Chapitre 2

Ana

Je suffoquais. Quelque chose nichée au fond de ma gorge m'empêchais de respirer normalement. J'essayais de l'arracher mais mon cerveau ne commandait plus mon corps et ma main refusait de m'aider. Je sentais des picotements dans le bout de mes doigts. Il fallait que j'appelle à l'aide. Mes lèvres se mouvèrent mais aucun son n'en sortit. Mes yeux battaient des cils pour retrouver la vue mais un liquide épais maintenait mes paupières à demi-fermée. Je craignais d'être aveugle. Que s'était-il passé ? La dernière chose dont je me souvenais était la présence terrifiante d'un homme qui me voulait du mal. Je tentais une nouvelle fois de bouger mes membres mais ni mes jambes, mes bras ou encore mon cou ne répondirent. J'avais envie de hurler. Mais que se passait-il ? Des larmes silencieuses perlaient sur mes joues. À l'aide ! Ma conscience criait de toutes ses forces et soudain, je me sentis soulevée, déposée puis déplacée de manière pressée. Le grésillement dans mes oreilles s'atténua et bientôt, je pus entendre les sirènes de pompiers qui couvrait des cris et des pleurs. Tout à coup, un hurlement résonna comme un déchirement dans mes oreilles. Cette voix... Je n'avais pas entendu cette voix depuis des années et je n'étais pas sûre d'avoir distinctement reconnu sa voix.

Mais quelqu'un me secoua énergiquement l'épaule, m'empêchant de l'identifier distinctement. Dans un sursaut, je me redressais dans mon lit. J'avais la nausée. Où étais-je ? Je ne reconnaissais pas cette chambre. Je fermais les yeux et pris une grande inspiration pour calmer mon cœur qui battait la chamade. Et puis soudain, je me rappelais les évènements de la veille ; mon déménagement chez Maddie. Je n'étais plus dans mon appartement miteux en Californie mais chez ma cousine, à Miami.

- Ana, murmura ma cousine du bout des lèvres.

Elle semblait épuisée. Aucune lumière ne traversait les volets de la chambre, m'indiquant qu'il faisait encore nuit noire dehors. La seule lumière provenait de la veilleuse dans un coin de la chambre. Qu'elle heure était-il ? D'un coup d'œil, je regardais mon réveil sur la table basse qui affichait trois heures du matin.

- Excuse-moi Maddie.

Ma cousine secoua la tête pour me montrer son désaccord.

- Tu n'as pas à t'excuser, dit-elle entre deux bâillements. On savait que ce ne serait pas facile au début. Mais tu t'habitueras, et tu iras mieux au fil des jours.

Je lui rendis son sourire et la regardais se lever du lit. Elle se dirigea vers la porte grande ouverte.

- Rendors-toi, me conseilla-t-elle. Demain, je t'emmène sur le sable chaud de Miami !

[...]

Mes pieds nus s'enfonçaient agréablement dans le sable blanc et fin, infiniment doux. Je m'approchais doucement du rivage. L'eau était fraîche et agitée. Les vagues formaient des écumes blanches. Je remontais mes lunettes de soleil sur mon nez et rejetais une mèche de mes cheveux dans mon dos, un chapeau de paille enfoncé sur ma tête. Mes poumons se gonflèrent pour respirer l'odeur du sel marin qui flottait dans la légère brise.

- Ana ! J'ai besoin de toi !

Maddie m'appela quelques mètres plus loin, à l'endroit où on avait décidé de poser nos affaires. La plage était noire de monde et ma cousine tentait de planter un parasol sans gêner personne. Le vent chaud qui balayait le sable rendait la tâche plus difficile. Je m'approchais d'elle pour lui donner un coup de main.

Je tendais un bras et l'aidais ensuite à étendre sa serviette à côté de moi, sous le parasol. Je levais les yeux sur l'étendue azure au-dessus de nos têtes. Le ciel était dégagé, dépourvu de nuages. Les vagues venaient se briser sur les rochers avant de terminer leur course sur le rivage. Le paysage était magnifique et me faisait le plus grand bien.

- Je suis contente d'être ici.

Une main en visière, Maddie se redressa et m'observa. Ses lèvres s'étirèrent en un large sourire, dévoilant une rangée de dents parfaitement blanches.

- Je suis contente moi aussi, d'être ici avec toi.

Je lui rendis son sourire avant de retirer mon teeshirt tout en gardant mon short, dévoilant seulement le haut de mon maillot une pièce.

