Chapitre 5

Ana

- Active-toi Samantha !

Je suivis le serveur jusqu'aux vestiaires où il m'indiqua mon casier et ma tenue de travail qui ne manqua pas de me faire grimacer.

- Je suis obligée de porter ça ?

- Ne pose pas de question et habille-toi, répondit-il sèchement à ma question. Et vite !

Il referma la porte du vestiaire pour me laisser enfiler la robe beaucoup trop courte à mon goût. Le seul point positif était qu'elle couvrait entièrement mon dos et le haut de mes épaules. Par contre, mes jambes étaient nues et je n'avais pas de collant sur moi pour cacher mes cicatrices. Une nouvelle boule d'angoisse se forma dans mon ventre et remonta progressivement dans ma gorge pour bloquer ma respiration. La crise d'angoisse pointait à nouveau le bout de son nez. Je ne pouvais pas sortir comme ça. Tout le monde les verrait.

Paniquée, je cherchais dans les vestiaires quelque chose qui pourrait me servir à couvrir les traces de mon passé. Je ne trouvais qu'une trousse de maquillage qui contenait du fond de teint. Je soupirais de soulagement et remerciais intérieurement la fille qui avait laissé sa trousse ici. Ce n'était pas l'idéal, mais ça ferait l'affaire. J'enfilais la tenue tout en gardant mes chaussures basses, et m'empressais d'appliquer le maquillage sur mes jambes à l'aide d'un gros pinceau. Le résultat était très satisfaisant ; en me regardant dans le miroir, aucune marque n'était visible.

- Tu as terminé ? m'interrogea derrière la porte le serveur qui ne s'était toujours pas présenté.

- Oui !

Je regardais une dernière fois mon reflet dans le miroir. La robe qu'on avait exigé que je mette ne permettait pas à mes fesses d'être complètement couvertes mais en tirant sur le tissu, j'arrivais à atteindre une longueur convenable. Aucune marque sur mon corps n'était visible et mes chaussures plates me permettaient d'être stable dans mes appuis. J'étais rassurée.

Le serveur m'attendait impatiemment, adossé au mur en face de la porte qui fermait le vestiaire. Les bras croisés, il me lança un bref regard avant de m'entraîner à nouveau dans le salon VIP réservé aux mafieux. Mon cœur battait la chamade et ma conscience me reprochait mon inconscience. Je n'avais pas vraiment le choix, lui répondis-je avant de lui demander de la fermer pour me laisser penser à un échappatoire.

Lorsque je pénétrais dans le salon accompagné du serveur, toutes les conversations cessèrent et tous les regards se tournèrent vers moi. Encore. Machinalement, je tirais sur le bas de ma robe pour être certaine que personne n'aurait une vue dégagée sur mon postérieur. Je détestais être le centre de l'attention et ce soir, je l'avais été plus d'une fois. Je me forçais à garder la tête haute pour ne pas montrer mon manque d'assurance et mon angoisse à l'idée de servir ces gens qui devaient être tous plus dangereux les uns que les autres. Mon regard parcourra l'assemblée et je remarquais avec surprise que mon bourreau n'en faisait pas partie. Je ne repérais pas ses yeux remarquablement verts. Ne pas le voir m'enleva un poids ; je ne mourrais pas ce soir.

- Samantha ! m'appela le serveur de sa voix mal aimable.

Je le suivis derrière le comptoir où l'autre serveur s'affairait à réaliser des cocktails tous plus sophistiqués les uns que les autres. Il me fit un petit sourire en coin avant de disposer les verres sur un plateau qu'il me tendit :

- Table 5, fait-il simplement. Et au fait, moi c'est Isaac.

- Enchantée, dis-je en lui rendant son sourire.

Mes mains tremblantes saisirent le plateau que me tendait Isaac. Mon manque d'assurance était visible à des kilomètres à la ronde. Mais je n'avais pas le choix de faire comme si je maîtrisais la situation à la perfection.

- Les tables sont numérotées dans l'ordre chronologique, me souffla Isaac tandis que l'autre serveur prenait déjà de nouvelles commandes auprès des mafieux. Tu pars de la droite vers la gauche.

Je le remerciais doucement avant de me jeter dans la gueule du loup. J'avançais d'un pas hésitant, mes mains tenant le plateau comme si ma vie en dépendait. C'est sûrement le cas, d'ailleurs. Je ne prêtais pas attention à la petite voix dans ma tête qui tentait de me déstabiliser et continuais à avancer vers une table que j'identifiais comme étant la numéro 5. Silencieusement, je priais pour ne pas me tromper.

- Bonjour messieurs, voici vos boissons.

