Chapitre 3

Ana

Debout devant les cabines d'essayage, je soufflais ma mauvaise humeur. La vendeuse le remarqua. Elle aussi semblait exaspérée mais gardait le sourire malgré tout. J'admirais son attitude professionnelle pourtant mise à rude épreuve. Nous attendions que Maddie se décide sur sa tenue. Les secondes s'étaient transformées en minutes, et les minutes en heures. Le temps me semblait vraiment interminable. Derrière le calme olympien de la vendeuse, je pouvais deviner qu'elle ne désirait qu'une chose ; que nous sortions au plus vite de sa boutique pour enfin rentrer chez elle et profiter de sa soirée après une journée sûrement éprouvante.

Après notre après-midi à la plage, Maddie m'avait traîné jusqu'au centre-ville de Miami pour trouver une robe de dernière minute avant la soirée de ce soir. J'étais persuadée que tout serait fermé mais j'avais eu la surprise de constater que presque la totalité des boutiques étaient encore ouvertes, au plus grand bonheur de ma cousine. 

La musique qui se répétait en boucle dans le petit magasin était assourdissante. Elle m'écorchait les oreilles. Ma tête était chaude, sur le point d'exploser. Une dernière cliente me bouscula pour se frayer un chemin à travers les rayons jusqu'à la sortie. Je bougonnais des insultes dès qu'elle me tourna le dos en la foudroyant du regard.

- Ana ! m'appela Maddie depuis sa cabine. J'ai besoin de toi.

Je remontais mon sac cabas sur mon épaule avant de m'avancer. Tout à coup, la tête de ma cousine surgit à travers le rideau satiné.

- Tu pourrais remonter la fermeture éclair dans me dos ?

Puis elle ajouta :

- Je crois bien que c'est la bonne !

Alléluia ! s'écria ma conscience qui venait juste de reparaître. Elle passa une main sur son front pour essuyer de la sueur imaginaire. Qu'elle comédienne ! Mais où était-elle quand je m'ennuyais à mourir en attendant que ma cousine se décide à choisir une robe ?

- Ana ? Tu es avec moi ?

Je secouais la tête pour sortir de ma torpeur. Courage Ana ! C'est bientôt terminé.

- Oui. Je vais t'aider !

Je rentrais à mon tour dans la cabine en lançant un regard plein d'espoir en direction de la vendeuse. Mais celle-ci semblait trop absorbée par un défaut sur une des robes que Maddie avait essayé pour me remarquer.

L'espace était réduit mais nous tenions facilement à deux. Maddie tenait sa robe pour ne pas qu'elle tombe tandis que je remontais la fermeture. Je relevais ensuite la tête pour admirer son reflet dans le miroir. La robe qu'elle portait était blanche, courte et serrée à la taille, mettant en valeur sa silhouette élancée. La couleur faisait ressortir les marques de bronzage sur ses épaules dénudées. J'étais stupéfaite par la beauté qui émanait de ma cousine. Je n'avais encore jamais remarqué à quel point elle était belle, et le mot était faible. Tout ce que tu ne seras jamais, me rappela ma conscience.

- Putain ! ne pus-je retenir un juron.

Mon regard remonta le long de son corps. Mince, tonique, bronzée... Tout le contraire de toi ! Je giflais ma conscience pour qu'elle se taise. Lorsque mes yeux atteignirent le reflet de son visage dans le miroir, je fus soulagée de constater qu'elle souriait. Ses lèvres s'étirèrent un peu plus, jusqu'à atteindre ses oreilles. Elle semblait décidée.

- Elle me semble être idéale, dit-elle en se tournant vers moi.

Ses yeux observèrent sa jolie cambrure d'un air satisfait.

- Je la prends !

Après avoir payé au comptoir, la vendeuse nous souhaita une bonne fin de journée. Elle semblait vraiment heureuse de nous voir partir - et moi de même. Je la saluais à mon tour puis Maddie m'attira à l'extérieur du magasin.

- Je n'ai pas été trop longue ?

- Deux minutes de plus et je t'étranglais ! j'ironisais.

