Chapitre III


• • • Dimanche 28 mars 273, chambre 5-8, dortoir des femmes • • •

Engill se réveilla, et décida d'aller explorer les bâtiments à la recherche du fameux grenier. Elle n'eut pas de mal à trouver une porte cachée dans le couloir du dernier étage du dortoir féminin. Elle inséra la clef dans le trou de la serrure et fut ravie de voir celle-ci fonctionner. Elle trouva un escalier qui montait dans une pièce sombre, sans trop pouvoir distinguer ce qu'il s'y trouvait. Elle alluma une flammèche au creux de sa main pour s'éclairer, et se dirigea vers les fenêtres de la grande pièce pour tirer les rideaux et aérer. L'endroit était recouvert de poussière, le moindre pas soulevait un nuage. Un bureau se trouvait au fond de la pièce, un canapé en face et, étagères pleines de livres et manuscrits recouvraient les murs et un piano trônait au centre. Elle prit le premier livre et tomba sur un ouvrage en langage elfique. En parcourant le dos de quelques livres, elle put se rendre compte qu'ils étaient tous interdits. Elle se rendit au bureau, sur lequel trônait encore du papier et un pot d'encre sèche. Dans les tiroirs, des petits carnets numérotés. Elle ouvrit le premier et tomba sur un journal qu'elle lut. Celui-ci semblait être un journal intime dans lequel une personne racontait sa vie à l'Académie. Des noms inconnus y étaient mentionnés, sauf deux : Thomas et Marc de Lyonnès. Elle les lut tous. La personne qui les avait rédigés mentionnait l'apparition de pouvoirs, et même d'une paire d'ailes blanches. Elle semblait être un ange qui s'ignorait. Le dernier s'arrêtait au milieu. La personne écrivait avoir abandonné son enfant, et être terrifiée par un certain Michel qui en avait après elle, puis plus rien. Comme si elle avait disparu, emportant avec elle le fin mot de l'histoire.

Après sa lecture, elle se rendit dans le bureau de Thomas pour aller à l'emplacement de leur entraînement dominicain. Puis midi sonna, et elle retourna dans sa chambre pour se changer et vérifier si Amélia était levée, avant de descendre manger avec cette dernière.

« Les amis, j'ai quelque chose à vous montrer, suivez-moi ! s'exclama Engill, toute excitée. Mais Amélia, avec les gardes tu ne peux pas venir, finit-elle par chuchoter. »

Elle invita ses amis à la suivre jusqu'à la trappe, et Amélia repartit dans sa chambre, bougonne. A part Tahys, personne n'avait remarqué la présence de la jeune fille qui les suivait. En fait, il avait remarqué que cela faisait plusieurs jours qu'elle n'était jamais loin. Elle les avait même suivis lors de leur enquête.

« J'ai découvert cet endroit, et il est remplit d'ouvrages interdits, de traités sur la magie rituelle interdite, de livres sur l'histoire avant la grande guerre, de manuels sur les us et coutumes des anciens peuples ! Et plus intéressant encore, il y a des journaux intimes tenus par une personne qui utilisait ce bureau. A priori c'était un ange, mais je n'ai pas réussi à savoir qui c'était. »

Tous partirent découvrir la pièce. Jude avait les yeux qui brillaient. Ils prirent chacun un livre afin de le parcourir.

« Mais du coup, quel est le rapport avec notre ange déchu ? demanda Alexandre.

– Je ne sais pas, mais il faut savoir si cette clef vient d'un élève ou de l'ange déchu en lui-même, répondit Ciel.

– Il faudrait aller interroger ses amis. Comment s'appelait-elle déjà ?

– Brigitte d'Irvyi, c'était une camarade de classe, je vois très bien avec qui elle était amie, dit Angelicka.

– Très bien, alors tu peux aller les interroger ! s'enthousiasma Mélodie.

– Euh ... commença Angelicka.

– Je vais le faire avec elle. Angelicka n'est pas de la plus grande délicatesse, je ne suis pas sûre qu'ils parleront si elle leur rentre dedans, termina Engill. »

Les deux filles quittèrent la pièce, et se rendirent auprès des amis de Brigitte.

