Chapitre 28
Jace
La nuit était tombée depuis longtemps et la Lune, haute dans le ciel, baignait la chambre d'une lueur argentée. Des nuages sombres dérivaient lentement, cachant par intermittence les étoiles dans le ciel. Le vent soufflait doucement, faisant bruisser les feuilles des arbres et apportant une fraîcheur bienvenue. L'air de cette soirée offrait un contraste apaisant avec la chaleur étouffante de la journée écoulée.
Je me tenais sur le balcon, une cigarette allumée entre les doigts, le regard perdu dans le paysage nocturne. J'inspirai profondément, laissant la fumée envahir mes poumons avant de la relâcher lentement en un mince filet de vapeur grise. La lueur rougeoyante de la cigarette dans l'obscurité éclairait brièvement mon visage. Chaque bouffée semblait apaiser pour une courte durée l'agitation qui régnait en moi. Mais la tranquillité apparente de la nuit ne suffisait pas à chasser mes pensées troublées.
J'aimais ces moments de solitude où je pouvais m'évader du chaos de mes pensées, du tumulte de mes émotions. Mais ce soir, même la paix relative de la nuit ne suffisait pas à m'apaiser. Mon esprit restait captif des événements récents.
L'image d'Ana, terrifiée et vulnérable, me hantait. Je ne pouvais chasser de ma mémoire le souvenir de son regard empli d'effroi. Ses supplications résonnaient en boucle dans ma tête, refusant de me laisser en paix. Je m'en voulais de ne pas avoir été en mesure de me retenir. J'avais laissé cette noirceur en moi prendre le contrôle.
Lorsqu'elle était rentrée un peu plus tôt, accompagnée de Clayton, elle s'était précipitée dans sa chambre, sans même un regard dans ma direction. Elle n'était même pas descendue manger. C'est Clayton qui s'était chargé de lui amener le repas et moi, je n'avais pas osé émettre la moindre remarque.
Je me souvenais de son visage, pâle et marqué par la peur. De ses mains, tremblantes lorsqu'elle avait passé le seuil de la porte. Clayton m'avait jeté un regard rapide, une sorte d'avertissement silencieux, avant de disparaître dans les escaliers derrière elle. Le poids du silence qui avait suivi était presque insupportable, me poussant à réfléchir aux erreurs que j'avais commises.
J'écrasai ma cigarette dans le cendrier posé sur la balustrade, écoutant le léger crissement alors que la braise s'éteignait. La fumée s'élevait en volutes paresseuses, se dissipant rapidement dans l'air frais. Mes mains tremblaient légèrement, un signe de l'agitation intérieure que je tentais de dissimuler. La froideur calculatrice que j'avais exhibée n'était qu'une façade, une barrière que j'érigeais pour me protéger, pour ne pas montrer à quel point j'étais moi-même terrifié.
Je m'appuyai sur la balustrade, mes doigts serrant le métal froid, tentant de trouver un semblant de réconfort dans la solidité sous mes mains. Le silence de la nuit était seulement troublé par le léger bruissement des feuilles et le souffle du vent qui balayait la surface de l'eau de la piscine. La tranquillité de la scène contrastait cruellement avec le chaos qui régnait dans mon esprit.
Je repensai à Clayton, à la façon dont il avait regardé Ana avec cette inquiétude protectrice. Peut-être qu'il avait raison de me juger, de me tenir à distance. Peut-être valait-il mieux qu'Ana reste éloignée, pour sa propre sécurité. Mais cette pensée m'était insupportable. Même si une part de moi était reconnaissante qu'il soit là pour la protéger, une autre part ressentait une jalousie mordante.
Je soupirai profondément, mes épaules s'affaissant sous le poids de la culpabilité. Les paroles d'Aaron résonnaient encore dans ma tête : « Tu ne vois donc pas que cette fille ne nous attire que des ennuis ». Cette conversation téléphonique avait semé le doute en moi et déclenché une série d'événements incontrôlables. Ana était-elle là pour se venger et nous nuire ? Quelque chose, au plus profond de moi, me disait le contraire. Mais comment pouvez-t-elle avoir oublié notre rencontre ? La confusion et l'incertitude me donnaient la migraine.
En jetant un dernier coup d'œil à la nuit paisible, je rentrai à l'intérieur de la chambre, fermant la porte du balcon derrière moi. La chambre était plongée dans une pénombre apaisante, ce qui contrastait avec mon agitation intérieure.
J'avais besoin de la voir.
En sortant dans le couloir pour me diriger vers sa chambre, je ressentis une vague de culpabilité et de détermination mêlées.
Alors que je posais la main sur la poignée, j'entendis des pas derrière moi. Clayton se tenait là, les bras croisés, son regard perçant me scrutant avec une intensité désarmante.
- Qu'est-ce que tu fous ? me demanda-t-il sèchement. Elle s'est sûrement déjà endormie !
Je fis un effort pour maîtriser la frustration qui montait en moi. La proximité qu'il avait réussi à installer avec elle me devenait de plus en plus insupportable. Ana semblait lui faire confiance et l'apprécier. Peut-elle s'était-elle déjà confiée à lui ? L'idée qu'elle ait pu lui partager ses peurs et ses doutes, ou encore la vérité sur ses intentions, me fit grincer des dents.
- Je ne viens pas pour parler, répondis-je amèrement.
Mon ami secoua la tête, un soupir résigné s'échappant de ses lèvres.
- Après tout, c'est toi qui décides !
Me tournant le dos, il repartit en direction de sa chambre, me laissant à nouveau seul dans le couloir.
