9. Cléo Jenkins
— Say what you mean out loud ! Drowning in silence, when I'm lost in the crowd.
Cléo avait tenté de ne pas paraître surprise quand Diane s'était mise à chanter avec Mya la phrase suivante. Elle pensait que c'était pas mal réussi. Ses amis ne disaient rien, donc elle ne pouvait pas avoir d'avis objectif.
— Cause every sweet thing you'd never speak, it's deafening.
La jeune fille avait fait de son mieux pour ne pas faire le lien entre cette musique, Diane et Mina jusque là, mais ça en devenait réellement difficile. Cependant, c'était la vidéo qui allait être envoyée pour le concours, alors elle savait qu'elle devait se ressaisir.
— Never knowing what could be. Wish I could show you, how...
Elle s'était retenue de pleurer de toutes ses forces. Ses doigts tremblaient sur les touches de son piano. Diane l'avait serrée contre elle, et la prise de ses mains sur ses épaules semblait tellement réaliste, chaude et réconfortante qu'elle avait eu du mal à imaginer que ses amis ne pouvaient pas ressentir sa présence. Elle était triste pour eux.
Certes, Diane était celle de la bande qui s'y connaissait le mieux dans l'art du sarcasme et également celle qui y allait toujours de son commentaire déplacé ou de sa blague salace, mais elle était aussi celle qui mettait des couleurs dans sa vie. Qui la réconfortait quand ça n'allait pas, qui faisait des remarques idiotes devant First Kill avec elle, qui chantait et dansait sur son lit. Dire que Mya, Sarah, Sasha et Zed ne connaissaient sa formidable meilleure amie que par le biais de ce qu'elle leur retranscrivait lui déchirait le cœur.
D'un côté, elle aimait pouvoir garder la jeune fille pour elle seule, comme un secret. Même si, bien sûr, celle-ci méritait d'avoir d'autres amis qu'elle. Mais c'était plus fort qu'elle, Cléo adorait ça.
— But you're just a ghost now...
Elles avaient fini ensemble, mais sur la vidéo, on ne voyait que Mya. Cléo trouvait ça tellement injuste.
Diane avait essayé de lui sourire, mais derrière son sourire bancal, la blonde voyait bien que son amie se retenait de fondre en larmes.
— On a trop géré ! S'était exclamée Mya en sautillant un peu partout.
— J'avoue que pour un remix, c'est vraiment pas mal, avait admis Sarah.
Cléo avait ouvert et refermé la bouche. Sarah était en règle générale bien plus avare en compliments qu'en insultes. Qu'un sorte de sa bouche était tout bonnement un exploit.
— Est-ce que tu viens de nous complimenter, là ?
— Certainement pas toi, en tout cas, avait rétorqué son amie.
— Eh, on se calme les enfants, s'était amusé le meilleur ami de Sarah. Vous ressemblez à des gamines, là.
Il avait secoué la tête d'un air amusé.
— En toute humilité, j'avoue que c'était pas dégueu, avait approuvé Anastasia en sautant au cou de son frère, qui s'était laissé tanguer avec un sourire gêné.
Cléo n'arrivait pas à cerner ce garçon. Il devait dire dix mots grand maximum par répétitions, et aucun d'entre eux ne réussissait à se rapprocher de lui, si on excluait Zed qui passait environ tout son temps avec son ami. Comment réussissait-il à faire ce qu'elles ne réussissaient pas ?
D'un côté, la blonde voyait comment Sasha regardait son ami. C'était le genre de regard qui annonçait au choix le bonheur absolu ou l'autodestruction. La dernière fois que Cléo avait donné ce regard à quelqu'un, celle-ci l'avait détruite.
Une voix sur sa gauche avait retentit.
— Moi aussi, je suis fière de vous, mes Âmes Perdues. On a tellement bossé.
L'adolescente avait adressé un immense sourire à sa meilleure amie (qui avait enfoncé deux doigts dans sa bouche et fait mine de régurgiter son repas) puis avait répété la phrase aux autres du groupe.
