10. Dans la gueule du loup

Le sourire de Rose s'accentua en entendant le jeune homme prononcer son nom.

— Bonjour Arthur, lui répondit la fillette d'une voix chantante en lui adressant un joyeux signe de la main.

Elle parlait à quelques mètres de lui, et pourtant il l'entendait aussi distinctement que s'ils avaient été seuls dans une pièce isolée.

Ils se regardèrent droit dans les yeux et, pendant quelques secondes, le monde se figea. Il sembla à Arthur que rien n'était aussi important que ce moment-là.

Puis la petite fit un léger mouvement de tête et tourna les talons.

— Attends ! s'exclama le jeune homme qui ne voulait en aucun cas la laisser partir. Comment me connais-tu ? Qui es-tu ?

Mais la fillette ne l'écoutait plus et courait avec légèreté parmi la foule.

Arthur s'élança à sa poursuite.

— Attends !

Alors que Rose se faufilait au milieu des obstacles avec une facilité déconcertante, il peinait à se frayer un chemin et bouscula violemment un groupe de touristes coréens qui lui jetèrent des regards courroucés. Il n'y prêta guère d'attention. Son unique objectif était de ne pas perdre de vue la petite fille.

Une voix lointaine au fond de sa tête lui signala qu'il serait sans doute plus sage d'essayer de retrouver Robert, mais Arthur avait des besoins plus urgents que d'écouter une pensée aussi absurde. De toute façon, il ne savait même pas qui était ce Robert.

— Plus vite ! Plus vite, chantonna la fillette dont le manteau claquait au vent au rythme de sa course effrénée.

Elle ne paraissait nullement essoufflée, contrairement au jeune homme qui avait les poumons sur le point d'exploser. Mais il ne se serait arrêté pour rien au monde. Il décrocherait la lune pour Rose si elle le lui demandait.

Ils traversaient à présent une rue. Arthur entendit des voitures piler net et klaxonner, mais il ne détourna à aucun moment son regard de la petite qu'il suivait. Il était persuadé qu'à l'instant où il cesserait de la regarder, elle s'évanouirait dans le néant.

— Plus vite ! Plus vite!

Le trottoir qu'ils avaient rejoint était déjà bien moins fréquenté.

Enfin, alors que le jeune homme était sur le point de s'écrouler de fatigue, Rose s'arrêta d'un seul coup et se tourna vers lui. Elle ne souriait plus.

Arthur resta à une certaine distance, soudain mal à l'aise. Ils se trouvaient dans une impasse sale et complètement déserte dans laquelle étaient alignées des poubelles malodorantes. Le contraste avec l'agitation des environs de Saint-Lazare était saisissant. Le jeune homme n'aurait su dire combien de temps ils avaient couru. Cela aurait aussi bien pu être une heure que cinq minutes. 

L'étrange envoûtement dont Arthur avait été victime s'estompa. Il fronça les sourcils, revenant peu à peu à son état normal.

— Qui es-tu ? demanda-t-il, cette fois-ci avec une certaine méfiance. Pourquoi m'as-tu fait venir ici ?

La petite pencha la tête sur le côté, perplexe.

—Voyons, Arthur. Comment pourrais-tu ne pas te souvenir de nous ?

— De vous ?

Un homme et une femme avaient surgi du brouillard et se tenaient à présent aux côtés de Rose. Ils parurent également familiers au jeune homme, bien que de façon moins marquée.

— Je suis désolé, finit-il par bredouiller, perdu, mais je n'ai pas la moindre idée de qui vous êtes.

La femme tendit la main vers lui. Elle avait un visage d'une grande douceur et le regardait avec compassion.

— Mon petit...

Le son de sa voix éveilla un sentiment inconnu dans le cœur d'Arthur. Il fit instinctivement un pas en avant, puis s'arrêta net, horrifié. La main dirigée vers lui n'était plus qu'un assemblage d'os décharnés. Lorsqu'il leva la tête, Rose et le couple avaient été transformés en squelettes vêtus de lambeaux de vêtements.

— Nous sommes morts depuis longtemps, déclara l'homme d'une voix caverneuse. Peut-être est-ce pour cela que tu nous a oubliés ?

Des silhouettes sans visage jaillirent à leur tour de la brume et encerclèrent Arthur.

— Morts. Morts. Morts, répétèrent-elles comme un écho.

Elles avançaient toujours plus près du jeune homme pétrifié.

— Laissez-moi, implora-t-il.

Les silhouettes s'évanouirent, dispersées par le vent. Rose et les deux adultes avaient retrouvé leur aspect primitif.

— Pourquoi as-tu peur de ce que tu as fait ? demanda doucement la fillette.

Arthur aurait aimé quémander des éclaircissements à cette étrange question, mais la femme s'était à nouveau avancée.

— Il est temps pour toi de mourir, Arthur Montnoir, murmura-t-elle de sa voix douce.

Les trois personnes changèrent à nouveau. Cette fois-ci, ce n'était cependant plus des cadavres que le jeune homme avait face à lui, mais de monstrueuses créatures d'un noir profond, chacune de la taille d'un grand chien. Elles flottaient dans les airs, dépourvues de jambe, mais possédant une bouche démesurée remplie de longues dents et des bras courts terminés par d'impressionnantes griffes. Leur attitude menaçante ne laissait aucun doute quant à leurs intentions.

Malgré sa panique grandissante, Arthur conservait la tête froide et il se mit à réfléchir à toute vitesse. S'il ne connaissait pas l'existence de Mundus, de la magie et des sortilèges, il aurait tout simplement conclu que tout ceci ne devait être qu'un horrible cauchemar et qu'il suffisait tout simplement d'attendre de s'éveiller. En observant de plus près les dents interminables des créatures, le jeune homme se dit qu'il était tout de même plus sage d'envisager une autre hypothèse. Il avait bien vu, il y a à peine quelques heures, un sapin décupler de volume en quelques secondes. Etait-ce moins vraisemblable de considérer qu'il puisse être possible qu'une petite fille se métamorphose en squelette, puis en être généreusement pourvu de crocs ?

L'un des monstres bondit et Arthur ne dut sa survie qu'à un réflexe insoupçonné qui le propulsa sur le côté. Il n'avait pu cependant éviter un long coup de griffe qui lui entailla le bras gauche sur une dizaine de centimètres.

« Une preuve supplémentaire que je ne suis pas en train de rêver », pensa le jeune homme en posant une main sur sa blessure.

Lorsque les deux autres créatures s'agitèrent à leur tour en grognant, Arthur commença à songer que l'heure était peut-être davantage à l'action qu'à la supputation. Il étudia la situation qui ne lui sembla pas très favorable. L'une des bêtes se trouvait derrière lui, interdisant toute fuite. Il n'avait aucune arme et ses connaissances en matière de combat étaient plus que médiocres. Estimant que cela valait toujours mieux que rien, le jeune homme se saisit du couvercle cabossé de l'une des poubelles avoisinantes qui voulut bien s'arracher. Brandissant fermement son bouclier de fortune de son bras valide, Arthur se prépara alors au choc.

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