Chapitre 7

Ana

Je me réveillais en sursaut, la respiration haletante. Je cherchais d'une main tremblante mon téléphone que je trouvais dans les draps. L'heure qu'il m'indiqua me fit souffler d'agacement. Je n'avais dormi que deux heures et le résultat n'était pas surprenant. J'étais épuisée, physiquement et mentalement. Je ne me rappelais plus la dernière fois que j'avais fait une nuit sans que celle-ci ne soit perturbée par des cauchemars tous plus effrayants les uns que les autres.

Je me laissais tomber sur le dos en fixant le plafond. Les volets fermés et les rideaux tirés ne laissaient pas encore les premiers rayons du soleil pénétrer dans la chambre. Mais l'obscurité n'était pas totale grâce à une petite veilleuse que je laissais en permanence allumée la nuit. Les ténèbres m'effrayaient depuis mon accident et cette petite lumière était devenue mon unique réconfort une fois la nuit tombée. Avant quelques semaines, elle me permettait même de lutter contre mes démons mais il semblerait qu'elle ne soit plus suffisante à présent. Il fallait vraiment que je trouve un moyen efficace pour enfin faire une nuit paisible...

Les yeux fermés, j'essayais de retrouver le sommeil. Mais je n'arrivais pas à effacer de ma mémoire les grands yeux verts qui avaient hanté toute la nuit. De toute évidence, je n'arriverais pas à me rendormir. J'hésitais à sortir du lit mais mon corps transpirant dans les draps me décida finalement. J'avais besoin d'une douche.

Je sortis du lit. Au contact du carrelage froid sous mes pieds nus, je frissonnais, ce qui provoqua une décharge électrique le long de ma colonne vertébrale. Je grimaçais de douleur. J'avançais doucement jusqu'à la porte de ma chambre qui grinça lorsque je l'ouvris. Je m'arrêtais pour tendre l'oreille. Pas un seul bruit ne venait troubler le silence qui régnait dans l'appartement et qui apaisait mes pensées bruyantes. Après un coup d'œil en direction de la chambre de ma cousine, je constatais que celle-ci était toujours fermée et plongée dans l'obscurité la plus totale.

Je me traînais jusque dans la salle de bain où je me dévêtis pour me laver. Mes yeux se posèrent sur le miroir qui renvoyait mon reflet ; j'avais des cernes violacés jusqu'aux pommettes, mes yeux étaient rougis et bouffis par la fatigue. J'avais une mine effroyable. J'entrais dans la baignoire et m'assis pour laisser l'eau chaude glisser le long de mon corps en me réchauffant. Les bras enroulés autour de mes jambes, je repassais dans ma tête mon retour de boîte avec Maddie qui n'avait pas décroché un mot de tout le trajet. En rentrant dans l'appartement, elle s'était précipitée dans sa chambre et s'y était enfermée sans même me souhaiter bonne nuit, comme elle avait pourtant l'habitude de le faire. Je savais que nous aurions une discussion aujourd'hui, et je redoutais déjà cet instant. Que pourrais-je lui dire ? Certainement pas la vérité. La fatigue qui se mêlait à l'anxiété m'épuisaient un peu plus chaque seconde qui passait dans l'attente de cette conversation avec ma cousine. Je prenais ma tête entre mes mains pour essayer de faire taire les voix contradictoires qui menaient une lutte acharnée dans ma tête. Certaines me forçaient à lui dire la vérité tandis que d'autres m'incitaient à passer sous silence certains évènements comme ma rencontre avec l'homme aux yeux verts, ou encore quel genre d'hommes je devais servir durant mon service.

Sentant l'angoisse me gagner, je m'empressais d'éteindre l'eau et de sortir de la baignoire. Sans prendre le temps de m'essuyer, j'avançais rapidement vers le lavabo. Mes pieds mouillés laissèrent des traces sur le carrelage et je manquais plusieurs fois de glisser. Je fouillais avec précipitation dans tous les tiroirs jusqu'à trouver ce qui m'intéressait. Prise de tremblements incessants, je me dépêchais d'attraper mes boîtes de médicaments et d'avaler plusieurs comprimés. Après quoi je m'enroulais dans une serviette et me laissais tomber sur le sol, en attendant qu'ils fassent effet et calment mon corps secoué de spasmes.

De longues minutes défilèrent avant que je puisse enfin me relever et enfiler un teeshirt trop grand pour moi, si bien qu'il m'arrivait sous les fesses. Je rejoignis ma chambre pour prendre un paquet un cigarettes et le carnet sur lequel je notais absolument tout, avant d'aller dans le salon et d'ouvrir la porte-fenêtre pour m'installer sur le balcon. L'air était doux, sans un souffle de vent. Le soleil se levait doucement, chassant l'obscurité environnante. La lumière me rassura et je pris place sur une des chaises disposées autour de la table basse.