J'ouvris la porte doucement, la chambre baignant dans une pénombre presque totale. Une petite lampe de chevet éclairait faiblement un coin de la chambre, projetant des ombres dansantes sur les murs. À côté, je remarquai une boîte de médicaments restée ouverte.
Ana était allongée sur son lit, ses traits crispés par un cauchemar. Elle murmurait des mots incompréhensibles, sa respiration saccadée. Mon cœur se serra comme chaque fois que je la voyais ainsi. Je m'approchai en silence, m'asseyant sur une chaise près de son lit.
Ses traits, même marqués par l'angoisse, gardaient une beauté fragile qui me transperçait. Je voulais tant effacer cette peur qui se lisait sur son visage. Qu'est-ce qui l'effrayait tant ? Était-ce moi ? Avait-elle peur de moi ?
Elle se tourna dans le lit et la couverture glissa, ne recouvrant plus le haut de son corps. En changeant de position, son haut s'était soulevé légèrement, révélant la naissance de ce qui ressemblait à une cicatrice. Sans réfléchir, j'effleurai sa peau du bout des doigts, sentant la texture irrégulière de la cicatrice sous ma main.
Puis mon regard dévia pour se poser sur le carnet à l'autre bout du lit, à moitié dissimulé sous les draps. C'était le carnet dans lequel elle écrivait sans arrêt. Son journal intime, sans doute. Qui tenait encore un journal intime ?
Hésitant, je tendis la main et m'en saisis. Peut-être y trouverais-je des réponses, une manière de comprendre ce qui s'était passé. En ouvrant le journal, un mélange de culpabilité et de curiosité m'envahit. Je le refermai plusieurs fois avant de me décider à vraiment lire ce qui était inscrit à l'encre noire.
Les premières pages m'intriguèrent immédiatement. Elles renfermaient ce qui semblait être une liste interminable de noms. Et à côté de chacun de ces noms figurait une description détaillée : âge, caractéristiques physiques, lien entre cette personne et Ana. Elle avait même dédié une ligne à Clayton. Intrigué, je tournai la page, les mains légèrement tremblantes, pour trouver ce qu'elle avait écrit sur moi.
Toute une page m'était consacrée. Ana y décrivait en détail les moments où j'avais semé la terreur dans sa vie. Elle mentionnait notre première rencontre au club, notre altercation dans les toilettes lorsque je lui avais révélé avoir licencié la véritable Samantha, et cette fameuse nuit sur le parking où j'avais abattu un homme de sang-froid devant ses yeux. Toutes ses interrogations, toutes ses frayeurs étaient annotées sur ce petit bout de papier, transformant des souvenirs en notes méthodiques.
En lettres capitales, elle avait écrit : « PATRON ROCKSTORE », « JACE », « KIDNAPPING », « PSYCHOPATHE » et « DANGER ». C'était comme une fiche mémo-technique, une tentative désespérée de se rappeler qui j'étais et ce que je représentais pour elle. Les mots, noirs et accusateurs, reflétaient la peur et la confusion qu'elle ressentait à mon égard.
Les mots me faisaient mal, mais je continuai à tourner les pages, à la recherche de réponses. Pourquoi avait-elle besoin de décrire chaque personne qu'elle rencontrait ?
Certains passages contenaient des pensées anodines, des descriptions de journées ordinaires. D'autres ressassaient des pensées plus sombres, révélant les tourments d'Ana.
Je parcourus les pages du journal avec une intensité croissante, jusqu'à atteindre la dernière page écrite. Les premières lignes me frappèrent par leur incohérence apparente. Ana décrivait une scène qui semblait tout droit sortie d'un cauchemar. Elle mentionnait du sang, beaucoup de sang, une sensation de chaleur oppressante qui l'immobilisait. Elle ne pouvait plus bouger, chaque membre semblant incapable de répondre à ses ordres.
Un détail en particulier me fit froncer les sourcils : quelqu'un était allongé loin devant elle et semblait souffrir tout autant qu'elle. Mais elle ne pouvait pas l'aider, malgré ses efforts désespérés pour le rejoindre. Puis, au milieu de cette scène angoissante, elle notait la présence d'une voiture.
Les mots devenaient de plus en plus erratiques, ponctués de points d'interrogation frénétiques et de griffonnages chaotiques, comme si elle s'était battue avec ses propres pensées en les couchant sur le papier. Chaque phrase semblait être une tentative de capturer un souvenir fugace et troublant. Les lettres se chevauchaient parfois, les phrases se coupaient brusquement, marquant les instants où sa frustration prenait le dessus.
Perdu dans ma lecture, je ne remarquai pas de suite que les murmures d'Ana s'étaient intensifiés. Ses mots devenaient plus distincts.
- Je ne veux pas mourir...
Sa voix brisée me fit l'effet d'une douche froide et instantanément, je compris ce dont elle faisait référence sur cette page : l'accident qui aurait dû lui coûter la vie. Les pièces du puzzle se mettaient en place. La liste de noms, les descriptions anodines de ses journées... Je réalisai avec une clarté douloureuse qu'elle cherchait à se rappeler. Du moins, à ne pas oublier.
Cette scène qu'elle avait décrite avec une telle intensité n'était pas seulement un cauchemar, mais un souvenir fragmenté de cet accident. Ana se battait contre son propre esprit, tentant de percer le voile de l'amnésie.
La réalité me frappa alors.
Ana n'avait aucun souvenir de moi.
Nos retrouvailles étaient purement le fruit du hasard.
Elle ne se rappelait pas ce qui s'était passé cette nuit.
Ciao ragga'
J'espère que ce chapitre vous plaira !
N'hésitez pas à laisser un commentaire.
Bacio
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