3 - appât

Jean bouillonnait. Il bouillonnait tellement qu'il avait faillit rater l'entraînement, allant presque jusqu'à s'embrouiller avec un de ses équipiers. Le coach lui avait remonté les oreilles avant de l'envoyer sur le banc de touche.

Après une douche presque fumante, il était allé se changer sous les railleries de ses pairs, qui avait très bien compris où était le problème. Après tout, la nouvelle avait très vite fait le tour du lycée, hier après-midi.

Le nouveau, Tim Moreau, avait osé draguer Andréa Keen devant Jean Calvez. Il était devenu la risée du lycée en l'espace de quelques heures, et tout le monde ne parlais plus que de TIM. Cette grande perche venue tout droit de la capitale, au joli minois et à l'intelligence insultante, qui était devenu en un rien de temps le chouchou des profs. Jean détestait ce genre de personne. Ceux qui se croyaient tout permis parce qu'ils avaient le cran d'oser faire quelque chose d'incroyable. Ça faisait des années, depuis le collège exactement, que Jean tentait ses chances, avec Andréa. Ou plutôt, essayait de les tenter. Il n'avait jamais eut le cran de lui demander si elle voulait devenir pour lui autre chose qu'une simple amie. Quatre ans qu'il espérait avoir un jour assez de courage pour ça. Auparavant, il se disait simplement indigne d'elle. Mais maintenant ... Maintenant, il était devenu un athlète, fort de lui même, de ses capacités, et salué par ses camarades ainsi que par ses professeurs. Il était admiré, convoité ... La coqueluche du lycée. Andréa n'aurait aucune raison de refuser, non ?

Et puis ce Tim était apparu du jour au lendemain, et l'avait volé à lui. Et ça, il ne lui pardonnait pas autant qu'il ne se le pardonnait pas.

Il sortit des vestiaires en trombe, sous les moqueries de ses co-équipiers, et se mit en route vers le lycée. L'entraînement matinal finissait assez tôt, de manière générale, mais comme aujourd'hui, il ne commençait qu'à neuf heure, il pouvait prendre tout son temps. Maussade, il se dirigea à pied vers le lycée, le trajet lui prenant deux fois plus de temps que d'habitude, mais il avait besoin de se calmer les nerfs. Cette histoire faisait monter en lui une vague de remords, de regrets, et de culpabilité qu'il avait du mal à endiguer. Tout ce temps perdu pour rien ? Non, il ne pouvait pas y croire ...

Mais alors qu'il arrivait enfin au lycée, désert à cette heure si matinal, complètement perdu dans ses pensées au point qu'il ne faillit pas se rendre compte de là où il était ... son regard se posa sur Tim. Il s'arrêta net, incrédule. Ce dernier se trouvait à quelques pas à peine du portail de l'établissement, fumant une longue cigarette tout en étant adossé au grillage bordant leur grande cours de récré, le regard perdu dans les nuages encore teinté de rose par l'aurore tardive de ce mois de novembre.

À sa vue, son sang ne fit qu'un tour. Ses pieds se tournèrent vers l'impromptu, et avant qu'il ne le réalise vraiment ce qu'il se passait, Jean fonçait vers le nouveau, au pas de charge. Il se planta devant le fumeur, à une demi jambe de distance de lui, le son de sa musique tonitruante filtrant à travers son casque jusqu'à lui. Quelques secondes plus tard, alors que Jean se demandait s'il allait finir par lui coller son poing dans l'estomac, Tim se rendit enfin compte de sa présence, et descendit son regard du ciel, vers lui, avant de lui faire l'un de ses sourire si poli qu'ils en devenaient insultant. Il retira son casque, et se mit à jouer avec le cordon de celui-ci, alors qu'il prenait une grande bouffée de cigarette, en souriant toujours aussi allégrement. Ignoble personnage ...

- Jean ! Bonjour ! Que puis-je pour toi ? Tu veux de l'aide pour l'exo de maths ?

- Arrête tes conneries immédiatement. Et éloigne toi d'Andréa !