Ma cousine se confondit en excuses. Je haussais les épaules pour lui signifier que ce n'était pas si grave. Elle continuait à s'en vouloir mais je n'écoutais plus, trop concentrée à admirer la grandeur de la ville avec ses grands immeubles et ses quartiers animés. Il y avait beaucoup de monde et les trottoirs étaient trop étroits. Je n'hésitais pas à jouer des coudes pour me frayer un chemin. De l'autre côté de la rue, mes yeux repérèrent la façade d'une librairie toujours ouverte. J'étais fascinée par cette ville qui continuais de vivre même après la tombée de la nuit. 

- Tu m'accompagnes ? posais-je la question à Maddie en montrant du doigt le magasin.

- Je te dois bien ça pour t'avoir fait poireauter devant les cabines d'essayage !

Je m'arrêtais au passage piéton et quelques instants plus tard, le petit bonhomme changea de couleur. Je m'avançais, le nez levé vers le ciel obscur parsemé de milliers d'étoiles. Je ne connaissais pas la ville avant mon arrivée en Floride et mes yeux observaient, émerveillés. Les hauts buildings me cachaient de la vue de la lune pleine. Je traversais sans m'arrêter. Tout à coup, le bruit d'un klaxon m'arracha une grimace et Maddie me tira violemment en arrière. Une voiture me dépassa à toute vitesse en brulant le feu rouge.

- Les gens sont tarés dans cette ville ! s'écria-t-elle sans lâcher mon bras.

[...]

Je grimaçais dans le miroir, presque désespérée. Il était évident que mes cheveux refusaient de coopérer ce soir. Pourtant décidée à ne pas me laisser faire, je donnais un nouveau coup de brosse dans ma tignasse. Mais ma tentative de rébellion fut vaine. Excédée, je foudroyais du regard mon reflet. Voilà qui t'apprendra à vouloir te faire un brushing, se moqua la petite voix dans ma tête. Mes yeux jugèrent une dernière fois mes boucles châtains qui descendaient jusque dans le creux de mes reins. Je grinçais des dents en retenant un grognement. Et puis merde ! Je saisis un élastique pour faire une queue-de-cheval. C'est beaucoup mieux !

Un simple coup d'œil à l'écran de mon téléphone m'informa que j'étais en retard. Maddie devait m'attendre dans le salon, les bras croisés et les pieds tapant le sol. Mon cœur cognait fort dans ma poitrine. J'avais une boule au ventre à l'idée de sortir... faire la fête. Tu sais ce que c'est toi, se rendre à une soirée ? Ma conscience toucha du doigt un point sensible. Je me demandais si j'avais déjà fait des soirées avant mon accident. C'était très dérangeant cette impression d'apprendre à vivre pour la première fois. J'avais accompagné ma cousine à plusieurs reprises à des soirées lorsqu'elle me rendait visite sur la côte californienne, mais jamais en boîte de nuit.

- Ana ! ma sœur hurla mon prénom dans l'appartement.

Elle semblait être vraiment agacée par le temps que je prenais pour me préparer. Pour une fois que c'était moi... et pas elle. Je m'empressais d'enfiler mes sandales puis me redressais. Je portais un pantalon ample blanc et un débardeur de la même couleur pour faire ressortir la peau hâlée de mes bras. Après avoir vérifié scrupuleusement dans le miroir qu'aucune de mes cicatrices n'étaient visibles, j'affichais un faux sourire pour me donner de la contenance.

Je rejoignis Maddie qui me jeta presque les clés de voiture dans la figure. Je les attrapais en plein vol. Elle me scruta de ses yeux lourdement maquillés d'où ressortais la couleur noisette de ses prunelles.

- Qu'est-ce que tu es longue !

Je levais les yeux aux ciel face à sa remarque avant de la suivre sur le seuil de la porte. Puis elle ajouta :

- Mais ça valait le coup. Cette tenue te met clairement en valeur ! Tu es magnifique !

J'attrapais mon sac à main accroché au porte-manteau pour y ranger mon téléphone et quelques pièces de monnaie. Dehors, l'air était agréable et la brise légère vint faire virevolter quelques mèches de mes cheveux attachés sur le haut de mon crâne. Il était minuit passé mais le stress avait remplacé la fatigue.

Maddie me confia sa voiture pour la totalité de la soirée comme elle comptait boire ce soir. Installée derrière le volant, je suivis les indications de ma cousine qui me guidait, les yeux rivés sur le GPS. Après une bonne demi-heure de route, je me garais sur le parking bondé de la boîte de nuit. On pouvait voir la file d'attente de très loin. Il y a avait un nombre impressionnant d'individus devant l'entrée, certains faisant sagement la queue et d'autres formant des petits groupes de tous les côtés de la file d'attente. J'avais rarement vu un tel rassemblement, m'indiquant que la boîte de nuit dans laquelle m'avait amené Maddie était particulièrement fréquentée.