Il s'agissait de la table où j'avais repéré un pistolet. Il était toujours là, sagement posé près d'un des hommes qui me matait ouvertement. Son regard pervers me dégoutait mais ce n'était rien à côté de ce qu'il dit aux hommes assis à côté de lui, alors que je me penchais pour distribuer les cocktails :

- Selon vous, combien le patron accepterait-il de me la vendre ? J'ai besoin d'une présence supplémentaire dans mon lit...

Sa réflexion me retourna l'estomac. J'avais la nausée mais je ne laissais rien paraitre. J'imaginais parfaitement la pâleur de mon visage lorsque je me redressais et tournais les talons en direction du bar. Venait-il de suggérer qu'on pouvait m'acheter ? Et pour faire quoi au juste ? « J'ai besoin d'une présence supplémentaire dans mon lit ». Un nouveau haut-le-cœur s'empara de moi et instinctivement, je portais une main à la bouche. J'étais prête à vomir. Qu'est-ce qui m'avait pris ? Je me détestais d'avoir pris ses escaliers. De ne pas avoir pris mes jambes à cou dès l'instant où j'avais compris où j'avais atterri. De m'être fait passée pour cette serveuse. Je regrettais cette soirée. Mais j'étais à présent bloquée ici, avec ces hommes dangereux qui trempés probablement dans des réseaux sordides. Les larmes me montèrent aux yeux mais je les ravalais immédiatement.

- Ne les laisse pas t'atteindre, me rassura Isaac lorsque je revins pour prendre un nouveau plateau. Le patron leur interdit de toucher à son personnel féminin !

Ses paroles n'ont pas eu l'effet escompté. Je ne savais pas qui était ce fameux patron mais j'étais persuadée d'une chose ; j'étais en danger ici et rien ni personne n'empêcherait ces hommes hors-la-loi de me faire du mal. Ce n'était pas comme si c'étaient des saints...

[...]

- Samantha !

Le serveur désagréable qui s'appelait Théo, d'après ce que m'avait dit Isaac, m'appela pour la millième fois depuis le début de mon service.

- C'est l'heure de ta pause ! Tu as dix minutes, et pas une de plus !

Je passais une main dans mes cheveux pour écarter quelques mèches rebelles qui s'étaient échappées de ma queue de cheval. Une goutte de sueur qui s'était formée sur le haut de mon crâne perla le long de ma tempe. Je l'essuyais d'un geste de la main. Enfin une pause ! J'étais épuisée ! Qui aurait cru que le métier de serveuse était aussi éreintant ? Sûrement pas toi étant donné que tu n'as jamais travaillé, et encore moins en tant que serveuse !

Je m'empressais de rejoindre les vestiaires pour récupérer mon téléphone rangé dans mon casier. Lorsque je le déverrouillais, je poussais un petit cri d'effroi en voyant la montagne de messages et d'appels en absence, tous provenant de Maddie. Mon dieu ! J'avais laissé ma cousine sans nouvelle depuis ma fameuse crise d'angoisse. Elle devait être morte de peur ! Je décidais de la rappeler sans plus tarder. Elle répondit à la première sonnerie.

- Mais putain Ana ! hurla-t-elle dans le combiné. Où est-ce que tu es ? Tout va bien ?

Je pouvais entendre le tremblement dans sa voix. Elle avait pleuré et était inquiète. Je m'empressais de la rassurer, la culpabilité me serrant le cœur :

- Excuse-moi Maddie. Je suis toujours au Rockstore !

- Mais c'est impossible ! On t'a cherché partout avec Ethan, et tu n'étais nulle part !

- Je passais un entretien d'embauche pour être serveuse, mentis-je d'une petite voix, sachant que je ne pourrais jamais lui avouer exactement ce qui s'était passé.

Je l'entendis pousser un cri de colère.

- Depuis tout ce temps tu joues à la serveuse pendant que nous on s'inquiète ? Tu sais où on se trouve là avec Ethan ? Essaie de trouver pour voir...

Le ton de sa voix devenait menaçant. Elle était énervée. Plus que ça, elle semblait avoir envie de m'arracher les yeux. Je m'en voulais de ne pas l'avoir tenu au courant. Malgré les émotions qui m'assaillaient, j'aurai dû l'avertir lorsque j'étais aux vestiaires pour me changer deux heures plus tôt. Maintenant, elle m'en voulait à mort. Et c'était compréhensible.

- On est dans un putain de commissariat ! lâcha-t-elle dans un nouveau hurlement face à mon silence évoquant.

Je fermais les yeux, ne sachant pas quoi répondre pour ma défense. Parce qu'en réalité, rien ne pouvait justifier mon manque de précaution. J'aurais dû prévenir Maddie pour la rassurer, mais également pour ma sécurité. À aucun moment je n'avais imaginé que ma cousine pouvait penser qu'il m'était arrivé quelque chose de grave. C'était pourtant ce qui paraissait le plus plausible.