Il haussa les sourcils, l'air surpris, et Jean serra les dents. Tim tapota sur sa cigarette, faisant tomber sa cendre à terre sans le quitter du regard, et expira longuement sa fumée, l'air totalement détaché.

- Je ne lui veux rien, à Andréa.

- A d'autres !

- C'est la vérité. C'est elle qui a acceptée mon aide. D'ailleurs si tu as besoin ...

Il eut la sagesse de fermer son clapet à son regard, alors qu'il prenait une nouvelle bouffée de fumée.

- Andréa est une fille trop bien pour toi, laissa-t-il échapper, d'un ton hargneux, espérant le secouer de sa nonchalance exaspérante.

Mais au lieu de s'énerver, Tim haussa une épaule.

- C'est bien vrai. Elle est très gentille, Andréa. Trop douce. Trop bien pour moi. Elle ne m'intéresse pas.

Jean tiqua un instant, et il dut faire une drôle de tête, pour que Tim s'amuse à lui rire au nez, ainsi.

- Pourquoi as-tu l'air aussi surpris ? C'est la vérité. Andréa ne m'intéresse pas le moins du monde. C'est une camarade agréable, mais ça s'arrête là.

Éberlué, Jean l'observa un instant, aussi méfiant qu'incrédule. Se moquait-il de lui ... ? Il expira de nouveau un nuage de fumée, que Jean esquiva d'un geste de la main rageur, alors que Tim prenait une lente inspiration.

- Andréa ne t'intéresse pas ? Est-ce que tu es en train de me dire que tu ne t'es mise à la fréquenter par amitié ?

- Non. Parce qu'elle avait besoin d'aide pour ses maths. Et aussi parce que tu l'avais dans le viseur.

Quoi ? Comment ça ? Son incompréhension eut l'air d'amuser Tim, qui se mit à tapoter le cadran de sa montre, rapidement.

- Allez, je te laisse dix secondes pour comprendre. Dix ... neuf ...

Il cligna des yeux, dérouté, puis ... Ça le frappa enfin. Tim avait essayé d'attirer son attention à plusieurs reprises depuis son arrivée. En lui posant des questions, en le titillant, en s'amusant à lui voler des affaires, parfois ... Et Jean l'avait tout bonnement ignoré, quoique exaspéré par son comportement.

- Deux ... Un ...

- Andréa était l'appât.

Sur le point de prononcer le dernier chiffre de son compte à rebours, Tim releva un regard satisfait vers lui, et leva les bras en signe de victoire, sa cigarette coincée entre ses lèvres.

- Il a compris ! Mesdames et messieurs, applaudissez le ...

Il l'interrompit d'un grognement, et Tim ricana, avant de terminer sa clope d'une vive inspiration.

- Qu'est-ce que tu me veux, au juste ? grommela Jean, à bout de temps et d'énergie pour ce clown.

Tim haussa les épaules, et jeta son mégot dans la poubelle juste à côté de lui, avant de ramasser son sac et son manteau.

- C'est une bonne question ... Maintenant si tu veux bien m'excuser, j'ai cours ! A bientôt !

Il lui fit un salut militaire, purement moqueur, et le contourna agilement vers le portail, alors que Jean tentait de le retenir.

- Mais qu'est-ce que tu me veux, à la fin ? rugit-il, alors que Tim s'enfonçait dans la cours en direction du bâtiment, tout en remettant tranquillement son casque sur ses oreilles.

Frustré, Jean le regarda s'éloigner alors que commençaient à arriver les premiers étudiants, agrippant le grillage de toutes ses forces, complètement perdu. Des semaines que Tim n'arrêtait pas de l'embêter, et c'était à cause d'Andréa qu'il avait cédé à ses manigances ... Andréa avait servi d'appât, pour lui. Et Jean s'était jeté dans la gueule du loup sans y réfléchir plus que ça. Que lui voulait Tim, à la fin ?

Il avait mordu à l'hameçon, et maintenant, il le regrettait amèrement. 

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