- On va se baigner ? me demanda ma cousine, déjà prête à sauter dans l'eau claire.

Je baissais les yeux sur mes jambes nues qui portaient toujours les traces de mon accident. Mais ces cicatrices n'étaient rien en comparaison à celles que je m'évertuais à cacher sous mon maillot une pièce. Mon corps était devenu mon pire cauchemar. Mon corps était une monstruosité. J'en avais honte. Pire que ça, je le détestais. Je ne supportais pas de me voir nue dans un miroir. Et je ne laissais personne voir mes cicatrices, excepté Maddie lorsqu'il fallait me soulager de la douleur qu'elles m'infligeaient.

- Ana !

La voix de ma cousine me tira de mes réflexions.

- Tu es magnifique, me complimenta-t-elle en s'approchant de moi. Avec ou sans cicatrices, tu restes la même.

Elle saisit mes mains pour m'amener jusqu'au rivage. Bientôt, mes pieds plongèrent dans l'eau et je sursautais, surprise par la température. Maddie me relâcha et se mit à courir, s'enfonçant dans les profondeurs de l'océan. Dans le lointain, je la vis agiter ses bras au-dessus de sa tête, m'invitant à la rejoindre. Je souris de la voir ainsi. Elle semblait heureuse. Et je voulais partager ce moment de bonheur avec elle.

Mais alors que je m'avançais à mon tour dans l'eau, un groupe de jeunes passa devant moi. L'un des garçons tourna la tête dans ma direction et balaya mon corps d'un regard. En partant du haut de mon corps jusqu'à mes jambes nues. Et ce que je vis dans ses yeux lorsqu'il remarqua mes cicatrices me figea sur place. Je reconnaissais ce regard. Du dégout Ana, soupira ma conscience. Tu le dégoutes.

J'avais l'habitude de susciter du dégout chez les autres. C'était devenu mon quotidien, la raison pour laquelle je ne laissais jamais mon corps totalement découvert. Qu'est-ce qu'il dirait s'il voyait ton dos ? Je fis taire la petite voix dans ma tête et sans un regard en direction de ma cousine, je tournais les talons pour rejoindre ma serviette étendue sous le parasol. J'enfilais à nouveau mon teeshirt et posais mes lunettes de soleil sur le bout de mon nez. Maddie ne devait pas voir mes yeux où elle comprendrait que quelque chose n'allait pas. Je ne voulais pas l'inquiéter. Je pouvais m'en sortir, seule. Ça j'en doute...

Le soleil brûlait la peau nue de mes jambes et j'appliquais une bonne couche de crème solaire, en insistant sur mes cicatrices. Voyant que Maddie faisait toujours la sirène, j'en profitais pour sortir mon carnet et un stylo de mon sac cabas. Ma main se mit à écrire mécaniquement ce qui s'était passé depuis hier dès l'instant où mes yeux se posèrent sur une page blanche. Elle raconta absolument tout ; de mon départ à l'aéroport de Californie à mon arrivée à Miami, sans oublier mon cauchemar dans l'avion, ma première nuit mouvementée ou encore notre escapade à la plage. Écrire me rassurait. Je savais que j'avais quelque chose à laquelle me raccrocher si ma mémoire me faisait défaut une nouvelle fois.

Je tenais ce carnet depuis près d'un an. Selon ma psychologue, c'était un exercice très efficace pour faire travailler la mémoire. Je doutais de ces conseils car je n'étais toujours pas parvenue à me rappeler de quoique ce soit concernant mon accident, ni même de ma vie avant cette nuit-là. Mais écrire m'avait permis d'extérioriser ce que je ressentais, d'apaiser mon anxiété ou d'alléger le poids de ma peine lorsque je réalisais que je ne savais plus qui j'étais.

Plongée dans mes pensées, je ne m'étais pas aperçue que Maddie était sortie de l'eau. Son corps qui se rapprochait de moi me fit de l'ombre et je relevais la tête dans sa direction en fermant mon carnet.

- Pourquoi tu n'es pas venue te baigner avec moi ? me questionna-t-elle en me surplombant de sa hauteur, faisant perler quelques gouttes d'eau sur mes pieds.

- L'eau était trop froide, mentis-je en remettant correctement mes lunettes de soleil.

Ma cousine fronça les sourcils, peu convaincue par mon explication bien trop courte. Pourtant, elle n'insista pas et s'allongea sur sa serviette à côté de moi. Je rangeais mon carnet et extirpais en même temps mon paquet de cigarettes. Mon dieu ! Que tu es accro à cette merde ! me réprimanda ma conscience. Je décidais de l'ignorer encore une fois et allumais ma clope, coincée entre mes lèvres.