« Excusez-nous, on a quelques questions à vous poser. Vous connaissez cette clef ? demanda Engill à un groupe de jeunes étudiants.

– Non du tout, répondit Karine, une autre camarade de la classe de couture.

– On l'a trouvée près de la où a été tuée Brigitte. On pensait que c'était à elle.

– Non, on ne l'a jamais vue.

– Elle ne vous a jamais parlé d'un endroit secret dans le dortoir des filles ?

– Non, jamais. Mais pourquoi toutes ces questions ?

– Pour rien ! rigola Engill. En tout cas merci beaucoup, et désolée de vous avoir importunés. »

Angelicka et Engill partirent rapidement. Cette clef devait donc appartenir à l'ange déchu. Elles retournèrent au grenier pour faire part des réponses des amis de Brigitte à leur groupe.

« On a été interroger les amis de Brigitte, et ils n'ont jamais vu cette clef, ni entendu parler de cette salle, exposa la petite blonde.

– Cette clef appartiendrait donc à l'ange déchu ? demanda Mélodie.

– Il semblerait. Mais pourquoi l'aurait-il ?

– J'ai peut-être une théorie, dit Jude. Et si le corps de l'ange déchu était celui de la personne à qui appartiennent les journaux ? Ça serait logique pour un ange déchu de posséder un ange, ils ont la force psychique, physique et magique nécessaire à le supporter un moment. Ca expliquerait pourquoi ce serait lui qui aurait la clef.

– Mais ça n'explique par pourquoi il l'a laissé, exprima Karl.

– Peut-être voulait-il qu'on la trouve ?

– Mais pourquoi ? s'enquit Alexandre. »

S'en suivit un long moment de réflexion silencieuse.

Finalement, ils passèrent l'après-midi au grenier. Quand ils repartirent, ils laissèrent la porte déverrouillée pour pouvoir tous revenir quand ils le souhaitaient. La jeune fille qui les filait depuis plusieurs jours déjà en profita pour aller elle aussi explorer la pièce. A peine après qu'elle soit arrivée, elle sentit une présence derrière elle et fit volteface. Elle se retrouva nez à nez avec Tahys.

« Pourquoi tu nous suis ? questionna ce dernier.

– Je ne vous suis pas ! mentit-elle.

– C'est ça, ment moi et je raconte tout à mes amis. Je ne suis pas sûre que la Princesse Amélia soit ravie de savoir qu'elle est suivie par une fille bizarre comme toi.

– C'est vous qui êtes bizarre à enquêter sur des meurtres alors que vous n'êtes qu'étudiants, dit-elle d'un air dédaigneux.

– Qui es-tu ?

– Noémie Jon, future prétendante au titre d'Amarynthe !

– Alors tu n'as rien à faire ici. »

Il l'a prise par le bras et la fit sortir de la pièce.

« Ne parle à personne de ce que tu sais.

– Et pourquoi je t'écouterais ?

– Encore une fois, j'en parlerais à Amélia. »

Elle se tût, n'ayant rien à répondre, mais lui lança un regard rageur. Tahys la laissa partir, et alla toquer à la chambre d'Engill et Amélia pour leur demander la clef.

« Pourquoi ? On a dit qu'on ne fermerait pas la salle, répondit Engill.

– On va être obligé. On a été suivi par une future prétendante au poste d'Amarynthe. Il ne vaut mieux pas qu'elle sache ce qui se trouve dans le grenier.

– Quoi ? Qui s'amuse à nous suivre ? s'écria Amélia.

– J'ai promis de ne rien te dire si elle tenait sa langue.

– Pff ... soupira la blonde.

– Tiens, la clef, dit Engill en tendant la clef à son camarade. Et à partir de maintenant, on ne parle plus de ça en dehors du grenier, fais passer le mot. »

Tahys repartit dans sa chambre, où il en parla à Karl. Puis il alla voir le reste des garçons pour les prévenir.

« Qu'est-ce qu'elle pourrait bien nous faire de toute façon ? questionna Amélia.

