Chapitre 4

Ana

- Bienvenue au Rockstore !

Après avoir attendu une bonne demi-heure dehors, le videur nous laissa enfin entrer dans la boîte de nuit appelé « le Rockstore ». Curieux comme nom de boîte ! commenta ma conscience. À peine avais-je franchis le seuil de la lourde porte métallique que la musique explosa dans mes oreilles. Le contraste avec l'extérieur était saisissant.

Nous empruntâmes un long couloir dont les murs étaient entièrement recouverts de miroirs. Nos silhouettes se reflétaient en double. Non en triple. Je ne savais plus reconnaître la vraie Maddie de ses reflets. Des éclairages au plafond diffusaient une lumière tamisée dans les tons violets. L'ambiance était pensée pour nous déboussoler, nous couper du monde. Et ça fonctionnait. J'étais complétement désorientée. Maddie qui sentait ma détresse se saisit de ma main. Elle m'intima d'avancer plus vite, euphorique à l'idée de la soirée qui nous attendait. Tandis que moi, mon angoisse grossissait de secondes en secondes. Plus nous approchions, plus la musique était assourdissante et la chaleur étouffante.

Bientôt, un épais rideau noir nous barra le chemin. Ethan, qui marchait en tête, tira une extrémité, dévoilant l'intérieur de la boite. J'écarquillais les yeux de surprise. La pièce au design moderne était immense. Là encore, de nombreux miroirs étaient apposés sur les murs, offrant une occasion parfaite pour prendre des photos entre amis. Au centre, à travers les fumées et les lumières tamisées, je remarquais une estrade sur laquelle jouait un artiste particulièrement adulé à en croire l'ambiance folle qui émanait de la piste de danse. Plusieurs podiums étaient également répartis au quatre coins de la pièce, permettant à des danseuses de performer sur des barres de pôle dance. En levant les yeux au ciel, je remarquais un plafond de verre qui laissait apercevoir un salon VIP, décoré dans les mêmes tons. Je suivis du regard un groupe d'hommes qui commandaient des boissons au bar avant de prendre place sur des fauteuils violets qui entouraient une table basse. Ils discutaient entre eux, ce qui me fit dire que l'ambiance était moins sonore et agitée qu'à notre étage. La curiosité s'empara de moi en réalisant qu'aucune femme n'était présente. Il n'y avait que des hommes, habillés de costumes sombres.

Un garçon qui semblait plus âgé que moi me bouscula, me sortant de ma contemplation. Je remarquais alors que j'étais toujours positionnée devant le rideau, gênant ainsi l'entrée. Le garçon s'excusa et je fis de même avant de chercher du regard ma cousine et Ethan. Je les repérais quelques mètres plus loin. Ils ne s'étaient pas aperçus que j'étais restée en retrait et se dirigeaient d'un pas rapide vers le bar, situé près de l'estrade. Je m'empressais de les rejoindre avant de les perdre dans la foule.

Autour du bar, tous les tabourets étaient occupés et une file grandissait à vue d'œil près des caisses. Quatre barmans s'affairaient à préparer les boissons et à encaisser les clients en un temps record. Même mes yeux n'allaient pas suffisamment vite pour suivre leurs mouvements.

- Tu veux boire quelque chose ? me demanda Maddie en hurlant dans mes oreilles pour se faire entendre.

Je me rapprochais et regardais dans la même direction qu'elle. Son regard scrutait la carte inscrite à la craie sur des tableaux noirs. Je ne connaissais aucune des boissons qu'ils proposaient, peu habituée à boire de l'alcool. Je décidais donc de prendre comme ma cousine ; un Sex on the Beach. Accoudée au comptoir, j'observais discrètement la manière dont le serveur dévisageait Maddie. Il semblait complétement sous son charme mais ma cousine, comme à son habitude, ne remarqua rien et attrapa nos cocktails sans un regard au jeune garçon. Ethan attendit son verre de vodka avant de nous payer cette première tournée.

Nous nous écartâmes à la recherche d'un mince espace dans lequel nous pourrions boire nos boissons alcoolisées sans risquer d'être bousculés et d'en renverser leur contenu.

- L'ambiance de cette boîte est dingue ! s'écria Maddie en me tendant mon verre.

Je ne partageais pas vraiment son avis. D'aussi longtemps que je me souvienne, je n'avais jamais mis les pieds dans une boîte de nuit mais une chose était sure, la masse de personnes autour de moi allait être un problème. Je n'aimais pas les foules, et ce n'était sûrement pas aujourd'hui que ça allait changer. Mais face à la joie qu'affichait le visage de ma cousine, je décidais de ne rien dire et me contentais de hocher la tête. Rassurée de voir que j'acquiesçais, elle but plusieurs gorgées du cocktail. À mon tour, je basculais la tête en arrière pour goûter la liqueur. L'alcool me brula la gorge, je pouvais sentir son chemin jusque dans mon estomac. Beurk ! Ma conscience m'arracha les mots de la bouche. Face à ma grimace, Ethan rigola.

