5 - bâti

Tim ne comprenait pas vraiment l'intérêt que le sport pouvait engendrer. Enfin, de son point de vue. Il n'aimait pas le pratiquer, il n'aimait pas vraiment les douleurs que ça réveillait chez lui, ou même tout ce qui allait avec : les vestiaires, les douches, les remarques acerbes des autres, les regards intrigués sur son corps ... Alors il s'était fait dispenser. Un problème de dos, de genou, de pied, d'orteil ... Ça variait selon les années. Mais il avait toujours un problème au moment où il fallait. Il était bien mal bâti, n'est-ce pas ... ?

Il regarda du coin de l'oeil leur professeur hurler sur ses élèves, alors qu'il résolvait tranquillement ses équations, amusé d'assister aux galères de ses camarades. Andréa, s'apercevant de son attention, lui fit un sourire lumineux, et il répondit par un léger signe de la main.

Profitant de la distraction de leur professeur elle vint le rejoindre discrètement, s'asseyant lourdement à ses côtés, l'air épuisée.

- Ce type est un monstre.

- Clairement, je suis heureux d'échapper à sa torture !

- Chanceux ! s'exclama-t-elle à voix basse, évitant d'attirer l'attention du démon en question.

Le gymnase étant petit, il résonnait malheureusement beaucoup ... A force d'entendre monsieur Grisha hurler sur quiconque, et le martellement des baskets sur le sol, Tim commençait à avoir la migraine ... Pourquoi était-il obligé de rester ici alors qu'il était dispensé ? Il serait mille fois mieux dans le CDI ...

- Ça tu peux le dire. Au moins, il ne me hurle pas dessus. Mais toi, tu es passée entre les mailles du filet aussi je te signale.

- J'ai la chance d'être une bonne élève, même en sport, acquiesça Andréa.

La jeune fille était rayonnante, comme d'habitude. C'était presque plus épuisant que d'entendre le prof hurler, mais Tim passa par dessus. Ces derniers temps, il s'était habitué à la présence de la demoiselle ... Et commençait même à l'apprécier. Au départ, il ne la fréquentait que pour jouer avec les nerfs de Jean, mais elle lui était devenue de plus en plus sympathique. Une fille vraiment chouette, si on omettait le fait qu'elle avait très clairement une affection un peu trop débordante pour lui. Mais le côté positif de la chose, c'était que Paul et Mélissa avait totalement cessé de vouloir le caser avec quiconque, persuadés que lui et la demoiselle allaient finir ensemble avant la fin de l'année.

Un jour, il allait falloir qu'il lui parle, quand même ...

- L'avantage des premiers de la classe, c'est qu'ils ne se font pas battre par les professeurs, mais les élèves.

Tim ricana à sa blague, et retourna à son équation. Quelques nombres plus tard, il remarqua qu'elle le fixait, l'air intriguée. Il lui retourna son regard, mais elle ne cessa pas pour autant. Bien étrange ... A chaque fois qu'il l'avait surprise ainsi, Andréa avait pourtant toujours détourné le regard. Curieux, il se redressa légèrement, faisant tourner son crayon entre ses doigts par réflexe, attendant qu'elle exprime ses pensées.

- Tu as encore besoin d'aide pour les maths ? lui demanda-t-il lorsqu'il constata qu'elle ne pipait mot.

Elle haussa les épaules, avec un petit sourire.

- Non, je me demandais simplement ce que tu trouvais à Jean.

Son crayon lui glissa des doigts, et Andréa le rattrapa au dernier moment, les yeux grands ouverts.

- Non pardon ! Je ne voulais pas dire ça comme ça ! Oh, zut, c'était indélicat ... Simplement ... J'ai remarqué que vous vous tournez beaucoup autour ces derniers temps ! Et je ne pensais pas vraiment qu'il puisse être ton type, en fait ! se justifia-t-elle à toute vitesse, en faisant des cercles avec son crayon, explicitant ses paroles.

Rarement Tim ne s'était senti aussi pris de court. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ?

- Tu sais, je connais Jean depuis longtemps, et je sais qu'il n'est pas quelqu'un qui va facilement vers les autres. Je crois que c'est la première fois de ma vie que je le vois faire ça ! Il vient te parler quasiment tous les jours, alors que vous ne vous connaissez même pas depuis un mois ... C'est impressionnant, quand même, non ?

- ... Je ne sais pas.

Elle hocha la tête, de nouveau rayonnante, et Tim commença petit à petit à recoller les morceaux ...

- Est-ce que tu pense qu'il a un intérêt particulier pour moi ?

- Ah, sans doute ! Quelle autre raison, sinon ? Après tout, il te plaît aussi, pas vrai ?

La jeune fille était aussi ignorante qu'observatrice. Il resta sans voix, le temps de deux battements de cœur, et reprit la parole.

- Comment est-ce que tu ... ?

Elle haussa les épaules, avec un petit sourire en coin.

- La plupart des garçons de ce bahut ne parlent que de deux choses, et ne regardent que deux choses : les poitrines, et les postérieurs. C'est très réducteur, et caricatural, mais on est dans le topo. Et toi, tu ne fais ni l'un ni l'autre. J'en déduis donc que... soit tu es un garçon avec un minimum de savoir vivre, soit tu n'es pas de ce bord là. Ai-je tort ?

- ... Non. Mais Jean ... ?

- Jean est trop obsédé par le sport pour s'occuper des filles.

D'accord, elle était vraiment ignorante. Tim cligna des yeux un instant, fasciné par la dualité de cette jeune fille, et pencha la tête sur le côté.

- Mais alors, tu n'es pas intéressée par moi ?

Elle sursauta vivement, et se mit à rougir si fortement que même ses oreilles prirent la couleur d'une tomate bien mûre.