– Enquêter sur moi. Et ça serait terrible. Tant que nos pays ne seront pas officiellement alliés, je reste obligée de me cacher, sous peine de finir dans le viseur de l'Amarynthe et sur un bûcher. Et pareil pour mon pays.

– Pas faux. Ce serait bête que ça arrive à cause d'une sombre idiote comme elle.

– Exactement. »

Au dîner, Engill ne descendit pas manger. Elle ne se sentait pas bien. L'angoisse lui avait agrippé les tripes et ne voulait pas la lâcher, faisant baisser la température de sa chambre. Alors elle décida d'aller se ressourcer dans une source chaude naturelle du campus. Ces sources étaient bien cachées, c'était Thomas qui les lui avait montrées. Qui plus est, elle voulait fêter sa première pleine lune loin de sa famille, la Lune du Corbeau. Elle commençait à avoir un peu le mal du pays, et ses frères lui manquaient plus que tout. Alors, et contre toutes règles empêchant de sortir des bâtiments, elle sortit seule pour aller se baigner, emportant avec elle quelques éléments de rituel. Une fois sur place, elle sortit du gros sel qu'elle saupoudra dans la source, ainsi que des fleurs de lavande. Elle fit brûler de la sauge, et alluma des bougies blanches. Puis Engill plongea dans l'eau chaude. Elle se sentit instantanément mieux. La chaleur de l'eau lui faisait du bien, et l'odeur de la sauge et de la lavande la calmaient. Elle prit le temps de méditer, puis de remercier les dieux pour les amis qu'elle avait rencontré. Après une bonne demi-heure passée dans l'eau, elle en sortie, se sécha, et remballa tout son matériel avant de se rhabiller. Elle retourna dans sa chambre et retrouva Amélia, avec qui elle alla se coucher.

• • • Lundi 29 mars 273, chambre 5-8, dortoir des femmes • • •

Le lendemain, Engill entreprit d'aller chercher un des carnets avec l'aide de Tahys qui avait gardé la clef, pour aller voir Thomas. Elle voulait l'identité du rédacteur.

« Thomas, tu as un moment ?

– Oui, Engill.

– Je voulais te parler de ces carnets, dit-elle en posant l'objet sur le bureau.

– Où l'as-tu trouvé ? demanda-t-il avec un mouvement de recul.

– Peu importe. Qui l'a écrit ?

– Malheureusement, je ne peux rien te dire.

– Tu ne peux pas, ou tu ne veux pas ?

– Je ne peux pas. J'ai promis à la personne qui les a écrits de ne jamais parler d'elle. »

Engill souffla et sortit du bureau. Elle connaissait assez bien Thomas pour savoir qu'il ne briserait jamais une promesse. Jamais. Elle ressortit penaude, lançant un non de la tête à Tahys.

Le soir même, ils se retrouvèrent tous dans le grenier. Amélia ordonna à ses gardes d'attendre au bout du couloir, et malgré quelques réticences, ils s'exécutèrent. Engill en profita pour expliquer sa conversation avec Thomas aux autres.

« Donc si je comprends bien, ils se connaissent ? demanda Alexandre.

– Oui, il semblerait, répondit la fille aux yeux violets.

– S'ils se sont rencontrés à l'Académie, on doit pouvoir le retrouver sur les annuaires de ces années ! Ils sont disponibles à la bibliothèque, dit Mélodie.

– Alors on y va demain ! s'exclama Angelicka. Mais pas tous ensemble, ça pourrait éveiller les soupçons.

– Même si on cherche dans les annuaires de l'Académie, on ne sait ni à quoi ressemble cette personne, ni son nom, commenta Jude.

– On n'a rien à perdre en essayant, répondit Karl. »

Après avoir discuté un peu de la chose, ils redescendirent tous dans le grand salon.

« Engill, tu peux nous rejouer du piano ? demanda Alexandre avec un regard de chien battu.

– Bien sûr, rigola-t-elle. J'adore en jouer pour les autres, pas besoin de me faire ce regard.