Je commençais par allumer ma clope que j'amenais à mes lèvres. Je tirais une première taffe et la nicotine se répandit dans ma gorge pour donner une bouffée de chaleur à mon corps en manque. Je recrachais la fumée qui s'évapora dans l'air. Puis, j'ouvris mon carnet à la page blanche où je mettais arrêtée pour raconter la suite de ma journée d'hier. Mettre des mots sur ce qui s'était passé et sur les émotions qui m'assaillaient m'aida à me sentir mieux. Je continuais alors d'écrire, sans prêter attention aux heures qui défilaient.

[...]

J'avais finalement réussi à me rendormir après être rentrée dans le salon pour visionner une série sur Netflix. Mon carnet reposait toujours sous mon oreiller et la série que j'avais commencé tournait toujours. Le volume avait cependant été coupé. J'en étais à présent à l'épisode 5 et pourtant, je ne me rappelais pas les trois précédents. À quel moment m'étais-je endormie ? Je n'en avais aucune idée, mais pour une fois, j'avais eu la paix pendant quelques heures et ça, qu'est-ce que ça faisait du bien !

Des bruits de placards qu'on ouvrait et fermait parvinrent à mes oreilles. Je reconnaissais également le sifflement de la bouilloire. Ma cousine se trouvait dans la cuisine et se préparait un petit-déjeuner. Un brunch plutôt, me corrigea ma conscience en regardant l'heure sur l'écran de mon téléphone. Il était midi passé. Je me sentais toujours vidée, sans énergie, mais au moins, j'étais parvenue à prendre des forces supplémentaires qui me seraient indispensables lors de mon service de ce soir. Rien qu'en pensant à ce soir, je sentis une nouvelle boule se former dans mon ventre. Ma cousine et moi devions discuter mais surtout, je devais lui annoncer que je comptais continuer à travailler. Contre mon gré, certes. Mais j'allais travailler ce soir, et tous les autres soirs jusqu'à ce qu'on me laisse enfin partir. Peut-être que le meilleur moyen de m'en tirer était de tout faire pour me faire renvoyer. Je songeais à cette idée, élaborant dans ma tête différentes stratégies qui me permettraient de mettre en œuvre mon plan sans qu'il n'échoue. Je pourrais me montrer trop maladroite et renverser plusieurs verres. Ou bien confondre toutes les tables et distribuer les commandes aux mauvaises personnes. Et pourquoi ne pas me montrer désagréables avec les clients. S'ils me trouvent odieuses, ils ne voudront probablement plus que je les serve. Je crois que tu oublies quel genre d'hommes tu dois servir, Ana ! Je grimaçais, sachant pertinemment que la petite voix dans ma tête avait raison sur ce coup-là.

- Est-ce que tu veux boire quelque chose ?

Je sursautais en sentant la présence toute proche de Maddie. Je tournais la tête et constatais qu'elle se tenait debout derrière le canapé. Je ne m'étais pas aperçue qu'elle était sortie de la cuisine. Une tasse fumante entre les mains, elle me fixait de ses grands yeux encore endormis. Elle attendait que je lui donne une réponse.

- Je veux bien un jus d'orange, répondis-je d'une petite voix.

Elle repartit dans la cuisine et j'entendis la porte du frigo claquer. Maddie revint quelques instants après, avec un verre de jus d'orange. Elle me le tendit et vint s'asseoir sur le canapé, en veillant à garder une certaine distance avec moi. Je la remerciais d'un petit sourire mais son expression ne changea pas. Elle garda son regard froid, ses lèvres pincées et sa mâchoire serrée. Je voyais bien qu'elle était toujours énervée et qu'elle se forçait à se montrer aimable avec moi. Ma cousine était comme ça. Même énervée, elle veillait à ne pas se montrer trop désagréable. Du moins jusqu'à ce qu'elle ait les réponses à ses questions. Elle cherchait toujours à connaître le déroulement précis des évènements avant d'en tirer des conclusions hâtives.

- Est-ce que tu peux me raconter ce qui s'est passé cette nuit ?

