Lorsqu'il se réveilla ce matin-là, ce fut grâce aux rayons de soleil. Sur ce mont, il brillait d'une force inégalé. La montagne portait bien son nom.

Avec un long soupir, il se leva souplement, et commença à longuement s'étirer, fourbu. La nuit avait été longue ... quoi que satisfaisante. Il observa encore une fois la petite caverne qui était devenu son lieu de résidence, et ne put s'empêcher de sourire. Les premiers jours, c'était un endroit quelque peu austère, mais maintenant ... Il avait réussi à en faire un lieu fort agréable. Heureusement, les villageois l'avaient bien aidé. Heureux de savoir que dorénavant, Maher n'habiterait plus la montagne seul, ils avaient fait tout leur possible pour l'aider à être installé le plus confortablement possible ici.

Il se trouvait que ces derniers savaient non seulement qui était réellement Maher, mais ils l'appréciaient d'autant plus également. Ils le considéraient comme le gardien du village et de la Montagne, et Maher les voyait comme des amis.

Encore aujourd'hui, Lothaire n'arrivait pas vraiment à réaliser ce qu'il s'était produit seulement un mois auparavant.

Maher Lasair, le passeur de la Montagne du Grand Soleil était en réalité la Bête Rouge. Le Dragon le plus féroce de tout le Royaume. Et en l'apprenant, Lothaire avait bien failli faire une crise cardiaque. Mais au lieu de les dévorer, lui et Lysethea, l'enfant dont il était devenu malgré lui le gardien, Maher avait proposé quelque chose d'assez étrange, d'assez fou.

"Restez ici. Résidez avec moi sur le Mont. Et jamais vous ne serez plus menacés, elle et toi."

Lothaire avait accepté. Par peur, au départ, mais maintenant ... Maintenant il s'y était fait. Et il aimait la vie qu'il s'était construite, ici.

Il se saisit d'un linge propre, écarta le rideau séparant sa petite grotte du reste de la caverne gigantesque qui leur servait de maison, et sortit. Sur une épaisse couche de paille, Lysethea était en train de gigoter dans tous les sens en secouant un jouet que l'ébéniste du village avait confectionné spécialement pour elle. Les villageois étaient tous complètement dingues de cette petite ... À chaque descente, ils ne cessaient de demander des nouvelles du bébé, et réclamaient à grands cris qu'il la ramène. Et Lothaire ne se lassait jamais vraiment de répéter qu'il le ferait lorsqu'elle serait plus grande. Et ça faisait bien longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi bien.

- Je vais me laver, je reviens dans peu de temps. Tu la surveilles bien, hum ? Et garde tes pattes là où elles sont.

L'immense créature contre laquelle Lysethea s'appuyait se mit à souffler longuement, signe d'une grande exaspération. La petite éclata de rire. Depuis que Maher était apparue sous sa vraie forme devant elle, elle l'adorait d'autant plus. Un Dragon aimé des bébés ... si un jour on lui avait dit ça.

- Maher, pas de ça avec moi.

Le Dragon Rouge leva lentement sa lourde tête, d'une hauteur respectable, et commença à le fixer de ses grands yeux azur. D'un air qui se voulait probablement aussi supérieur que moqueur ...

- La dernière fois, c'est toi qui l'avais fait tomber par terre à cause d'un geste brusque.

Maher souffla à nouveau, mais cette fois-ci, un lourd nuage de fumée s'échappa de ses naseaux. Lothaire laissa échapper un ricanement, peu impressionné.

- Tu sais que tu es en tort. Alors fais attention avec elle. Ou sinon, je vais chercher mon épée, et je t'arracherai les écailles une à une.

Cette fois-ci, ce fut un grognement guttural qui s'échappait de son ami, et Lysethea éclata d'un grand rire, en secouant encore son jouet. Le Dragon détacha son regard de lui, pour se baisser vers le petit être dont il avait la charge, qui s'agita en le voyant lui porter attention.

Avec un léger sourire, il laissa le Dragon et la petite Princesse s'occuper mutuellement l'un de l'autre, et sortit de la caverne. Non loin de là se trouvait une petite source d'eau claire, très agréable, et merveilleusement bien chauffée par le soleil, qui lui servait de baignoire improvisée. Il se déshabilla, et y plongea avec délice, en songeant à son nouvel ami.