– Super ! »

Elle s'installa sur le banc, et commença à improviser une mélodie qui lui était soufflée par les éléments autour d'elle. Le vent, l'herbe qu'elle voyait par la fenêtre, le bruit de la fontaine qu'elle devinait, les grondements d'un orage lointain, tout induisait en elle une musique, des mouvements de doigts. Elle se laissa transporter par l'air qu'elle jouait. Elle ne sortit de sa transe que quand Amélia vint lui poser une main sur l'épaule pour lui chuchoter à l'oreille :

« Tu t'emportes, on commence à voir de la magie. »

Elle se raidit, mais continua sa mélodie tout en se concentrant pour ne pas se laisser trop emportée. Une fois finie, et comme la première fois, tout le monde semblait comme endormis, des étincelles dans les yeux. Elle retourna s'asseoir avec ses amis, sous les applaudissements de la salle. Ils discutèrent encore un peu sous le regard méfiant de Noémie, puis retournèrent dans leurs chambres respectives.

• • • Dimanche 4 avril 273, chambre 5-8, dortoir des femmes • • •

Ce dimanche était dimanche de fête. En effet, on fêtait la Création de l'Amarynthe. Ils durent donc tous assister à la messe, dans la grande Eglise du campus, pour le plus grand désarroi d'Engill qui n'était pas de cette religion. La messe dura deux heures, pendant lesquelles cette dernière dut batailler pour ne pas s'endormir. Au repas, les jeunes étudiants se virent tous offrir des chocolats, la salle de banquet était entièrement décorée de petites cloches et œufs peints. Ils mangèrent de l'agneau, comme le voulait la coutume. Engill était énervée par cette fête qui avait volé les codes de sa religion, notamment les œufs peints, qui était placés sur l'autel à Ostara. Plusieurs chasse aux œufs furent organisées sur le campus dans l'après-midi, et Engill y prit part à cause de l'insistance de ses amis. Encore une fois, renouer avec son âme d'enfant était une coutume de sa religion à elle, et non de celle de l'Amarynthe. Malgré son côté bougon, elle apprécia les moments passés en compagnie de ses amis.

• • • Dimanche 11 avril 273, chambre 5-8, dortoir des femmes • • •

Les jours passèrent à une vitesse folle pour Engill : entre les cours et les réunions secrètes, elle ne voyait pas le temps passer. Les annonces de meurtre continuaient, et l'Académie se vidait de plus en plus, désertée par les élèves trop effrayés. Amélia avait d'ailleurs dû insister pour pouvoir rester.

L'anniversaire d'Angelicka approchant, ils décidèrent tous de lui organiser une fête secrète. Ceux qui étaient déjà majeurs, donc qui avaient seize ans ou plus, purent sortir du campus pour aller au village voisin acheter quelques victuailles et boissons. Ils décidèrent de s'installer dans le grenier. Mélodie ramena plusieurs plantes et fleurs du jardin botanique pour décorer. Ils entreprirent aussi de nettoyer la salle entièrement.

• • • Mardi 13 avril 273, chambre 5-8, dortoir des femmes • • •

Le jour J, ils firent comme si de rien n'était. Ils avaient tout fini de préparer le soir d'avant, et ne lui ferait la surprise que le soir même. La journée de cours se déroula sans encombre. Après dîner, ils se rendirent tous au grenier, Angelicka fut la première à rentrer. Elle resta bouche bée devant la transformation de la salle.

« Joyeux anniversaire ! crièrent-ils tous en cœur. »

Une larme roula sur sa joue, suivie d'une deuxième, et puis d'un torrent. Elle les remercia en les prenant dans ses bras à tour de rôle. Et Engill lui offrit son cadeau. C'était une magnifique robe blanche aux ornements bleus et dorés. Puis elle lui offrit un second cadeau qui cette fois-ci était de la part des enfants de l'orphelinat. C'était un cahier dans lequel ils avaient tous écrit des petits mots et dessiné. Ils passèrent la soirée à discuter dans la bonne humeur, à manger, et à boire.

S'offrir des cadeaux lors des anniversaires était considéré comme hérétique par l'Amarynthe, alors Jude s'étonna qu'Engill offre des cadeaux à la petite blonde. Il trouvait la jeune fille de plus en plus mystérieuse.

