Chapitre 11 - L'inconnu
Environ une demi-heure nous fut nécessaire pour sortir du couvert des arbres et déboucher dans une vaste prairie émaillée de petits bosquets. A partir de là, le ruisseau s'infléchissait vers le Sud, fort logiquement dans le sens de la vallée.
La journée promettait d'être belle. Pas un nuage n'avait osé masquer le soleil depuis qu'il avait émergé de la montage, et j'avais suivi avec plaisir son ballet incessant au milieu des vertes aiguilles. L'aube – qui pourtant n'était pas si lointaine – me semblait déjà appartenir au passé. Les loups et leur disparition soudaine ne paraissaient plus si importants que cela à la lumière de cette chaude matinée de printemps.
― Arrêtons-nous ici un moment, décida Athar. Nous n'avons pas déjeuné, et c'est aussi le bon moment pour consulter plus en détail notre nouvelle carte. Il y a peut-être même un village à proximité où nous pourrions nous ravitailler.
― Ma chasse suffira à nous nourrir, nous n'avons pas besoin d'acheter de la nourriture, dit sèchement Nel.
― Je ne mets pas en doute tes capacités, Nel... mais chasser peut prendre du temps, et le temps est ce dont nous manquons le plus, lui répondit calmement Athar. Et de toute façon il nous faut choisir une route, autant qu'elle soit la plus pratique possible.
Athar descendit de cheval, et s'installa à l'ombre des derniers grands arbres, à proximité du ruisseau.
― Approchez, tous, nous demanda-t-il, assortissant sa demande d'un large geste de la main qui invitait au rassemblement.
Je n'étais pas fâchée de cette petite pause, chevaucher sous les arbres sans quitter le lit du ruisseau s'était avéré plus éprouvant que prévu, car certaines branches basses semblaient s'être donné pour mission de nous ralentir. Il avait fallu composer avec dame Nature et souvent mettre « pied à terre », ce qui en l'occurrence s'était traduit par « patauger gaiement dans le ruisseau ».
Nous nous regroupâmes autour du sorcier, qui sortit la carte trouvée dans le coffre magique et l'étala sur l'herbe, pendant que Sathis organisait une rapide collation avec ce qui restait de nos provisions.
Il nous fallait à présent décider soit de continuer à suivre le ruisseau tout en cherchant une route nous permettant de tracer à nouveau à l'Est, soit de le quitter dès à présent et couper la vallée en espérant déboucher sur une route praticable compatible avec notre destination finale. Maintenant que nous nous étions écartés de notre itinéraire aller, nous avions des décisions importantes à prendre.
― Ch'est un chentier, cha ? demanda Devil, la bouche pleine, tout en pointant un doigt à la propreté douteuse vers la précieuse carte d'Athar.
― Oui, c'est un sentier, ça, lui répondit le sorcier, arrêtant l'index coupablement taché d'un savant mélange de terre et de confiture avant qu'il ne s'écrase sur la carte. Mais l'Est, c'est de l'autre côté, précisa-t-il, légèrement exaspéré par la décontraction crasseuse de l'enfant. Va donc te laver les mains dans le ruisseau, tant que c'est possible.
Devil plissa sa jolie bouche dans une mimique mimant la contrariété. Ce gosse semblait préférer même le crottin de cheval à la fraicheur de l'eau, il m'avait suffit de deux jours pour m'en rendre compte.
― Mais elles ne sont pas si sales, pourtant... dit-il, en tentant de se nettoyer discrètement dans l'herbe fraiche, ce qui rajouta une jolie tonalité de vert au rouge et marron déjà présents sur sa peau.
― Vas-y avant que je ne t'y jette tout entier ! Et ça ne serait pas du luxe, grommela Athar.
Même Nel-la-bougonne et Sathis-la-réservée n'avaient pu s'empêcher de sourire comme moi devant les grimaces faussement outragées de Devil. Ne pas aimer l'eau froide était une chose, nul d'entre nous n'en raffolait, et si le manoir n'avait pas été une presque ruine abandonnée, tout maléfique qu'il ait été nous aurions apprécié de profiter d'un peu de confort. Mais ne pas aimer l'eau froide et se laisser aller à sentir le bouc étaient deux choses bien différentes.
Contraint et forcé, Devil se dirigea vers la berge et entreprit des ablutions minimalistes, à grand renfort de jets d'eau et autres éclaboussures spectaculaires destinées à donner le change.
― Tu devrais te laver un peu mieux, si tu ne veux pas que les loups te trouvent à l'odeur...
La voix inconnue était venue de l'arbre le plus proche, et nous bondîmes tous sur nos pieds, pris par surprise. Nel avait déjà un carreau enclenché dans son arbalète et son arme pointait en direction de l'intrus que nous ne discernions pas encore.
― Je n'ai pas l'intention de vous nuire, reprit la voix. Sinon je vous aurais attaqués quand vous étiez encore sans méfiance, vous ne croyez pas ?
― Montre-toi alors, si tes intentions ne sont pas mauvaises, assena sèchement Nel, sans pour autant baisser son arme.
Un léger rire s'éleva de l'arbre, et avec une pluie d'aiguilles assortie de débris végétaux divers, l'inconnu se laissa tomber au sol où il resta accroupi, la tête légèrement penchée de côté et un sourcil exagérément dressé.
La voix ne m'avait pas permis de déterminer si l'intrus était mâle ou femelle, mais là, plus de doute. Même ainsi ramassée sur elle-même, la silhouette était indubitablement masculine.
― Et maintenant, dit Athar, tu vas nous expliquer ta présence ici et comment tu sais que nous avons eu maille à partir avec des loups. Et tes explications ont intérêt à être convaincantes, sinon...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top