- Tu as décidé dans quelle université tu irais à la rentrée ?

La question de ma cousine m'arracha une légère grimace. Nous étions au début de l'été et Maddie m'encourageait à reprendre les études à la rentrée. Moi qui rêvais d'intégrer UCLA pour suivre une formation de journalisme, tous mes plans avaient été chamboulés. Après mon accident, j'avais été plongée artificiellement dans le coma pendant plusieurs mois, la douleur étant trop intense à supporter. À mon réveil, j'avais passé des mois supplémentaires à enchaîner les opérations, les séances de rééducations... Cela faisait un an que j'avais repris un semblant de vie normale, mais je me sentais toujours incapable d'aller à l'université. Mon cœur ne s'affola rien qu'en y pensant et je sentais la panique serrer ma gorge. Respire Ana ! Je suivis ses conseils et pris plusieurs grandes inspirations avant de lui répondre.

- Je ne pense pas reprendre les études, avouais-je d'une voix tremblante. Je ne suis pas prête et pour être honnête, je doute que je le serai un jour.

Entre mes doigts, ma cigarette s'était presque entièrement consumée. Je tirais une dernière bouffée et observais le spectre de particules s'élever dans les airs et s'évaporer lentement. J'écrasais le mégot dans le sable et le laissais dans mon paquet, me rappelant de le jeter quand je trouverai une poubelle.

Après plusieurs secondes à rester silencieuse, ma cousine me répondit enfin :

- D'accord, je comprends. Mais que comptes-tu faire dans ce cas ?

- Travailler.

Maddie lâcha un hoquet de surprise et me toisa de ses grands yeux noisettes.

- Pourquoi veux-tu travailler ?

- Les factures ne vont pas se payer toutes seules, lâchais-je dans un petit rire.

- Ana ! s'écria ma cousine. Je t'ai dit que je m'occupais de tout ça, avec maman.

Je soufflais d'énervement. Cette conversation m'ennuyait. Je n'avais pas réfléchis avant de dire à cousine que je souhaitais travailler, mais je ressentais au plus profond de mon être que c'était ce dont j'avais besoin. Je voulais me prouver à moi-même que je n'étais pas faible, prête à me briser en mille morceaux au moindre regard, à la moindre réflexion. Je ne voulais plus être une miraculée qu'il fallait protéger de tout et de tous. J'avais besoin d'un travail pour me sentir vivante, montrer que j'étais capable de m'en sortir.

- J'en ai besoin Maddie, dis-je simplement en me tournant vers elle.

Elle souffla à son tour avant de basculer son corps en arrière.

- De toute manière, quoique je dise, tu me tiendras tête.

[...]

Une heure s'était écoulée depuis notre conversation. Mon téléphone indiquait vingt heures mais il faisait toujours aussi chaud. Maddie s'était endormie sous son parasol. Son bronzage était impeccable mais par précaution, je lui avais régulièrement appliqué de la crème solaire. Il ne restait plus grand monde allongé sur le sable. Le crépuscule était en train de tomber. Doucement. La pénombre s'emparait peu à peu du paysage, donnant un aspect presque inquiétant à l'étendue d'eau devant moi.

- On devrait rentrer, suggérais-je en voyant Maddie bouger sur sa serviette.

Mais elle ne semblait pas décidée à partir pour le moment :

- Encore quelques minutes, tu veux bien ?

Elle retira ses lunettes et planta ses prunelles dans les miennes pour mieux me supplier.

- Ok ! cédais-je. Je vais marcher un peu !

J'avançais tranquillement jusqu'au rivage et longeais l'étendue de sable, mes pieds nus à moitié dans l'eau selon le rythme des vagues. Le sable était humide et l'eau encore à la bonne température. J'observais le disque doré qui s'enfonçait progressivement dans le sol, se reflétant à la surface de l'eau. Je ne détournais les yeux de ce spectacle époustouflant que lorsque la pénombre s'empara totalement du ciel.

Je retournais vers ma cousine qui rangeait ses affaires trop rapidement à mon goût. Elle sautillait presque sur place, un sourire accroché aux lèvres. Elle qui voulait encore profiter de la page, qu'est-ce qui pouvait bien la rendre aussi excitée ? Et je compris à l'instant où elle prononça ces quelques mots :

- On sort en boîte ce soir !

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