A l'heure de se coucher, certains tenaient mieux l'alcool que d'autres et il fallut ramener Ciel, Mélodie et Amélia dans leur chambre. Amélia, ramenée par Engill, manqua de tomber plusieurs fois dans les escaliers. Ils n'étaient normalement pas autorisés de boire de l'alcool dans l'Académie, alors elles durent se faire toutes petites. Une fois arrivées à leur chambre, elle jeta Amélia dans le lit de la jeune fille aux yeux violets, avant de la dévêtir, celle-ci commençant déjà à s'endormir. Elle resta émerveillée quelques secondes devant les fines courbes de son amie, avant de se reprendre et de lui enfiler une chemise de nuit, rouge de honte. Elle se déshabilla à son tour, et alors qu'elle allait elle aussi enfiler sa chemise de nuit, Amélia l'agrippa par le poignet et la fit tomber sur elle. Engill se sentit gênée d'être nue, allongée sur son amie, mais quand elle essayait de se dégager de son étreinte, Amélia la resserrait. Engill lâcha l'affaire, tandis qu'Amélia commençait à doucement effleurer la peau de son dos. Ce geste fit monter la chaleur en Engill, qui se retint de l'embrasser, mais ce fut Amélia qui fit le premier pas. Elle déposa délicatement ses lèvres sur celle de son amie. Le visage d'Engill était en feu, à l'instar de son corps tout entier. Elle avait chaud, très chaud. Elle ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait, ou plutôt ne voulait pas assumer qu'elle avait une certaine attirance pour sa meilleure amie. Dans un dernier élan pour se retenir, la plus petite se défit de l'étreinte de la blonde, s'habilla et se coucha dos à elle. Amélia l'a prise alors dans ses bras, et lui chuchota :

« Bonne nuit ma douce ... »

Avant de tomber dans un profond sommeil. Engill était toujours en feu, et eu du mal à se remettre de ses émotions et à calmer son cœur qui battait la chamade. Jamais personne ne l'avait faite se sentir ainsi.

• • • Mercredi 14 avril 273, chambre 5-8, dortoir des femmes • • •

Le lendemain matin, Engill se réveilla et au souvenir de ce qu'il s'était passé hier soir, rougit immédiatement. Elle sortit précipitamment de la chambre, et alla prendre un bon bain frais pour se rafraîchir les idées. Alors qu'elle se relaxait, Amélia entra dans la salle-de-bain, visiblement pas réveillée. Engill se couvrit automatiquement avec ses bras.

« A-Amélia ! s'écria Engill.

– Moins fort, soupira Amélia. Qu'est-ce qu'il y a ?

– Je suis dans le bain là !

– Et ? Ce n'est pas comme si hier je t'avais vue nue. Ne me dit pas que tu es gênée ? dit-elle avec un sourire en coin. »

Engill ne répondit pas. Amélia but un verre d'eau, puis sortit de la salle-de-bain, comme si de rien n'était. Engill plongea alors entièrement la tête dans l'eau froide pour se rafraîchir. Elle ressortit et prit une grande inspiration. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait avec Amélia. Jamais elle ne s'était sentie ainsi. Elle sortit de la salle-de-bain quelques minutes plus tard, et descendit déjeuner sans demander son reste. Elle retrouva en bas Tahys et Karl.

« Tu as l'air préoccupée ? s'enquit Karl.

– Hein ? Non pas du tout ! répondit Engill, rouge.

– Si tu le dis. »

Quand Amélia arriva, Engill baissa la tête et fit mine de se concentrer sur son petit-déjeuner, qu'elle avala en vitesse avant de quitter la table, sans piper mot. Elle avait besoin de réfléchir aux actes de la nuit dernière et de ce matin. Elle prit une grande inspiration, et se balada dans le jardin encadré par les dortoirs. Pourquoi Amélia réagissait-elle ainsi ? Était-ce parce qu'elle ressentait la même chose que la petite aux yeux violets ? Sinon, pourquoi ? Si oui, qu'allaient-elles faire ? Comment allaient-elles gérer cette relation ? Comment pourraient-elles s'aimer dans un monde où l'amour homosexuel est interdit ? Et puis Engill était promise au frère d'Amélia, bien que cette dernière ne le sache pas encore, pour unifier les deux pays et protéger son peuple. Elle partit en cours des questions plein la tête. Pendant la pause de dix heure, elle agrippa Angelicka par le poignet et la traina en dehors du bâtiment.

