6 - husky
Ce matin était plutôt brumeux, mais ce n'était pas pour lui déplaire. Jean était un lève tôt. Sans doute à cause de ses entraînements matinaux, il avait pris l'habitude d'être debout à potron-minet. Ça ne le dérangeait pas plus que cela, bien au contraire. Il y avait quelque chose de magique, dans ces moments-là. Il pouvait se croire seul au monde. Un tricheur, qui avait pour habitude d'être là, alors que le reste du monde dormait encore. Le monde appartenait à ceux qui se levaient tôt, disait-on. Il n'en était pas sûr, mais l'air matinal avait quelque chose de vivifiant. À côté de lui, Raspoutine aboya vivement, sa queue remuant de droite à gauche, alors qu'il tirait sur sa laisse, pressé d'entrer dans le parc.
- Oui, oui, on y va, espèce de petite diva ... grommela-t-il, alors que son compagnon à quatre pattes commençait à couiner.
Raspoutine était une pile électrique sur pattes. Fort heureusement, il convenait plutôt bien à son caractère aussi enflammé que le sien, et il n'était pas rare que Jean essaye de le battre à la course, ce qui n'était pas pour déplaire à l'animal, heureux de se retrouver avec un compagnon de jeux. Peut-être s'attendait-il justement à ce qu'ils s'entraînent tous les deux, aujourd'hui ... Oui, c'était une bonne idée !
- Tu veux courir ? Hein, tu veux courir ... Oui tu veux courir !
Le chien bondit vivement, en aboyant de toutes ses forces, le faisant immanquablement rire. Jean adorait ce clébard ... Et dire qu'il avait faillit chouiner comme un gosse, lorsque ses parents avaient ramené de la SPA cette étrange créature, au lieu du chat qu'il rêvait depuis ses huit ans. Quelle erreur ç'aurait été. Raspoutine était son plus fidèle compagnon, et probablement l'une des plus belle rencontre qu'il n'ait jamais faite.
Il détacha Raspoutine, qui aboya fortement, de nouveau, et ... Ils bondirent sur le chemin de terre au même moment, courant aussi vite qu'ils le pouvaient. A cette heure aussi matinale, il n'y aurait absolument personne pour les déranger. Ils pourraient encore s'amuser de tout leur saoul pendant au moins deux bonnes heures, jusqu'à ce que les premiers coureurs commencent à affluer. En attendant, le parc devenait son terrain de jeux géant, et Raspoutine son meilleur partenaire de course. Hors d'haleine, il s'arrêta à son point de marque habituel, un cèdre particulièrement rachitique, et il éclata de rire en constatant que son chien haletait à qui mieux mieux. Sacré Raspoutine ...
- Allez pépère, on y retourne ?
- OUAH !
Mais alors qu'il s'étirait, prêt à repartir ... Raspoutine tourna alors vivement la tête, en alerte ... avant de foncer pleine bombe à l'opposé de là où ils auraient dû aller. Merde, avait-il vu un écureuil ? Ce n'était pas le moment !
- RASPOUTINE ! RASPOUTINE, REVIENS IMMÉDIATEMENT ! RASPOUTINE !
Et comme son chien ne paraissait pas prêt à revenir, Jean se mit à lui courir après, pestant contre les rongeurs qui peuplaient le parc. Le bon côté de la chose, c'est qu'il le retrouva rapidement. Le mauvais côté ... C'est qu'il le retrouva en train d'importuner quelqu'un.
Ou plus exactement, il le retrouva en train de faire un ravalement de façade à un inconnu. C'était encore pire qu'un écureuil ...
- Non, non, non, non ! Raspoutine ! Descend de là !
Le chien aboya en remuant de la queue, mais ne cessa pas pour autant son attaque, la personne agressée se recroquevillant sur elle même, tentant de repousser le chien comme elle pouvait. Exaspéré par son comportement, Jean attrapa Raspoutine par la nuque, et le força à descendre du banc sur lequel il avait sauté, en le houspillant de tout son saoul.
- Oh pardon, toutes mes excuses ... C'est quoi cette affaire, hein ?! C'est pas comme ça qu'on t'as éduqué ! Tu mérite d'être puni de bonbons ! Vilain chien !
Raspoutine abaissa les oreilles, en couinant, le dos courbé, mais Jean ne cessa pas pour autant.
- Espèce de ...
- Jean, la ferme. J'ai mal au crâne, à t'entendre gueuler comme un putois.
Il se tut en reconnaissant cette voix. Et grimaça lorsqu'il remarqua le regard noir que Tim lui lançait. De toutes les personnes qui existe sur cette planète, il avait fallut que ce soit sur lui que Raspoutine fonce ...