— "Mes" Âmes Perdues ? Avait fait remarquer Zed. Est-ce que y'en a pas une qui commencerait à s'attacher à nous ?
Cléo ne savait pas s'il parlait d'elle ou de Diane, mais elle avait souri quand même.
Sasha, le doigt en suspens au dessus de son téléphone, avait jeté un regard par dessus son écran.
— J'envoie ?
Ils avaient tous hoché la tête en chœur, et la vidéo était partie.
***
— Mon dieu, meuf, je stresse TROP.
Les résultats étaient ce soir-là, et Cléo était terriblement nerveuse. À première vue, c'était pas trop mauvais, ce qu'ils avaient fait, mais et s'ils avaient été trop arrogants ? Elle pensait bien évidemment que ses amis avaient été fabuleux, mais, et elle ? S'ils disaient que c'était bien seulement pour lui faire plaisir ? Après avoir visionné leur vidéo des dizaines de fois, elle ne se trouvait plus si bonne. Il manquait la voix de Diane, qui avait rendu le moment magique.
— Ne t'inquiètes pas, vraiment, avait rétorqué Mya. Ça peut pas être si mauvais. Je t'ai trouvée super, perso.
Cléo lui avait souri.
— Merci beaucoup.
Son amie lui avait aussi sourit en retour et elle avait porté son bubble tea à ses lèvres. Mya avait de nouvelles cicatrices sur les paumes, et si elle croyait que ça ne se voyait pas, alors elle était bien naïve.
La blonde devait bien l'avouer, elle était inquiète. Elle aurait voulu savoir ce qu'il se passait pour qu'elle ait toutes ces cicatrices. Mais d'un côté... Bien que toutes les deux soient amies désormais, l'adolescente ne pouvait pas oublier que cela faisait bien un an que la fille aux cheveux roses la critiquait sans relâche. Et, soudainement, elle devait croire qu'elle ne recommencerait jamais ? Elle s'en voulait de penser ça, mais elle voulait que Mya paie pour ce qu'elle leur avait fait subir, à Sarah et elle.
Elle n'arrivait vraiment pas à comprendre Sarah. Cette dernière s'était faite harceler par Mya, abandonner, insulter, elle avait lancé des rumeurs sur elle, et elle en passait. Alors, comment faisait-elle pour simplement réussir à marcher à côté d'elle sans avoir envie de lui sortir sa tête de ses gonds ? Et encore, c'était un euphémisme. Cléo voyait bien à quel point son amie était attachée à Mya. Ça lui faisait de la peine, de savoir que ça avait très peu de chances d'être réciproque.
Mais Cléo et Mya arrivaient à entretenir des rapports faussement amicaux, et c'était déjà ça.
— Bon, ils tardent un peu à arriver, les autres, s'était exclamée Diane en surgissant cette fois à la droite de Cléo.
Après l'avoir répété à Mya, celle-ci s'était emparée de son téléphone et avait regardé l'heure.
— C'est vrai, ils ont déjà tous cinq minutes de retard. Il faut leur apprendre à être ponctuels.
— Même moi j'ai fais un effort ! S'était exclamée Cléo. Et pourtant j'ai un trouble de l'attention, et Dieu que c'est dur d'arriver à l'heure quand tu as un trouble de l'attention.
— Gros soutien à toi franchement.
Cléo avait été diagnostiquée l'année précédente.
Toute sa vie, elle s'était dit que ses problèmes scolaires, sa manie d'arriver en retard, son incapacité à rester concentrée plus de cinq minutes, le fait qu'elle coupait automatiquement la parole aux gens... Elle s'était toujours dit que c'était car elle avait un problème. Que c'était elle, le problème, en fait.
Puis elle avait entendu parler du trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité sur les réseaux sociaux, et par le biais de Diane. Elle avait fait toutes les démarches nécessaires, et, ses parents étant des personnes formidables, d'apparence en tout cas, n'avaient pas hésité à dépenser des centaines d'euros en psychologues et en tests. Elle avait fini par se faire tester, et la sentence avait été irrévocable : elle avait définitivement ce trouble.