« Je-je dois te parler d'une chose, entama Engill.

– Je t'écoute.

– Voilà, en fait je crois que je ressens quelque chose pour Amélia, dit-elle timidement.

– Oui, et ?

– Tu sais très bien que l'amour homosexuel est interdit dans ce pays ! Je ne sais pas quoi faire !

– Déjà, est-ce qu'elle ressent la même chose pour toi ?

– Je pense que oui.

– Et comment tu le sais ?

– Elle m'a embrassé.

– Quoi ? Quand ? s'écria Angelicka.

– Licka ! Moins fort ! Et ça s'est passé hier soir.

– Je suis ravie pour vous ! Quand allez-vous l'annoncer aux autres ? s'emballa la petite blonde.

– Attend ! On en n'a pas encore parlé entre nous. Je ne suis même pas sûre que ce baiser voulût dire quelque chose pour elle. Et puis, les autres pourraient mal le prendre. Et aussi, comment vas-t-on assumer ça ? Et elle n'est même pas au courant que je suis promise à son frère ! dit Engill en commençant à angoisser.

– Hé calme-toi, d'accord ? D'abord, parles-en avec elle, ensuite tu verras. Ne te stress pas sans raison.

– Tu as raison, je vais en parler avec elle ce soir. »

Le reste de la journée se déroula sans anicroche, bien qu'Engill appréhendait la conversation du soir. Le soir-même dans le lit, la jeune fille prit la parole :

« Amélia, on peut parler du baiser d'hier ? C'était quoi pour toi ?

– Ecoute Engill, j'étais bourrée et je n'ai pas réfléchi à ce que je faisais, c'était un baiser, rien de plus. »

Sur ces paroles, la blonde se retourna pour s'endormir. Mais son cerveau tournait à mille à l'heure. Pourquoi avait-elle fait ça hier soir ? Ressentait-elle plus que de l'amitié pour la belle aux yeux violets ? Si oui, elle ne pouvait pas le lui avouer. Être plus que de simples amies serait trop compliqué dans ce monde, qui plus est pour une princesse qui, une fois ses études finies, sera mariée à un homme éminent. Elle ne voulait pas infliger une vie dans le secret à Engill, et décida d'enfouir ces sentiments naissant au fond d'elle. La plus petite, quant à elle, ne comprenait pas la position d'Amélia. Comment avait-elle pu l'embrasser sur un simple coup de tête, et sachant pertinemment que c'était son premier baiser ? Elle lui en voulait un peu. Aussi, elle s'en voulait à elle-même de s'être emballée pour rien. Elle avait angoissé toute la journée pour une conversation qu'elle avait imaginée longue et émouvante, pour au final deux phrases qui mettaient fin à ses émois. Elle décida donc, elle aussi, d'enfouir cette petite flamme naissante au fond d'elle, et s'endormit sur cette pensée.

Engill refit le même cauchemar que les autres nuits. Et encore une fois, Amélia dut la consoler. Ce voile blanc à la texture de plume devenait de plus en plus tangible et visible et au fur et à mesure des nuits. Amélia ne comprenait pas ce phénomène, ou plutôt ne voulait pas le comprendre. Engill avait toujours vécu comme une humaine au milieu de créatures, mais avait toujours voulu vivre au milieu de ses semblables, les humains. Elle ne voulait pas briser son rêve qui se réalisait enfin en lui apprenant qu'elle était un ange. Amélia décida donc de taire cette information pour le moment, et de veiller à ce que personne ne le découvre.