- L'alcool n'est pas ton fort ?

- Je préfère le jus d'orange, dis-je pour plaisanter.

Son rire se transforma en sourire en coin et il trempa délicatement ses lèvres dans son verre, les yeux ancrés dans les miens. Il me narguait, je le sentais. Je pris alors une nouvelle gorgée de mon cocktail et retenais une grimace pour faire taire ses moqueries silencieuses.

- Et si on allait danser ? nous questionna-t-il.

Je sentis mon sang se glacer dans mes veines. Mes doigts qui emprisonnaient mon verre resserrèrent leur emprise, si bien qu'il pouvait se briser à tout moment. Danser ? Je me tournais mécaniquement vers l'attroupement qui s'était formé sur la piste de danse. Au milieu de tout ce monde ? Mon cœur rata un battement et je lâchai un hoquet de surprise.

Mais avant que je ne puisse émette le moindre son, Maddie se débarrassa de son gobelet et nous poussa vers la piste de danse avec une force que je ne lui connaissais pas. Allez Ana ! Tu peux le faire... pour Maddie, m'encouragea la petite voix dans ma tête.

Je fus soulagée lorsqu'elle s'arrêta à quelques mètres de la masse, nous laissant ainsi de l'espace pour danser et... respirer. La boule dans mon ventre se dissipa lorsque je réalisais que je n'allais pas faire une crise de panique. Finalement, ce n'était pas si mal. Progressivement, j'arrivais à détendre mon corps encore crispé et lorsque les premières notes d'une de mes chanson préférées résonnent dans les haut-parleurs, je lâchais même un cri de joie. J'imitais ma cousine et levais les bras à mon tour pour bouger au rythme de la musique. Autour de moi j'entendais chanter, hurler. Maddie s'époumonait avec moi et Ethan se moquait gentiment de notre hystérie. Les minutes passèrent à une vitesse folle. J'avais perdu la notion du temps. Depuis combien de temps je me déhanchais sur cette piste ? Je n'en savais rien et je m'en foutais parce que pour une fois, je m'amusais sans la crainte que mon anxiété ne vienne tout gâcher. J'avais le contrôle, alors que je continuais à danser avec ma cousine. Ethan s'était éloigné de nous pour aller discuter avec une fille qu'il trouvait mignonne, pour reprendre ses propres mots.

Mais je regrettais immédiatement cet élan de confiance lorsqu'une musique à mode en ce moment résonna dans mes oreilles, invitant tous ceux qui n'étaient pas sur la piste à se joindre à nous pour hurler en cœur les paroles. Les gens s'attroupèrent, me bousculant pour danser, et je me retrouvais prise en sandwich.

Je sentais la panique me saisir la gorge et la serrer durement. J'avais besoin d'air. Il faisait beaucoup trop chaud et la chaleur m'asphyxier. Je ne voulais pas mourir. Je tournais sur moi-même pour trouver un chemin vers le calme. Mais les lumières tamisées et les fumées s'échappant de bombes au sol brouillaient ma vue. Je cherchais Maddie. Je savais qu'elle était quelque part autour de moi mais c'était comme si ma raison s'était mise sur le mode « off ». Je ne reconnaissais plus rien. Je ne distinguais plus le visage de ma cousine.

Très vite, mes yeux s'embuèrent. Mon cœur cognait de plus en plus fort et je craignais de faire un malaise au milieu de cette foule qui risquait de me piétiner jusqu'à ma mort. Mais soudain, tout bascula et je perdis totalement le contrôle. Mon cerveau ne parvenait plus à distinguer le vrai du faux, l'imaginaire de la réalité. Oh non !

Bientôt, les étudiants éméchés qui se défoulaient autour de moi se transformèrent en une horde de journalistes, repoussée par la police et les médecins qui déchargeaient du matériel rangés dans les ambulances. Je sentais un tuyau profondément enfoncé dans ma gorge qui m'empêchait de respirer. J'essayais de l'arracher mais mon cerveau ne commandait plus mon corps et ma main refusait de m'aider. Laissez-moi respirer ! J'hurlais de toute mes forces dans ma tête, les larmes inondant mes joues. Une douleur immense irradiait dans tout mon corps, c'était insoutenable. Les sirènes des pompiers me rendaient presque sourdes et une lumière au-dessus de ma tête m'empêchait de voir correctement. Tout à coup, j'entendis qu'on m'appelait, quelqu'un hurlait mon prénom à en perdre la vie. Il fallait que je lui réponde, que je lui dise que j'allais bien.

Mais quelqu'un me percuta brutalement, me ramenant à la réalité. Un liquide froid se renversa sur moi et me fit l'effet d'un électrochoc. Sans prendre le temps de m'excuser, je me précipitais vers des escaliers en colimaçon. Je voulais fuir cette foule, cette piste de danse, cette musique beaucoup trop forte et cette chaleur étourdissante. Il me fallait un endroit paisible où je pourrais reprendre mes esprits et arrêter le tremblement incessant de mes mains. Les toilettes me semblaient être une bonne option. Mais où étaient-ils bon sang ?