Maher restait avec eux sous son apparence humaine, la plupart du temps, mais ça lui faisait aussi beaucoup de bien de retrouver sa forme originelle. Il en avait besoin.

Au départ, Lothaire n'avait pas vraiment compris comment est-ce que Maher pouvait se retrouver à la fois sous forme humaine et ... sous forme draconique, mais il s'y était vite fait. Peut-être qu'un jour, celui-ci lui expliquerait la manière dont il s'y prenait. Cinq semaines qu'il était déjà ici, et Lothaire trouvait qu'il s'habituait plutôt bien à cette drôle de cohabitation ... Il fallait dire qu'en l'espace d'un peu plus de deux mois, sa vie avait radicalement changée ... Du tout au tout, en effet.

Il était passé d'une vie de château, littéralement, à ... Cette vie-là. Une vie auprès d'un Dragon au caractère quelque peu difficile, et auprès d'un merveilleux bébé tout aussi difficile. Et pourtant ... Il n'avait jamais été aussi heureux.

Et point bonus, grâce au feu de Maher, il n'était jamais à court d'eau chaude. Heureusement, comme la saison chaude battait son plein, il n'en avait pas encore besoin pour se baigner ... Peut-être pourrait-il amener une baignoire en cuivre jusqu'ici ? C'était à voir ... ces choses-là étaient lourdes. Et les monter tout en haut d'une montagne, c'était une autre affaire que de monter un fagot de bois ... Hum, il trouverait bien un solution.

Lorsqu'il arriva de nouveau à la grotte, Maher s'amusait avec Lysethea sous forme humaine. Et ... c'était lui où il était aller lui voler des vêtements ?

- Maher, ce n'est pas parce que tu n'as que quelques habits que tu es obligé d'aller fourrager dans les miens ... Va t'en acheter !

Ce dernier se retourna vers lui, et lui tira la langue, en un geste tellement humain qu'il ne put s'empêcher de faire les gros yeux. Et bien sûr, Lysethea explosa de rire. Dire que cette enfant était auparavant si silencieuse ... Depuis quelques temps, elle lui donnait l'impression d'être enfin vivante ... Et Lothaire aussi, avait maintenant l'impression de revivre.

Lorsqu'il était parti sur les routes, deux mois auparavant ... il avait eu l'impression de voir son monde s'effondrer. Et lorsqu'il avait enfin compris les intentions du roi ... c'était tout son être qui s'était déchiré, brisé. Il avait passé sa vie entière à servir le roi. Ça n'avait été ni plus ni moins que son unique but. Et dire que sa dernière mission n'était que de d'amener la descendance de la royauté qu'il avait juré de servir et de protéger à sa mort ... C'est ce qui l'avait achevé. Mais quand Maher lui avait donné une seconde chance ... Lothaire avait eu l'inespérable chance de pouvoir continuer sa quête.

- Ça va ? Tu en fais, une drôle de tête.

Il soupira longuement, en se frottant le front, et vint s'asseoir à côté de lui.

- Je repensais à avant. Pardon.

Maher se redressa doucement, et Lysethea agita furieusement ses pieds dans l'air, alors qu'il la prenait dans ses bras. Le regard qu'il lui lança fut étrangement doux. Maher était un être un peu bourru, mais il était également capable d'une attention bienvenue. Il avait un don particulier quand il s'agissait de l'apaiser ou de le calmer.

- Ne t'excuse pas. C'est normal que ça te revienne en tête. Mais c'est fini tu sais ? Maintenant, tu es ici.

Lothaire se força à lui faire un petit sourire, et hocha doucement la tête. Maher lui posa une main sur l'épaule, et la serra, doucement. Sa manière à lui de le réconforter, de lui dire que tout allait bien. Lothaire n'était pas tactile, bien au contraire. Mais le toucher de Maher ne l'avait jamais dérangé, à sa surprise.

- Merci, Maher.

