le nez.
Les trois bêtes se mirent à tourner autour du jeune homme, menaçantes. Elles semblaient cependant hésiter à reprendre leur assaut.
« Ces bestioles ont peur du feu », comprit Arthur.
Il ne savait pas pendant combien de temps il pourrait profiter de cet avantage. Sa torche finirait bien par s'éteindre à un moment ou à un autre ou achèverait de fondre entièrement.
Essayant de surveiller en même temps ses trois assaillants, le jeune homme fit un pas en arrière pour chercher à sortir de l'impasse, brandissant la flamme. S'il parvenait à regagner la rue, des passants viendraient peut-être à sa rescousse. Ou peut-être pas. Il était en réalité bien plus probable qu'ils prennent leurs jambes à leur cou en voyant les hideuses créatures menées, qui plus est, par un délinquant pyromane.
Les monstres ne le laissèrent cependant pas mettre à l'épreuve son hypothèse. Cette tentative de fuite sembla même effacer leur peur primitive du feu. Le plus téméraire d'entre eux s'élança droit sur Arthur, la gueule grande ouverte. Le jeune homme se laissa tomber sur le sol en dirigeant la flamme vers le corps de la bête. Il ne fit que l'effleurer et, pourtant, cette dernière s'enflamma aussitôt comme si elle avait été recouverte d'essence.
« Qu'est-ce que c'est que ces monstres auto-inflammables ? », se demanda Arthur, toujours assis par terre. « Quelle pacotille ! ».
Il regarda le monstre voltiger dans tous les sens, transformé en boule de feu. Au même instant, sa propre flamme s'éteignit.
Le jeune homme regarda l'extrait de couvercle noirci avec horreur. Il l'agita frénétiquement dans le vain espoir de parvenir à raviver le feu, ne produisant qu'une vague fumée grisâtre.
Les deux créatures restantes fondirent aussitôt sur lui. Il évita la première en roulant sur lui-même et eut juste le temps de voir l'autre exploser, transpercée par une longue épée. Ses restes se dispersèrent dans l'air.
Robert venait d'arriver.
Arthur n'avait encore jamais regardé son ami se battre pour de vrai et devait avouer qu'il s'agissait d'un spectacle assez impressionnant. L'apprenti chevalier acheva dans un geste souple le monstre en flammes qui s'évapora de la même façon que le premier. Il se tourna alors vers la dernière créature survivante qui jugea plus prudent de battre en retraite. Après un dernier grognement, elle recula dans le brouillard et disparut.
- Comment m'as-tu retrouvé ? bredouilla Arthur à son ami. Et d'où sort ton épée ?
Il ne se souvenait pas d'avoir vu Robert emporter sous le bras son arme qui devait faire plus de cinquante centimètres de long.
Il se releva, tenant toujours le plastique calciné encore fumant entre ses doigts tremblants. Il avait su jusqu'ici maîtriser sa panique mais, à présent, alors que tout danger était écarté, il commençait réellement à prendre conscience du risque qu'il avait encouru.
Rober, qui regardait toujours le fond de l'impasse avec méfiance, se retourna.
- Mon oncle a ensorcelé mon épée pour me permettre de la miniaturiser lorsque je veux l'emporter. J'aime l'avoir toujours avec moi. Il me semble aujourd'hui qu'il s'agit plutôt d'une bonne idée.
Arthur hocha vivement la tête.
- Quant à ta première question, j'étais en train de marcher tranquillement depuis une minute ou deux. Je me suis retourné et, là, tu n'étais plus derrière moi. J'ai fini par t'apercevoir à une bonne distance, en train de galoper comme si tu avais le diable à tes trousses.
- N'as-tu pas vu cette petite fille que je suivais ? l'interrompit son ami.
- Quelle petite fille ?
- Il y avait une enfant devant moi.
- Tu courrais seul, lui assura l'apprenti chevalier qui le regardait avec inquiétude. Et d'une façon peu prudente. Tu as failli te faire écraser plusieurs fois par des voitures. Et...
- Non s'entêta Arthur. J'étais avec une fillette, habillée tout en rose. Elle n'était qu'à quelques mètres de moi. Il est impossible que tu puisses l'avoir ratée !
Il se rappela cependant s'être fait la réflexion qu'il semblait être le seul à voir Rose, alors qu'ils se trouvaient au milieu d'une foule.
- Mais, pourtant, tu as bien aperçu les monstres, fit-il observer.
- Alors ça oui, réagit aussitôt Robert. De sales bêtes. Puis-je maintenant savoir pourquoi, lorsque j'ai enfin fini par te retrouver, attiré par une fumée malodorante, tu te trouvais dans une impasse sordide en train de te battre avec une torche enflammée contre des créatures qui ne sont manifestement pas originaires de la Terre ?
Arthur mit à profit le temps de trajet jusqu'à la gare Saint-Lazare pour raconter en détail à son ami tout ce qui venait de se passer. Les deux jeunes hommes avaient en effet estimé qu'il était plus prudent de regagner immédiatement la demeure de Philippe afin d'éviter de nouvelles péripéties fâcheuses.
Le jeune homme laissa cependant de côté la mystérieuse phrase prononcée par Rose : « Pourquoi as-tu peur de ce que tu as fait ? ». Cette déclaration le laissait très mal à l'aise et il ne tenait pas à en faire part à un autre. De quoi pouvait-il bien être responsable ?
- Cette attaque t'était donc personnellement destinée, résuma Robert tandis qu'ils prenaient place dans un train. Crois-tu qu'il s'agisse d'un nouveau coup de ton ennemi ?
Arthur fronça les sourcils.
- Mon ennemi ? De qui parles-tu ?
- Eh bien, de l'homme - ou de la femme - qui t'a jeté le sort d'amnesia.
- Oh, lui ! Non, je ne pense pas.
- Et pourquoi pas ?
L'apprenti chevalier semblait un peu vexé de voir son hypothèse repoussée.
- Les illusions qui ont précédé aux monstres ont évoqué plusieurs éléments se rapportant à mon passé et que j'étais manifestement supposé comprendre. La personne responsable de cette nouvelle attaque ne savait pas que j'avais perdu mes souvenirs. Quant à Rose, la fillette qui m'a attiré dans l'impasse, je crois... Non, j'en suis certain... Elle est ma sœur.
Ou l'avait été. Le jeune homme sentit son cœur se serrer en repensant aux squelettes qui lui avaient fait face. « Nous sommes morts depuis longtemps », avait déclaré l'homme.
- Ta sœur ? répéta Robert d'un ton très sceptique.
- Ce n'est pas si incroyable que cela, observa Arthur. Toi aussi tu as une sœur. Ce sont des choses qui arrivent.
- Oh, j'en ai même trois. Et deux frères, s'empressa de répondre l'apprenti chevalier, comme s'il tenait à remporter le concours de la fratrie la plus nombreuse. Non, ce qui m'intrigue c'est de savoir comment tu peux en être aussi sûr. As-tu retrouvé des bribes de mémoire ?
- Pas vraiment. Mais lorsque j'ai vu Rose, j'ai immédiatement compris que je la connaissais. Sans savoir pourquoi. Son prénom m'est ensuite venu à l'esprit de manière naturelle. Peut-être s'agit-il de l'un de ces échos de mémoire dont m'a parlé ton oncle l'autre jour.
- Sans doute. Mais alors, l'homme et la femme dont les monstres avaient pris l'apparence, il s'agirait...
- De mes parents, oui. Ce serait logique.
Il resta plongé dans ses pensées alors que le train démarrait.
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