Ma cousine brisa finalement la glace, les yeux rivés sur le mur. Tenant toujours sa tasse entre ses mains, elle fixait un point invisible pour ne pas avoir à me regarder. Je m'enfonçais un peu plus dans le canapé, les bras croisés sur ma poitrine. Ça y est ! C'est le moment ! constata la petite voix dans ma tête. Mais par où allais-je commencer ? Et qu'allais-je lui révéler ? La vérité ? Je pesais silencieusement le pour et le contre. Il était évident que je ne pouvais pas tout révéler à Maddie, au risque qu'elle s'affole et décide d'appeler la police. Or, j'étais convaincue que c'était une mauvaise idée. Une très mauvaise idée. Je ne connaissais pas ce monde mais j'avais vu suffisamment de films pour savoir que la police était souvent de mèche avec les mafieux et je ne pouvais pas prendre le risque d'attirer des ennuis à ma cousine.

Et soudain, ma mémoire se rappela les paroles que Théo avaient prononcé à la fin de mon service. « N'oublie pas qu'il sait où tu habites, et avec qui. Ici, le danger rôde partout ». Cette piqure de rappel me conforta dans ma décision. Je ne pouvais pas avouer à Maddie que j'étais prise au piège dans un jeu sordide. Un jeu sordide que j'avais moi-même initié en me faisant passer pour une serveuse. Et désormais, le fameux patron du club, dont j'ignorais l'identité, me menaçait.

- J'ai fait une crise d'angoisse, commençais-je à expliquer.

Du coin de l'œil, je vis Maddie réagir à ma première révélation. Pour l'instant, je ne faisais que dire la vérité. J'avais vraiment fait une crise d'angoisse, et j'avais cherché à trouver un endroit pour m'isoler et calmer mon anxiété.

- J'étais complétement désorientée, continuais-je. J'étouffais. Alors j'ai couru jusqu'à trouver un endroit où je pourrais me ressaisir.

Ma cousine se tourna légèrement dans ma direction. Je remarquais son air coupable. Elle savait que mes crises d'angoisse pouvaient se montrer violentes et que je pouvais rencontrer des difficultés pour me calmer seule. Le plus souvent, c'était elle qui m'aidait. Elle avait l'habitude de m'amener vers un point d'eau pour me verser de l'eau froide sur la tête, tout en me guidant pour reprendre ma respiration. Elle savait que me parler était la seule chose qui me maintenait toujours dans la réalité, qui m'empêchait de sombrer dans la folie. Lors de mes crises les plus violentes, il m'arrivait de croire que j'allais mourir et j'en venais à me faire du mal. À griffer ma peau à l'aide de mes ongles. À tirer violemment mes cheveux. La douleur que je m'infligeais me permettait de rester connecter au monde réel.

Mais je ne voulais pas qu'elle culpabilise pour ne pas avoir été là. Il ne m'était rien arrivé. J'avais réussi à me reprendre, seule.

- Maddie, soufflais-je en voyant ses lèvres pincées. Tu n'y es pour rien. J'ai paniqué et j'ai réussi à me ressaisir. Quelqu'un m'a aidé et m'a accompagné aux toilettes à l'étage.

- Qui ?

Maddie, qui était restée silencieuse jusqu'à présent, cherchait à présent des réponses. Je salivais difficilement en sachant qu'à partir de maintenant, ce que j'allais lui dire ne serait qu'un tissu de mensonges. Sauf que j'avais trouvé un travail en tant que serveuse. Ce serait bien ma seule vérité dans les prochaines minutes. Allez ! La petite voix dans ma tête m'encouragea.

- C'était un serveur, mentis-je d'une voix étranglée.

Je n'aimais pas ce que je faisais. Mais je continuais tout de même, persuadée que je n'avais pas d'autres choix :

- Il m'a aidé à trouver les toilettes où j'ai pu me calmer. Puis on a discuté et on en est venu à parler de son travail. Il sert à l'étage, au salon VIP. Je lui-

- Tu vas trop vite ! me coupa Maddie. Comment est-ce qu'il s'appelle ?

Elle me testait.

- Il s'appelle Isaac, et comme je viens te le dire, il travaille en tant que serveur au Rockstore.

- Et Isaac et toi, reprit-elle en me regardant dans les yeux, vous avez discuté ?

J'acquiesçais en vissant mon regard au sien. Je devais me montrer convaincante. Maddie était un détecteur de mensonges sur pattes.

- Dans les toilettes ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.

- Non, répondis-je du tac-au-tac en imageant un scénario dans ma tête. Il m'a amené aux toilettes et m'a laissé me calmer. Puis, il m'a amené prendre un verre et c'est là qu'on a discuté. Il m'a raconté qu'il était serveur depuis quelques mois ici, et qu'il cherchait quelqu'un. J'ai sauté sur l'occasion !

- Et à aucun moment tu n'as pensé à me prévenir ? m'accusa-t-elle. J'étais morte de trouille, Ana !

- Excuse-moi. J'étais perdue et après, tout s'est enchaîné tellement vite ! Je n'ai aucune justification valable, j'ai eu tort !