- J-je ... Non ! Bien sûr que non, je ... Je ... Ah, oui, quand je te regardais et tout ... Oh, pardon ... C'est juste que ... Oh, est-ce que ça peut rester entre nous ?

Elle semblait embarrassée plus que jamais ... Il allait de surprise en surprise, avec elle. Il haussa un sourcil, intrigué, mais hocha la tête. La jeune fille lui rendit alors son crayon, et se releva, avant de faire le tour du banc pour attraper son sac qu'elle avait laissé là en début de classe, et revint vers lui, avec un grand carnet entre les mains, le visage toujours aussi rouge.

- E-en fait ... Oh, je crois qu'il vaut mieux que tu vois par toi même.

Tim attrapa son carnet, et l'ouvrit, presque impatient à l'idée de trouver ce qui semblait tant la troubler ... Et tomba sur une flopée de croquis tous plus réalistes les uns que les autres ... Mais avec une grande touche de fantastique. Des Elfes, des Nains, des Faes ... Il fit défiler les pages entre ses doigts, admirant un talent qu'elle devait avoir affiné durant de longues années, jusqu'à ce qu'il tombe sur un dessin particulier : entièrement coloré, il représentait un homme de haute taille, bâti plutôt finement, tout de noir vêtu, mais avec de grands yeux bleus perçant ... Et Tim se reconnu dans ce dessin, avec étonnement.

En relevant la tête, il remarqua l'air aussi inquiet que nerveux d'Andréa, alors qu'elle triturait ses cheveux comme jamais il ne l'avait vu faire auparavant.

- Qu'est-ce ?

- Mon ... carnet d'histoire.

- Tu écris ? s'étonna-t-il, presque impressionné.

Il avait beau aimer lire, il n'avait jamais pris la plume de sa main. Mais ça ne l'empêchait pas de respecter quiconque s'adonnant à un exercice aussi compliqué à ses yeux.

- Un webcomic, que je publie tous les mois. C'est une histoire un peu basique, sur un monde fantastique, et blablabla ... résuma-t-elle en marmonnant, le regard rivé sur ses chaussures.

Il reporta son regard sur le carnet, et se mit à lire toutes les petites définitions qu'elle avait apposé dans son carnet, ça et là, véritable minutie impressionnante. Elle avait créé un véritable univers ...

- Et euh ... Le garçon là, à la grande capuche noire, et ... qui te ressemble, c'est Maher.

- Maher ?

- Ouais ... C'est le héros de l'histoire. Je l'ai créé quand j'avais dix ans et ... bref, je l'adore. C'est un peu comme ... mon bébé, tu vois. Que j'ai façonné au fur et à mesure des années. Et quand je t'ai vu pour la première fois ... J'étais fascinée ! Tu es son portrait craché.

Ceci expliquait cela. Son affection n'était pas dû à un quelconque coup de cœur, mais parce qu'il lui rappelait son personnage préféré. Ah, c'était amusant. En fait, il préférait cela à un amour à sens unique. Ça lui enlevait une véritable épine du pied, et le sauvait d'un bel ennui.

- Et tu construis cette histoire depuis combien de temps ? Six ans, sept ans ?

Son regard s'illumina lorsqu'il aborda le sujet, et Tim compris qu'il devait avoir mit le doigt sur une passion véritable.

- Presque huit ans, en mars ! C'est quelque chose qui me tient vraiment à cœur, et ... Ah, pardon ... Je m'emballe trop facilement quand il s'agit de ça et ...

- Non, non. Parle m'en plus.

Andréa fit le plus beau sourire qu'il ne lui ait jamais eu, et elle commença à tout lui expliquer, de A à Z, à l'aide de son carnet. Ses équations oubliées, il se plongea dans le monde qu'elle déroulait sous ses yeux, son imagination travaillant au rythme des noms, des termes, et des paysages qui s'étalait sur les page de son précieux cahier. C'était tout bonnement passionnant.

- Et là, j'en suis rendue au chapitre vingt-cinq. Maher se retrouve devant un village détruit, et je dois le dessiner, mais je ne sais pas encore quelles nuances de gris user ... grommela Andréa, en fermant son carnet, l'air sincèrement embêtée.

- Peut-être que tu peux t'inspirer de celle de la cendre ? Ou prendre des modèles existants ?

- Je pense que c'est ce que je vais faire ! Merci de m'avoir écouté, Tim. Et de ne pas m'avoir prise pour une folle ... s'excusa la jolie blonde, en grimaçant.

Il secoua la tête, et haussa les épaules.

- Ton travail est impressionnant. En tout cas, j'ai hâte de m'y replonger ce soir !

Elle piqua un nouveau fard, et Tim ne put retenir un sourire en coin.

- T-tu vas me lire ?

- Bien sûr.

Son ton, on ne peut plus affirmatif, sembla la mettre en joie. Elle bondit sur ses pieds, et alla ranger son carnet, prête à rajouter autre chose, lorsque le professeur la héla de l'autre bout du gymnase.

- Oups, je dois y aller ou je vais me faire remonter les bretelles ... Merci de ton attention, Tim !

- Avec un grand plaisir ! On en reparlera plus tard, si tu veux.

- Merci !

Et elle s'élança vers le professeur, qui semblait maintenant prêt à la houspiller, alors que Tim tentait de se replonger dans ses équations, sans succès. Ce n'était pas tous les jours qu'on était l'incarnation vivante d'un personnage aussi fascinant que le mystérieux Maher ... Et l'esprit d'Andréa était en réalité mille fois plus impressionnant qu'il ne l'aurait cru être.

Jean était bâti pour le sport. Lui était bâti pour la logique. Et Andréa l'était pour la créativité. C'était amusant, comme conclusion.

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