Le dragon retira sa main avec un hochement de tête, et il lui donna Lysethea. La petite, heureuse d'être bougée, se mit à émettre des pépiements de contentement, en bavant de tout son saoul. Et Maher se leva souplement, avant de disparaître dans une cavité à sa gauche, sans un mot. Cette montagne était un vrai gruyère. Des cavités menant à des tunnels, eux même menant à des petites salles diverses avaient été creusées ça et là, depuis probablement des dizaines, voire des centaines d'années. Peut-être que tout ce travail était dû à la tribu de laquelle Maher était issu ...

Une tribu mi-humaine mi dragon ? Quel fouillis ...

Mais au bout de quelques temps, Maher refit irruption avec un sourire satisfait. Et dans son poing ...

- Qu'est-ce que c'est ?

- Une écharpe, lui répondit-il, en s'approchant de lui.

L'immense pièce de tissu gris paraissait douce au toucher. Mais lui semblait bien étrange.

- C'est la première fois que je vois une telle chose.

- Attends, tu vas comprendre. Lève les bras.

- Mais Lysethea ?

- Pose la.

Dubitatif, Lothaire allongea doucement la petite sur son épaisse couverture, tissée par la doyenne du village, et se redressa face à Maher, qui s'amusa à lui nouer l'énorme pièce de tissu autour de lui. Perdu, il se demanda pourquoi est-ce que Maher était en train de le saucissonner, quand il réalisa ce qu'il était en train de faire.

- C'est ...

- Attends.

Puis Maher se baissa, pour récupérer Lysethea, et la glissa dans l'une des couches du long tissu. Elle fut instantanément bien tenu en place, et la petite s'extasia à nouveau, avec un grand sourire.

- Une écharpe porte bébé ... souffla Lothaire, en passant ses mains sur le tissu certes rudimentaire, mais incroyablement doux.

- En effet. Ma mère l'avait tissée de ses mains.

C'était à ... Oh, par le ciel. Maher posa les mains sur ses hanches, et détailla le tissu avec une attention légèrement troublante. Puis, il lui tourna autour, deux fois, et vint se planter en face de lui en hochant la tête d'un signe approbateur.

- Ma mère l'avait conçu selon ses propres dimensions à elle, mais je suis content de voir que ça te va. C'est peut-être un peu trop serré, mais ça n'a pas l'air de gêner Lysethea.

- On dirait ...

L'enfant semblait même on ne pouvait plus heureuse. Elle se cala contre lui, et papillonna des yeux un instant, avant de piquer du nez. Maher s'approcha, doucement, et l'observa s'endormir avec un petit sourire.

- Tes battements de cœur doivent l'apaiser.

- Peut-être ...

Il caressa son front, du bout du doigt, et constata qu'elle avait un peu grandi. Et dire que d'ici quelques temps, elle ferait ses dents ...

- Maher ... Merci. Mais pourquoi ... ?

- Parce que le tissu dans laquelle tu la transportais jusqu'à présent n'est qu'une serpillière en lambeaux. Imagine qu'elle se déchire alors que tu descends la montagne avec elle. Paf, plus de Lysethea.

Il grimaça à l'image très vivace que ses mots lui inspirèrent, mais Maher ne retira pas ses propos.

- Alors, tu penses quoi de ça ?

- Eh bien ... Ça tire moins sur la nuque et l'épaule, c'est chaud, c'est agréable, c'est doux. Et c'est ... merci. Vraiment merci. Ça plaît à Lysethea.

Maher lui dit un petit sourire, et porta lui aussi son regard sur la jeune enfant.

- Oui, en effet. Ça a l'air de bien lui plaire. Et ...

- Quoi ?

- Non, rien. Je ... rien, laisse.

Maher lui jeta un regard en biais, mais il l'ignora du mieux qu'il put. Lothaire n'osait pas vraiment le dire, mais ... C'était sans doute la première fois qu'il recevait un cadeau de qui que ce soit. Hormis la bourse, dans l'auberge. Et ... c'était plus agréable qu'il ne l'aurait cru. Même si ce n'était qu'une écharpe pour enfant, même si elle était destinée à Lysethea ... C'était ... quelque chose qui le touchait. Qui était spécial. Aussi spécial que Maher.