Elle se soignait avec de l'hypnose, ne faisant pas confiance aux possibles médicaments qu'on pourrait lui servir, mais elle n'allait pas mentir : c'était efficace, mais malheureusement pas assez.
— Je suis... Pas trop... En retard... Pas vrai ? Avait dit Zed en arrivant, essoufflé.
Sasha et Anastasia le suivaient de pas loin, eux aussi essoufflé.
— Juste de quinze minutes, rien de grave, avait ironisé Mya en levant les yeux au ciel.
— Désolé, avait soufflé le garçon. On devait aider ma mère à faire un truc.
Sasha n'avait pas voulu leur expliquer exactement pourquoi il logeait chez Zed en ce moment, trouvant préférable d'uniquement leur dire qu'il avait des problèmes chez lui et qu'il avait entraîné sa soeur dans ses problèmes sans le vouloir. Cléo s'était contentée de cette explication, même si elle mourait d'envie d'en savoir plus.
Zed et Sasha s'étaient assis à l'autre bout de la table, affalés l'un contre l'autre. Anastasia s'était juchée sur les genoux de son frère, et celui-ci avait grogné en marmonnant qu'elle était trop lourde.
— Salut.
Sobre, comme Sarah.
Elle était en train de marcher dans leur direction, une cigarette à la main, son casque descendu sur ses épaules, la démarche nonchalante, comme toujours. Elle ne semblait pas en avoir grand-chose à faire d'être en retard.
— Eh bah dis donc, elle se prend pas pour n'importe qui, avait cru bon de rajouter Diane.
Cléo avait préféré ne pas répéter ça au reste de l'équipe.
Une fois que tout le monde était attablé, elle avait prit la parole :
— Bon. J'ai reçu le mail ce matin. Est-ce que quelqu'un a besoin d'un peu de préparation mentale avant que je ne l'ouvre ?
— On en a tous besoin, je pense, avait marmonné Sarah.
Cléo avait choisi de l'ignorer et avait cliqué sur le mail. Elle l'avait lu à voix haute :
— Bonjour Cléo Jenkins, leader du groupe “Âmes Perdues” (Sarah, Mya et Diane avaient ricané de concert à l'entente du mot "leader") nous avons le plaisir de vous annoncer que votre candidature pour participer à notre concours les Inclassables a retenu notre attention, et nous serions ravis de vous retrouver sur le plateau pour la prochaine étape du concert. Elle se situera à Paris, dans le quinzième arrondissement. Nos salutations à vous, Cléo, ainsi qu'aux autres membres du groupes. Les organisateurs des Inclassables.
Les Âmes Perdues s'étaient tous regardés et avaient sourit en chœur. Sasha avait manifesté de l'enthousiasme, pour la première fois. Il avait poussé un petit cri de joie, puis avait fait un high five à Zed, puis sa petite sœur.
Mya avait enlacé Sarah, qui s'était mise a rougir violemment, et Diane avait offert à Cléo le plus beau sourire qu'elle ne lui ait jamais offert. Elle était heureuse. Merde, qu'est-ce qu'elle aimait être heureuse.
Elle priait tout ce en quoi elle croyait et ce en quoi elle ne croyait pas pour que ses amis et elle ne se séparent jamais, car même si elle n'avait toujours pas totalement pardonné à Mya et qu'elle avait des difficultés à former un quelconque lien avec Sasha, elle les aimait tellement que c'en était ridicule. En quelques semaines, ils avaient prit toute la place dans son cœur, et la plupart du temps elle ne se sentait même plus malheureuse. Cléo était persuadé que c'était le destin qui les avait placés sur son chemin, au bon endroit et au bon moment.
Elle les avait observés sourire, rire et se taper dans les mains, aussi excités qu'elle à l'idée de se produire sur une scène, de montrer leur passion au monde entier, de montrer leur talent. De se faire une place dans le monde.
Ces Âmes Perdues s'étaient enfin trouvées.
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