7. Zed Singh
Zed était tranquillement en train de faire une insomnie quand il avait entendu des bruits, comme des poings qui cognaient contre sa fenêtre. Sa chambre était au rez de chaussée d'un immeuble au détour d'une avenue, il était donc possible d'accéder à sa fenêtre par l'extérieur. Ça l'obligeait à faire attention à toujours fermer sa fenêtre, au cas où quelqu'un tenterait de s'infiltrer par effraction chez lui.
Le premier instinct de Zed avait été de se dire que la personne était un tueur en série, un voleur, ou les deux. Il avait saisi une batte de baseball qui trainait au pied de son lit depuis six ans, et s'était approché de la fenêtre avec prudence. Il tremblait, alors que c'était peut-être seulement le bruit de la pluie contre sa fenêtre. Il avait remarqué qu'il avait commencé à pleuvoir.
Surprise, ce n'était ni la pluie, ni un tueur en série.
— Sasha, qu'est-ce que tu fais là ?
Le garçon aux cheveux bruns de son groupe de musique se tenait là, juste devant sa fenêtre, en t-shirt et en pantalon de pyjama, une petite fille de sept ou huit ans à côté de lui (probablement un peu plus, mais c'était difficile à décider, comme elle était particulièrement malingre). Ses yeux noisettes étaient remplis de larmes, et l'alarme interne de Zed s'était affolée. Il était trois heures trente du matin, et ce qui est déjà louche la journée l'est encore plus la nuit.
Il avait ouvert la fenêtre et Sasha avait saisi sa petite soeur par la taille et l'avait soulevée. Zed l'avait attrapée par les mains et l'avait hissée à l'intérieur. Sasha avait réussi à enjamber le rebord de sa fenêtre sans son aide, et le garçon aux cheveux bleus s'était rendu compte qu'il avait pleuré.
Sasha avait levé son regard vers lui. Il avait un oeil au beurre noir et des bleus partout sur la figure.
— J'ai super froid, putain.
Zed n'avait jamais entendu Sasha jurer. Il grelottait.
— Bouge pas, je vais te chercher des fringues propres et une serviette.
Le garçon avait jeté un coup d'oeil inquiet à son ami mais n'avait pas posé de question. Il s'était rendu dans sa salle de bain chercher une serviette et avait pioché un caleçon, un t-shirt et un jogging propres dans son armoire.
Le brun l'avait regardé d'un air reconnaissant et avait entrepris de se déshabiller et s'enrouler dans la serviette. Ses cheveux étaient plaqués sur son front à cause de la pluie. Zed s'était forcé à détourner les yeux. Les hormones, c'est pas le moment !
— Euh, tu préfères que je la joue pudique ? Je suis désolé, c'est un peu limite de me déshabiller devant toi.
— Nan, nan, t'inquiètes.
Ça me dérange vraiment pas, hein. VRAIMENT pas.
Sasha, parfaitement aveugle à ce qu'il se passait dans la tête de son ami, avait lancé :
— Si ça te dérange pas, tu pourrais prêter un T-Shirt à ma soeur ou un truc comme ça ?
C'était donc bien elle. Anastasia. Sasha lui en avait déjà parlé. Zed avait jaugé cette dernière du regard. Elle avait l'air d'avoir quoi, neuf ou dix ans tout au plus ? Elle risquait de nager dans ses affaires ou celles de sa mère. Mais bon, on allait faire avec. Il avait pris un t-shirt pas trop grand dans son armoire et s'était agenouillé devant la petite.
— Eh, ma chérie, tu t'appelles comment ?
Évidemment, il savait son nom. C'était pour pas qu'elle le trouve flippant.
Elle avait détourné les yeux.
— Anastasia.
— T'as quel âge ?
— Dix ans. Je suis en CM2.
— Okay. Tu préfères te changer ici avec ton frère ou dans la salle de bain ?
Elle avait jeté un coup d'oeil en biais à Zed et avait rougit. Il avait immédiatement compris.
— Je peux sortir de ma chambre, si tu veux.
Elle avait secoué la tête, comme en proie à un dilemme.
— Tu peux rester, avait-elle dit. Si mon frère a confiance en toi, alors moi aussi. De toute façon, t'as déjà dû voir des gamines à poil.
Les deux amis avaient pouffé de concert, et Anastasia leur avait lancé un regard qui signifiait : Euh, j'ai dis quelque chose de mal ?
Le temps qu'elle se déshabille et mette le t-shirt que Zed lui avait donné, celui-ci était allé chercher un matelas dans sa penderie. C'était une minuscule pièce, moisissante, où il était difficile d'entreposer tous les trucs plus ou moins utiles qu'ils devaient stocker quelque part.
— Sasha, j'aurais besoin d'un peu d'aide !
Le garçon était arrivé, dans les habits de son ami, et celui-ci avait prié toutes les cellules de son corps de ne pas le faire rougir.
