Chapitre 3

Les personnes s'approchent de mon lit, je ne relève pas la tête.

Je ne les regarde pas. Mais elles me regardent. Je sens le poids de leur regard sur moi.

— Hum... fait maman.

Je continue d'écraser ma purée, au cas où il reste des morceaux. Cette activité me passionne, pour l'instant.

— Analee ? risque-t-elle.

Je tressaille. Je ne m'y habitue pas. Ça fait bizarre d'entendre maman prononcer ce nom que je peine à m'associer.

Elle pose une main sur mon épaule. Je ne réagis pas. De tout façon, qu'est-ce que je pourrais faire ? La serrer dans mes bras et lui dire à quel point elle m'a manqué ? Ou au contraire lui poser la question qui me brûle les lèvres: t'es qui ?

— Ana, tu... Tu as... Tu vas... ?

— Ça va, je couine d'une voix aigüe.

Le silence devient pesant. J'ai dit deux mots. Ma mère paraît soulagée que j'ai encore ma langue. Ma purée est immangeable, mais je continue de m'acharner dessus. Elle attends probablement que je dise quelque chose d'autre, que je la rassure, lui fasse comprendre que je l'aime. Enfin, maman, pas la purée.

— J'me rappelle plus.

Nouveau silence. Est-ce que c'était aussi tendu avant ?

— Oh, chérie..., murmure-t-elle au bord des larmes. De... De quoi.... Qu'as-tu... Oublié ?

— 13 ans. Et moi. Et... Toi, papa, le bébé,... Lui, j'ajoute en désignant mon frère.

Nouveau silence. Je déteste le silence.

— Donc... Tu... Ne te rappelles pas de... Moi ? Ni de l'annonce de ma grossesse ? Ni du sexe du bébé ?

Silence. Encore.

— Ouais. J'sais que c'est un p'tit garçon. Les médecins me l'ont dit. C'est tout.

— Bon... Euh ... Nous avons du temps à rattraper, hein, sourit-elle.

Pour la première fois, je tourne la tête vers la femme qui m'a mise au monde. Et je l'observe. Elle a changé par rapport aux photos que j'ai prises il y a longtemps. Des rides sont apparues aux coins de ses yeux, ses cheveux roux plongent vers le gris à certains endroits.

Je risque un sourire.
Elle pleure.
J'espère que ce n'était pas une grimace.

Tout le temps de la discussion, mon frère est resté derrière maman. Il n'a rien dit. Rien fait. Il s'est juste contenté d'observer. De m'observer. Est-il muet ? A-t-il peur de moi ?

Maman sèche ses larmes, et je risque une question.

— Heu ... Donc... Où est papa ?

Et je sais que j'ai posé la mauvaise. Il y en a une infinité qui tournent dans ma tête, mais j'ai choisi elle. Et immédiatement son visage se rembrunit, se referme, ses muscles se contractent, mais elle tente d'afficher le même sourire qu'avant. Peine perdue, elle fond en larmes pour la je ne sais combien de fois.

— Désolée, dis-je précipitamment. J'aurais pas dû. Pardon...

Mais j'ai oublié, je meurs d'envie d'ajouter.

— Non... Non, ne t'excuses pas. Tu ne t'en souviens pas, c'est normal. Il... Il... bégaye maman.

— A foutu le camp y a treize ans, fini mon frère. Y a treize ans.

Il n'est donc pas muet.

Et mon père est parti.

— Ah.

Et comme maman pleure encore et que ma réponse est des plus... Étranges ? Nulles ? Peu importe, je lui prends sa main et la serre.

J'espère que je montrais mieux mon affection avant.

Mais une question titille mon cerveau: qui est le père du petit ? Parce que pour l'autre, maman a dû être enceinte avant qu'il déserte, mais lui, c'est pas possible.

— J'ai rencontré un autre homme, chuchote-t-elle, me faisant sursauter.

Je n'ai quand même pas parler à voix haute, si ?

— Ça fait trois ans maintenant qu'on est ensemble. Il n'est pas venu aujourd'hui, parce que tu ne... Parce qu'il voulait nous laisser en famille, continue-t-elle.

— Et parce que tu le détestes, ajoute mon frère. D'ailleurs, «l'autre» s'appelle Kilyan.

— Toi ? dis-je surprise.

— Ouais, moi.

Bon, deux nouvelles choses que j'apprends !

Est-ce vrai que je n'aime pas l'homme avec qui vit maman – je commence à être lassée de n'avoir aucun nom dans la tête ! – ?

Personne n'ajoute quelque chose et je ne veux pas poser de questions désastreuses. Heureusement, les médecins entrent dans la chambre et disent devoir faire un contrôle de je ne sais pas quoi.

Kilyan et maman s'en vont, me laissant ruminer mes pensées et tout ce que je viens d'apprendre. Ça fait un paquet de choses à assimiler d'un coup !

Une femme s'approche de moi et se présente comme étant une psychologue, qui pourrait m'aider.

— Mais je suis pas folle ?

Elle rigole et m'explique que c'est pour m'aider à retrouver la mémoire, qu'il se peut que j'aie des questions, besoin d'aide pour tout assimiler et recommencer à vivre. Puis, elle me donne un carnet.

— Écris-y tout ce dont tu te souviens, que se soit banal ou pas, tes pensées,... Bref, tout ce qui te passe par la tête, que tu veux écrire. On se verra chaque semaine pour déterminer où tu en es dans ta recherche sur toi-même. D'accord ?

Je hoche la tête et prends le carnet qu'elle me donne. Il est simple, noir, couverture rigide et des anneaux.

J'attends qu'elle parte et j'écris. Comme elle me l'a conseillé.

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