• • • Jeudi 15 avril 273, chambre 5-8, dortoir des femmes • • •

Le lendemain, les deux filles se parlèrent à peine. Même le soir au coucher, elles n'échangèrent que quelques phrases avant de s'endormir chacune de leur côté.

• • • Samedi 24 avril 273, chambre 5-8, dortoir des femmes • • •

Ce jour-là, les jeunes qui étudiaient la Chevalerie, la Magie de Combat et la Magie de Soin devaient partir pour un camp d'entraînement qui allait durer une semaine. Amélia, Ciel et Jude allaient donc être absent. Le départ d'Amélia inquiétait Engill, qui ne savait pas comment elle allait gérer ses crises nocturnes sans cette première, mais elle s'en réjouissait en même temps, cela allait lui laisser du temps pour réfléchir. Le petit groupe se dit donc au revoir, avant de laisser partir leurs amis. Le groupe restant à l'Académie affichait une humeur un peu maussade, l'ambiance n'étant plus la même sans les idioties de Ciel, les rires d'Amélia et même sans la présence un peu effacée de Jude. Le soir même, Engill plongea son nez dans l'oreiller d'Amélia pour sentir son odeur. Ce n'était peut-être qu'une semaine, mais se retrouver seule alors qu'elle était constamment entourée l'angoissait.

Elle fit part de ses angoisses à Angelicka :

« Ça m'inquiète de me retrouver seule ce soir, commença Engill.

– Pourquoi ?

– Avec Amélia, on dort ensemble depuis plusieurs jours déjà, pour calmer mes crises nocturnes à cause des cauchemars dont je t'ai parlé.

– Oooh comme ça vous dormez ensemble ? dit Angelicka avec un sourire en coin.

– Ce n'est pas ce que tu crois ! Et de toute façon, Amélia m'a clairement dit que ce baiser n'était rien pour elle.

– Comment ça ?

– Bah elle était juste bourrée, et ce baiser n'était rien d'autre que celui d'une fille bourrée.

– Quoi ? Mais elle est au courant que c'était ton premier ? s'énerva la plus petite.

– Peut-être pas ... D'ailleurs, je lui en veux un peu pour ça ...

– Je comprends, je lui en voudrais aussi si j'étais à ta place.

– En tout cas je suis désolée de m'être emportée sur ça la dernière fois.

– Ne t'en fais pas. En attendant, j'espère que tu pourras dormir correctement même si elle n'est pas là. »

• • • Dimanche 25 avril 273, chambre 5-8, dortoir des femmes • • •

Le lendemain, elle se réveilla dans une chambre couverte de givre, signe que son cauchemar de la nuit passée l'avait terrifiée. En un mouvement de main, toute la glace magique disparue et la pièce récupéra une température normale. Elle décida de partir se balader en forêt, pour respirer un peu et faire le point sur sa situation.

Cela faisait presque deux mois qu'elle vivait parmi les humains, et même si elle avait le mal du pays et que sa famille lui manquait, elle réalisait enfin son rêve de vivre parmi ses semblables. Elle s'était faite des amis en or, qu'elle appréciait par-dessus tout dans sa nouvelle vie d'étudiante. Elle en profita pour respirer l'odeur de la forêt après la rosée du matin, puis rentra prendre son petit-déjeuner. A table, elle retrouva Tahys, Karl et Alexandre, puis Angelicka et Mélodie les rejoignirent. Ils mangèrent tous dans la bonne humeur, avant qu'elle ne les quitte pour rejoindre Thomas dans son bureau pour y étudier plus en profondeur la magie rituelle avant de s'exercer. Ce n'était pas le type de magie qu'elle maîtrisait le mieux, mais elle appréciait la pratiquer car elle comportait beaucoup de méditation.

Elle alla manger avec ses amis, puis passa son après-midi à écrire des lettres à sa famille et ses amis dans son pays, qu'elle envoya par un corbeau nommé Hugin. Hugin était le seul compagnon qu'elle avait pu emmener avec elle à l'Académie. Elle avait dû laisser son loup, Skadi, au pays car il était peu courant de voir une jeune femme chevaucher un loup de presque un mètre soixante-dix de hauteur dans ce pays. 

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