— Ouais ?
— Je vais pas réussir à porter ce matelas tout seul.
— Petit nain.
— Eh ! Avoir dix centimètres de plus que moi ne te donne pas le droit te moquer.
— T'inquiètes, un jour tu seras aussi grand que moi. Peut-être. Avec un peu de chance.
La plaisanterie était lancée sans saveur, mais au moins Sasha était-il capable de plaisanter. C'était déjà beaucoup.
— Par contre, j'ai qu'un matelas. Donc, hm, je sais pas trop comment on peut s'arranger. Si tu veux tu peux dormir dans mon lit et j'vais sur le canap'. Je te proposerais bien de dormir dans le matelas avec ta soeur mais je suis pas vraiment sûr qu'il y ait la place.
Sasha avait détourné les yeux
— Ça va paraître super bizarre... Me prend pas pour un détraqué.
— Tu me fais un peu peur, Sasha, avait rit Zed.
— Ahah, nan, nan. Juste, euh, j'me sens pas trop de dormir seul cette nuit. Donc, hm...
Le brun semblait trop gêné pour finir de dire sa phrase, et son ami avait décidé de lui épargner cette tâche. Il savait être sympa, quand il voulait.
— OK.
— OK quoi ?
— Tu peux dormir avec moi si tu flippes.
Sasha avait esquissé un sourire, soulagé de ne pas avoir à formuler cette question de lui-même. Ils avaient tous les deux emmené le matelas jusqu'à la chambre de Zed, avaient demandé à Anastasia de s'y installer — elle leur avait lancé un regard en biais quand ils avaient annoncé qu'ils allaient dormir ensemble mais n'avaient rien rajouté — et s'étaient installés ensemble dans le lit de l'hôte de la maison.
Celui-ci s'attendait à ce qu'il y ait ce moment de gêne, où les deux sont là mais ne savent pas trop quoi dire, mais, après quelques minutes de silence, en tournant son visage vers celui de son ami, Zed avait remarqué que Sasha pleurait silencieusement.
Il avait tourné le visage angélique de son ami vers le sien et avait essuyé ses larmes une par une, même si elles continuaient de couler. Il détestait le voir pleurer, parce que cela signifiait que Sasha était malheureux. Qui dans le monde aurait aimé voir Sasha malheureux ? Sa famille, visiblement. Son ami ne comprenait pas.
Sasha avait fini par s'endormir (tout le monde sait que les larmes donnent envie de dormir) et Zed avait déposé ses lèvres sur le front de son ami avant de glisser lui aussi dans le sommeil.
***
— Zed Singh, un jour tes bêtises me tueront.
— Angelina Singh, tu m'aimes trop pour t'en plaindre.
Madame Singh avait souri.
Zed soufflait sur son chocolat chaud, sa mère touillait son café, et les deux se demandaient intérieurement comment gérer cette situation. La mère avait capitulé en première.
— Tu as bien de la chance d'être le genre de garçon à pas nous faire d'ennui, car Dieu ce que je suis déjà épuisée par mon travail.
L'adolescent s'était mordu la lèvre inférieure. C'est vrai, sa mère croulait déjà sous le travail. Élever un enfant seul, c'était déjà compliqué, mais en plus, travailler quarante-cinq heures par semaine sans compter les heures supp', ça l'était encore plus. En général, Zed tentait de ne pas faire de vagues. Mais là, ce n'était pas de son ressort.
— Qu'est-ce que tu voulais que je fasse, Maman ? Mon ami vient me voir en plein milieu de la nuit, il est dans le froid sans rien avec sa petite soeur, il ne va visiblement pas bien et ne veux rien me dire, et je suis censé le laisser dans le froid ? Je suis un de ses seuls amis !
— Bon, calme-toi. On va trouver un moyen de régler ça. Je ne suis pas un monstre, ton ami peut rester ici aussi longtemps qu'il en aura besoin. Mais nourrir deux bouches en plus... Tu as intérêt à encore plus augmenter ta moyenne générale.
Si ce n'était que ça... Zed avait hoché la tête avec conviction, et son portable avait vibré dans sa main.
Zed avait levé la tête vers sa mère.
— Maman, je peux sortir avec les Âmes Perdues ce soir ?
— Quelle heure ?
— Après la répèt de seize heures, donc genre dix-sept heures trente je pense.
— Nickel chrome, mon fils, avait raillé la mère de Zed. Sois juste revenu pour le dîner et amène Anastasia avec toi, je veux pas d'une gamine emmerdante dans les pattes.
Son fils avait soupiré.
— D'accord. Je vais réveiller Sasha, je t'aime.
Sa mère lui avait soufflé un baiser, et il avait songé d'à quel point il était chanceux d'aimer sa mère.
***
Quand Sasha s'était réveillé, Zed l'avait emmené dans la salle de bain. Il avait pris des pansements et les avait collé sur chacun des bleus de son ami avec une infinie douceur.