- Je viens te chercher, me prévint Maddie sans quitter son air grondant. Et j'attends avec impatience tes exp-

- Non ! m'écriais-je subitement.

Et je me dépêchais d'expliquer ma réaction subite :

- Je termine mon service dans une heure ! Ne viens pas avant...

La peur s'empara de moi. Maddie ne devait pas voir de ses yeux dans quelle partie du club, mais surtout quel genre d'hommes je servais durant mon travail. Je m'étais déjà fourrée dans les ennuis, et je refusais de l'y entraîner à son tour. Je redoutais sa réponse qui ne tarda pas à arriver :

- Ok. Je serai là !

Et elle raccrocha.

[...]

C'était la fin de mon service. Je débarrassais les derniers verres qui traînaient sur les tables basses avant de rejoindre les vestiaires pour me changer et récupérer mes affaires dans mon casier. Je me frottais les yeux pour me maintenir éveillée. Il était près de cinq heures du matin et j'étais éreintée. Mon corps, qui avait subi de nombreuses séquelles, n'était pas habitué à fournir un tel effort physique. La douleur de mes blessures s'était réveillée, et celle dans mon dos était particulièrement pénible.

Pour rejoindre la sortie, j'empruntais le même chemin qui m'avait mené jusqu'ici mais en sens inverse. En repassant dans le salon, je saluais Isaac qui nettoyait le plan de travail. Il me répondit d'un signe de la main avant de reprendre sa tâche. Théo, qui était à la caisse, me demanda de venir. Sans relever la tête dans ma direction, il me tendit une enveloppe. J'écarquillais les yeux de surprise en découvrant son contenu.

- Pourquoi tout cet argent ? demandais-je en comptant les billets.

- C'est le salaire pour servir ici, répondit-il simplement.

Il continuait à faire les comptes tandis que moi, je n'arrivais pas à lâcher des yeux la liasse de billets. Tout cet argent... C'était énorme pour une seule soirée de service. Mais la somme importante me rappela le danger que je courrais à servir dans ce lieu, et surtout ces hommes. Je tenais probablement de l'argent sale entre mes mains et les paroles que l'homme en costume noir avait prononcé un peu plus tôt me firent frémir. « J'ai besoin d'une présence supplémentaire dans mon lit... ». Je ne pouvais pas continuer. La petite voix dans ma tête me confirma que c'était une très sage décision.

- Je ne veux pas de cet argent, dis-je d'une voix déterminée. Je ne reviendrai pas !

Je reposais l'enveloppe sur la caisse mais, à mon plus grand étonnement, Théo ne fut pas surpris de ma réaction. Je pouvais même remarquer un petit sourire se dessiner sur ses lèvres.

- Le patron savait que tu dirais ça, commença-t-il à m'expliquer.

Je fronçais les sourcils, n'aimant pas la tournure que la conversation commençait à prendre. Qui était ce fameux patron ? Et comment savait-il que je ne désirais pas continuer à servir ces mafieux ? D'autres questions m'assaillirent, me donnant la migraine. J'attendais impatiemment la suite de son explication.

- Il compte sur ta présence demain soir, reprit-il ce qui me fit ouvrir la bouche d'incompréhension.

Et il ajouta, en relavant la tête pour me regarder avec son sourire en coin :

- Et tous les autres soirs de la semaine.

Je m'offusquais, refusant catégoriquement qu'on me force la main. Il n'était pas question que je continue à travailler ici, et je le fis bien comprendre au serveur dont le sourire en coin commençait à m'agacer. Il prenait plaisir à me voir manifester ma réprobation. Il se moquait de me voir aussi contrariée, comme s'il savait quelque chose que j'ignorais. Et je compris son amusement lorsqu'il prit la parole :

- Le patron m'a demandé de te prévenir... Il sait où tu habites, et avec qui. N'oublie pas que tu as sauté, les yeux fermés, dans la fosse aux lions. Ici, le danger rôde partout.

Mon sang se glaça dans mes veines et ma respiration se coupa. Théo rigola sèchement avant de baisser une nouvelle fois les yeux sur la caisse pour reprendre ses calculs là où il s'était arrêté quelques minutes plus tôt. Mes yeux qui trahissaient ma terreur cherchaient du regard Isaac qui n'avait pas raté une miette de notre conversation. Il me regardait lui aussi. Son visage ne laissait rien paraître. Je ne pouvais percevoir aucune émotion. Même son regard était vide malgré mes yeux suppliants. Je compris alors que j'étais prise au piège. Prisonnière d'une situation que j'avais moi-même initiée. J'étais écœurée et terrifiée par les évènements qui se succédaient, m'entraînant dans un monde dangereux auquel je ne désirais pas faire partie. Je m'enfonçais dans un gouffre profond et je sentais que j'allais perdre pied.

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