Ma cousine sortit de l'habitacle, sautillant presque sur place. Ses talons hauts claquaient sur le bitume. Je fermais la portière et verrouillais la voiture avant de fourrer les clés dans le fond de mon sac à main. La boule de stress prenait de plus en plus de place dans mon ventre. Je craignais qu'elle explose, ou qu'elle m'étouffe à force de grossir.

Maddie m'entraîna à sa suite vers la file qui grandissait à vue d'œil devant l'entrée de la boîte. Je n'hésite pas à jouer des coudes pour parvenir à me frayer un chemin parmi tous les jeunes qui surpeuplaient les alentours. D'un œil vigilant, je surveillais ma cousine. J'étais terrifiée à l'idée de me retrouver seule au milieu de cette foule oppressante. À mesure que nous approchions de l'entrée, la foule devenait plus compacte. Je sentais mon cœur s'affoler et prise de panique, j'arrêtais d'avancer. Pétrifiée sur place, je ne pouvais plus faire le moindre mouvement. J'avais besoin de retrouver mon souffle mais la chaleur émanant des corps qui m'encerclaient ne me facilitaient pas la tâche. Nullement avantagée par ma taille, j'étais bousculée de tous les côtés et piétinée. Je ne voyais pas plus haut que les épaules des gens qui m'encerclaient. Soudain, je fus violemment poussée sur ma droite. Mon pied se tordit maladroitement et, de manière instinctive, je levais les bras au niveau de mon visage pour le protéger. Je n'avais plus qu'à attendre. Le choc ne devait plus tarder. Et pourtant si, il tarda. Un peu trop même. Puis, je sentis quelqu'un me saisir fermement par les épaules, m'empêchant ainsi de m'étaler par terre et de salir mes vêtements blancs.

- Attention !

C'était une voix d'homme, qui ne se voulait pas méchante. Je chassais les mèches de cheveux échouées sur mon visage, avant de lever les yeux vers l'inconnu. Je remarquais avec surprise qu'il rigolait. C'était troublant. Je lui fis remarquer :

- J'ai quelque chose sur le visage ?

- Absolument pas.

Il me tenait toujours par les épaules, pensant peut-être que je ne savais pas me tenir debout toute seule. Devant mon air interrogatif, il lâcha un nouveau rire. L'attitude de ce garçon commençait vraiment à m'énerver.

- Qu'est-ce qui est si amusant ?

Mais je regrettais immédiatement le ton sec de ma voix. Cet étudiant m'avait quand même empêché de me ridiculiser, et je l'agressais presque. Après tout, il était peut-être un peu éméché et je supposais que me voir à deux doigts de m'écraser comme une crêpe sur le sol l'avait fait rire.

- Excuse-moi. J'aurais dû commencer par te remercier de m'avoir rattrapé.

Son sourire ne le quittait pas.

- Je ne me moquais pas de toi, m'assura-t-il en me lâchant enfin. Je trouvais juste amusant cette première rencontre Ana.

J'écarquillais les yeux. Est-ce que ma mémoire me jouait encore des tours ou était-ce lui qui me confondait avec quelqu'un d'autre ? Je fis l'effort de fouiller dans mes souvenirs. Mais son visage ne me parlait pas. Je voulais lui dire quand soudain, Maddie apparu dans mon champ de vision. Elle courut presque jusqu'à nous.

- Ethan ! Heureusement que tu es là, le remercia-t-elle en reprenant son souffle. Où étais-tu Ana ?

Je ne comprenais pas la scène qui se déroulait sous mes yeux. Devant mon air affolé, l'inconnu m'apporta une explication.

- Je suis Ethan, un ami de ta cousine, se présenta-t-il en me tendant une main que je serrais. Elle était vraiment impatiente que tu viennes vivre avec elle.

Maddie enchaîna :

- C'est lui qui a eu l'idée de venir ici ce soir. Il voulait te rencontrer !

Je soufflais, rassurée. Ma mémoire fonctionnait toujours.

- Enchantée de te rencontrer aussi, Ethan.

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