— Zed ?
— Oui ?
— Merci...
— C'est normal, Sasha.
Celui-ci avait levé les yeux au ciel.
— Tu comprends pas.
— Alors explique moi.
Zed avait soulevé les cheveux châtain qui gênaient son accès au front de son ami. Il y avait un gros bleu qui tirait sur le violet. Le guitariste s'était empressé de le recouvrir d'un pansement.
— Personne... Avait commencé Sasha. Personne ne m'a jamais...
Il avait secoué la tête, comme s'il laissait tomber au dernier moment.
— Personne ne t'a jamais quoi ?
— Laisse tomber, avait-il répondu. C'est bizarre. Il va falloir qu'on y aille.
Zed voulait vraiment connaître la fin de sa phrase.
***
Anastasia était définitivement adoptée par le groupe des Âmes Perdues. Elle était comme leur nouvelle mascotte, à taper dans ses mains au rythme de la batterie de Sarah.
— Ta petite soeur est adorable, s'était extasiée Cléo à l'égard de Sasha.
— Eh, j'suis là ! Avait protesté Anastasia de manière véhémente.
La jeune fille blonde lui avait envoyé un de ces regards qu'on envoie aux enfants quand ils disent des bêtises. Zed en avait levé les yeux au ciel. Seules Mya et Sarah semblaient indifférentes à la présence de la soeur de Sasha au sein du groupe. Même Diane en faisait voir de toutes les couleurs à sa meilleure amie, c'est dire !
En parlant des deux anciennes amies, elles étaient assises dans un coin de la pièce, des partitions sur les genoux. Elles étaient en train de débattre sur le meilleur moyen d'arranger un passage de la musique sur laquelle ils bossaient. Le garçon aux cheveux bleus voyait bien la tension romantique dans leurs regards. Si sa meilleure amie ne voulait pas écouter ses conseils par rapport à Mya, alors grand bien lui fasse, mais il ne serait pas celui qui la consolerait quand elle retomberait dans ses bras, le coeur brisé. Il se le promettait.
Zed était le mom friend, comme on les appelle. Il s'occupait de ses amis comme s'ils étaient la prunelle de ses yeux. C'était là une des raisons pour lesquelles il n'était sorti qu'avec deux personnes en presque-dix-sept ans d'existence : il ne savait pas discerner la limite entre amitié et amour. Sarah disait qu'il était trop protecteur, et un peu amoureux de chacun de ses amis. Elle n'avait peut-être pas tort.
Après leur répétition, les Âmes Perdues s'étaient un peu baladés en parlant de tout et de rien puis s'étaient installés dans un café.
— Ok, c'est le moment des choses sérieuses, me dit Diane, avait retranscrit Cléo.
— Faut vraiment qu'elle arrête de faire du sarcasme dans les moments importants, cette fille, avait commenté Mya.
Sarah s'était retournée vers elle, faisant mine d'être choquée.
— Et c'est toi qui dit ça ?
Son amie avait levé les yeux au ciel.
— Bon, les avaient recentré Cléo, Sasha, va falloir nous expliquer ce que tu foutais chez Zed ce matin, à moins que vous ayez décidé de faire une pyjama party sans nous inviter, ou alors que vous couchez ensemble quand on vous regarde pas (Tout le monde avait étouffé un rire, mis à part les deux concernés qui s'étaient étouffés avec leur coca), c'est qu'il y a un petit problème.
— Nan mais sérieusement Cléo, tu les as vus ? S'était moquée Mya. Ils sont tellement innocents que je parie qu'ils en sont toujours au stade de "oh là là il me plaît trop mais je suis bien trop timide pour lui avouer."
Zed, qui était assis en face d'elle, était passé par dessus la table pour lui donner une claque derrière la tête.
— Tu peux parler, avait déclaré Anastasia, mais vous êtes pas vraiment mieux, toi et Sarah.
Les cinq ados (et sûrement Diane, même si on ne pouvait pas le deviner) s'étaient tournés vers elle d'un seul coup.
Oups, on l'avait tous oubliée celle-là...
— Quoi, j'suis pas un bébé ! J'ai dix ans quand même. Et j'suis pas homophobe, si jamais. Pas comme...
— Comme ces mecs de ma classe ! Ahah, qu'est-ce qu'ils sont bêtes ! L'avait coupée Sasha.
Zed s'était mordu la lèvre inférieure. Il commençait à faire les liens, et il n'était pas sûr que ça lui plaise, pas du tout...
Il avait secoué la tête afin de reprendre ses esprits, et s'était préparé à s'atteler à aider Sasha à expliquer ce qui lui était arrivé, et en le sauvant des situations où il ne souhaitait pas répondre.
L'adolescent avait beau ne pas savoir prendre de décisions soi-même, il savait aider les autres. Parfois, il aurait aimé vivre pour lui-même.
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