- Pardon, mec. Raspoutine est ... Contrôlable, normalement. Je ne sais pas pourquoi il t'as sauté dessus, comme ça.
Le jeune homme se redressa, en essuyant du revers de la main toute la bave qu'il avait sur le visage. Il grommela longuement, tentant de se débarrasser des poils blancs et noirs de son chien. Le chien en question gardait l'échine courbée vers le sol, ennuyé à l'idée de s'être fait disputé.
- Raspoutine ? T'as appelé ton chien Raspoutine ? l'interpella Tim, une fois avachi sur le banc, son regard bleu glace rivé sur lui.
- C'est un Husky Sibérien ... se justifia Jean, avec une grimace.
- ... T'avais pas plus cliché ?
- Écoute, j'avais quatorze ans, ok ?
Tim lâcha un ricanement sarcastique, alors qu'il plongeait les mains dans les poches de sa veste, un peu trop légère pour la saison. Jean fronça les sourcils, soudainement intrigué. Qu'est-ce que Tim faisait ici, à même pas sept heures du matin, dans une tenue pareille ? Ce n'était pas normal ! Et en plus ... Bon sang, c'était lui, ou il était frigorifié ?
- Tim, tout va bien ?
- Fiche moi la paix.
- Tim, regarde moi.
- ...
Exaspéré par son air buté, il se pencha vers son camarade, souhaitant simplement toucher sa peau, quand ... Il remarqua les contusions sur son visage. Il se figea, vivement, et ... attrapa Tim par l'épaule, qui semblait sur le point de s'enfuir, avant de le forcer à se rasseoir.
- Putain, Jean ! Tu fais mal !
- La ferme, gronda-t-il, alors qu'il abaissait la légère capuche de son camarade ... Pour trouver là un visage tuméfié.
Sans voix, il observa les bleus s'étendant sur ses pommettes, et sa lèvre inférieure fendue. Et était-ce lui ou ... Bon sang, il avait un œil au beurre noir.
- Tim.
- Non.
- Tim, où est-ce que tu as eu ça.
- Fous moi la paix.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Fous moi la paix, je te dis !
- Tu as passé la nuit ici ?
- Qu'est-ce que tu ne comprends pas, dans la phrase : ''fous moi la paix'' ?
- Il est absolument hors de question que je te laisse comme ça ! T'es plus bleu qu'un schtroumpf !
- Sérieusement, Jean ? Un schtroumpf ? répliqua Tim en haussant un sourcil, blasé.
- Tais toi. Chacun ses références. Bon dieu, t'es glacé. Par pitié, ne me dis pas que tu as passé la nuit ici.
Son absence de réponse en constitua une en soit ...
- Ok, hors de question que je te laisse ici tout seul.
- Je ne t'ai rien demandé !
- Et moi j'ai pas envie de me faire accuser de non assistance à personne en danger.
- Tu te fous de la gueule de qui ? Je vais pas porter plainte contre toi !
- Mais moi si.
- Tu vas porter plainte contre toi même ?
- Non, je vais porter plainte contre toi pour emmerdement matinal.
- Ça n'existe même pas !
- Allez, viens avec moi. Je te ferais un chocolat chaud.
- J'aime pas.
- T'es un chieur Tim. Mais tu sais quoi ? Je suis un plus gros chieur que toi.
Il s'affrontèrent du regard, un long moment ... Mais Tim finit par lâcher un très long soupir, et Jean sut qu'il avait gagné.
- Je t'emmerde, Jean.
- Mais non. Allez, tu me remercieras plus tard. Et Raspoutine aussi.
A l'entente de son nom, le Husky aboya, content d'être de nouveau le centre de l'attention, et Tim se déplia, lentement. Jean serra les dents, et déglutit vivement, mécontent. Quelque chose lui disait que Tim n'avait pas que des contusions au visage ...
- Tu peux marcher ?
- Oui, soupira-t-il, trop épuisé pour faire preuve de plus de sarcasmes.
- Parfait, alors on y va.
Raspoutine aboya, et commença à trotter devant eux, tandis que Jean restait à côté de Tim, veillant à ce qu'il ne tombe pas en arrière. Ses jambes tremblaient, mais il tenait le choc, sans un mot, le visage dénué de toute expression ... Que lui était-il arrivé ? Il n'aimait pas ça ... Pas ça du tout.
Finalement, il pouvait remercier Raspoutine pour son manque de savoir vivre. Peut-être que sans lui, Tim serait mort de froid ... Et dire qu'au début, il aurait tout fait pour avoir un chat, à la place de son merveilleux husky.
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