Au fur et à mesure que je grimpais les marches, la musique s'estompait pour laisser la place à un grésillement désagréable dans mes oreilles. Alors persuadée que cette direction me mènerait au calme, je continuais mon chemin. Mais je regrettais presque immédiatement ma décision lorsque les escaliers me firent déboucher sur le salon VIP.

Je me stoppais net sur la dernière marche des escaliers. En même temps, à quoi tu t'attendais en grimpant là-haut ? me gronda ma conscience qui faisait son grand retour. En jetant un regard rapide sur les différentes tables, je fus soulagée de constater que personne ne semblait avoir remarqué ma présence. Tous les hommes présents dans le salon discutaient à voix basse, s'épiant discrètement. La pièce était parfaitement isolée du bruit qui régnait un étage plus bas, si bien qu'on pouvait entendre mon cœur battre à une vitesse folle. Une ambiance étrange régnait ici et mon instinct me criait de déguerpir, que c'était dangereux et que je risquais des ennuis si je me faisais attraper ici. Ok ! Ana, on se casse d'ici !

Je retins ma respiration, prête à faire demi-tour, lorsqu'un objet sur l'une des tables attira mon attention. Je fronçais les sourcils, incapable, à cette distance, de discerner distinctement de quoi il s'agissait. On aurait dit un... Oh non ! C'en était bien un ! Il y avait un putain de pistolet sur cette table, posé près du verre d'un homme en costume noir. Sentant un nouvel élan de panique me saisir brutalement, je me retournais pour partir loin. Très loin. Et au diable la discrétion ! Mais mon élan fut interrompu par un obstacle. Il n'y avait pas de mur à cet endroit tout à l'heure, remarqua la petite voix dans ma tête. Tout en me frottant le nez que je venais de cogner, j'ouvris les yeux et tombais nez-à-nez avec... un torse ? Il devait être très grand pour...

- Qui es-tu et qu'est-ce que tu fous ici bordel ?

Je déglutis face à l'imposante carrure de l'homme qui me barrait le chemin. Sa voix rauque avait résonné si fort qu'elle avait fait trembler mon corps tout entier. Si ma présence était jusqu'à présent passée inaperçue, voilà que tout le monde avait à présent les yeux rivés sur moi. J'étais le centre de l'attention. Même le serveur avait arrêté tout mouvement, curieux de comprendre ce qui était en train de se passer sous ses yeux. C'était le début des ennuis. Des gros ennuis. Et je ne rêvais que d'une chose, disparaître.

- Je t'ai posé une putain de question ! beugla-t-il une nouvelle fois à mon encontre.

Sa voix me terrorisait et je n'osais pas lever les yeux dans sa direction. Je restais figée, attendant ma sentence. Faites qu'elle arrive vite ! Et soudain, un miracle :

- Purée ! Mais où est cette saleté de serveuse ? Même pas foutue d'être à l'heure pour son premier jour !

Une voix inconnue provenant des escaliers s'éleva. Bientôt, un deuxième serveur apparut dans mon champ de vision. Un téléphone scotché contre son oreille, il tentait de joindre quelqu'un.

- Elle ne- commença mon bourreau.

Et là, sans que j'eue conscience à ce moment précis de l'énorme bêtise que je m'apprêtais à commettre, je m'empressais de lui couper la parole :

- C'est moi !

J'affichais un large sourire au serveur qui me dévisageait de haut en bas. Son regard insista sur mes mains tremblantes qui trahissaient mon état de stress. Je les cachais précipitamment dans mon dos, en gardant toujours le même sourire sur les lèvres. J'étais au bord du malaise mais si je voulais m'en sortir vivante, il fallait que je crois en mon mensonge.

- Ma voiture est tombée en panne et avec tout ce monde... Je suis vraiment désolée pour mon retard, ça ne se reproduira plus !

Le serveur m'étudia encore un instant avant de lever les yeux vers l'homme qui se tenait toujours face à moi. Son imposant corps n'avait pas bougé d'un millimètre et je pouvais deviner la montagne de muscles qui se cachait sous cette chemise noire. J'imitais le serveur et mon cœur s'arrêta presque de battre lorsque mon regard s'accrocha au sien. Ses yeux émeraudes derrière ses boucles brunes étaient magnifiques. Mais également froids et redoutables. Ils étaient effrayants autant qu'incroyablement beaux. Puis, après une fraction de secondes à s'observer, son expression changea. Il passa de la colère à l'incompréhension. Je cru même apercevoir un éclair de terreur traverser ses iris. Non, je crois juste que tu es démasquée !

- C'est imposs- commença-t-il avant d'être une nouvelle fois interrompu.

- C'est toi la Samantha qu'on attend depuis une heure ? hurla le serveur, toujours dans les escaliers.

- Oui.

Quoi ? Je suis dans la merde.

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