Elle ne dit rien pendant quelques secondes, réfléchissant sûrement à ce que je venais de lui dire. Mes explications étaient peut-être un peu trop simples mais je prenais le risque. Trop en dire pourrait semer le doute.

- Tu n'as jamais été serveuse, Ana ! Qu'est-ce qui t'a pris de vouloir travailler en tant que serveuse ? Dans une boîte de nuit ? Et en plus, dans un salon VIP qui a très mauvaise réputation ?

Elle m'accablait de questions. Et plus elle en posait, plus elle s'énervait. Elle avait reposait sa tasse sur la table et faisait de grands gestes pour accompagner ses propos.

- Je ne sais pas, Maddie.

Je devais donner l'impression d'être sincère car elle cessa de gesticuler à l'autre bout du canapé pour m'écouter attentivement.

- J'ai juste sauté sur l'occasion qui se présentait, sans réfléchir à ce que ça pouvait impliquer. Mais j'ai réussi ! C'était un peu difficile au début pour tenir le plateau et mémoriser toutes les tables mais j'ai réussi, continuais-je.

Ce que je disais n'était pas tout à fait faux. J'avais effectivement sauté sur une occasion, mais pas sur celle de trouver un travail et gagner de l'argent. Mais plutôt l'occasion de me sortir du pétrin dans lequel de je m'étais fourrée. Et puis j'avais effectivement éprouvé quelques difficultés avant de réussir à me dégourdir.

- Mais enfin Ana ! s'exclama ma cousine. Tu sais que le club accueille des types louches n'est-ce pas ? C'est dangereux et je ne veux pas qu'il t'arrive autre chose !

Son illusion me fit soupirer. Maddie voulait me protéger contre tous et contre tout. Elle était comme ça depuis mon accident, au risque parfois de m'étouffer. Toutefois, je comprenais sa réticence concernant ce travail. Elle n'avait pas tort sur un point ; le bar dans lequel j'avais servi et dans lequel je m'apprêtais à servir à nouveau était malfamé.

- Tu ne comptes pas servir à nouveau ?

Elle craignait ma réponse, je ne le voyais rien qu'aux traits figés de son doux visage. Elle entortillait ses doigts posés sur sa jambe dans l'attente insoutenable de mon choix. Je n'avais pas envie de continuer. Je ne voulais pas remettre un pied dans ce bar et revoir cet homme terrifiant aux yeux verts, Théo le serveur désagréable et cet homme au costume noir qui voulait m'acheter. J'avais de nouveau la nausée rien qu'en y repensant mais je ne laissais rien paraître. Je n'avais pas le choix. Je devais continuer à travailler, du moins jusqu'à ce que je rencontre celui qui ne voulait pas que je parte pour mettre les choses au clair avec lui. Je ne comptais pas me laisser faire plus longtemps. Tu sembles bien déterminée là !

- J'y retourne ce soir, Maddie.

Elle pâlit et je me sentis coupable de lui infliger cette peur qu'il m'arrive quelque chose de grave. Elle passa ses mains dans ses cheveux pour les tirer en arrière, les yeux fermés. Elle respirait rapidement. Je savais qu'elle se retenait de me traiter d'inconsciente à la manière dont elle se mordillait la joue.

- Je ne pourrais pas t'empêcher de travailler là-bas, dit-elle après quelques secondes de silence. Tu es une vraie tête de mule !

Je ne pus empêcher mes lèvres de s'étirer légèrement. Elle rouvrit enfin les yeux et les plongea dans les miens. Elle était fatiguée mais semblée également déterminée. Qu'est-ce qu'elle allait me dire ? Je connaissais ma cousine et je savais que lorsqu'elle avait ce regard, c'est qu'elle mijotait quelque chose. Elle avait une idée en tête et je savais dors-et-déjà que je n'aurais pas mon mot à dire.

- J'accepte que tu continues ton travail mais à une condition, exigea-t-elle en pointant son index dans ma direction. Je t'emmène et te ramène, et toi...

- Ça fait deux, constatais-je en souriant.

- Toi, poursuivit-elle en faisant comme si je n'avais rien dit, tu devras me tenir au courant. Toutes les heures, je veux un message pour savoir si tu es toujours vivante ou si je dois appeler les flics !

- C'est d'accord.

J'aurais dû me sentir rassurée de savoir que Maddie veillerait sur moi, que quoiqu'il pouvait m'arriver, je pourrais la contacter et qu'elle ferait le nécessaire. Pourtant, il n'en était rien. J'avais la conviction d'avoir enclenché un processus qui risquait de chambouler mon monde. Et j'étais effrayée. Je redoutais ce qui allait suivre.

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