25. Cléo Jenkins

— Je pensais que la deuxième fois serait moins pire, mais ça l'est dix fois plus ! S'était exclamé Sasha, complètement paniqué.
— T'inquiètes pas, avait essayé de le rassurer son copain. On a bossé, beaucoup. Je ne vois pas ce qui peut se passer de travers.
— La dernière fois non plus, on voyait pas ce qui pouvait se passer de travers !
— Eh, calme toi, avait déclaré Cléo. Tout va bien se passer. On a travaillé dur, on connaît tous nos lignes. On a une approche différente sur une musique contemporaine, ça plaira au public. On a pas de raison de s'inquiéter. Il vaut mieux partir positif directement.

Sasha avait soupiré.

— Je sais, t'as raison. Désolé.
— Il faut qu'il se détende, ton pote, avait grogné Diane. Tu sais, genre, qu'il se masturbe, et tout.
— Oh là là, Diane ! Avait marmonné sa meilleure amie, épuisée.
— Quoi ? Vous cinq, vous devez être genre, les seuls ados du lycée à ne pas penser au cul.
— Mya est ace, Sarah ne va pas se taper quelqu'un d'autre qu'elle, j'ai personne à me taper et je pense que la vie sexuelle de Zed et Sasha ne regarde qu'eux, avait chuchoté Cléo.
— Mais c'est qu'elle a peur qu'on l'entende la petite !
— Tais-toi.

Il y a trois semaines, Cléo avait commencé son traitement à la rispéridone. Elle ne constatait aucun changement notable. Elle ne pouvait donc en tirer que deux conclusions : Soit le traitement ne fonctionnait pas, soit elle n'était pas schizophrène. Dans tous les cas, ce n'est pas comme si ça la gênait, que Diane soit toujours là.

Ils avaient fini par tous débarquer dans le bâtiment. Cléo essayait de ne pas montrer son stress. Si ce n'était pas elle, la calme de la bande, qui gérait son stress, alors qui rassurerait les autres membres du groupe ? Il ne fallait pas qu'elle se laisse atteindre.

Elle avait quand même saisi la main de Sarah, terrifiée. Celle-ci lui avait adressé un sourire si vrai que Cléo en avait eu le souffle coupé. Sarah n'était pas le genre de fille à sourire souvent.

— Purée, j'en peux plus du poids de ma batterie ! Avait soufflé celle-ci.
— On ne se plaint pas, mademoiselle, avait rit Zed.

Cléo avait beau être déjà venue ici, accompagnée des mêmes personnes, elle ne pouvait pas s'empêcher d'être chaque fois un peu plus impressionnée. Les Âmes Perdues avaient repéré Cody et son groupe dans un coin de la pièce. Il s'était rendu vers eux avant qu'eux ne se joignent à lui.

— Salut Cody, tu vas bien ?
— Ouaip ! Vous étiez super, d'ailleurs, la dernière fois. J'ai pas trop eu le temps de vous le dire... Fin, si, je l'ai dis à Cléo sur Instagram, mais du coup j'ai pas pu vous le dire à tous. Mais vous étiez vraiment géniaux.

La blonde avait sourit.

— Vous étiez géniaux aussi ! Vous êtes juste, hyper doués.
— Tu fais mieux de la guitare que moi, s'était plaint Zed mélodramatiquement.
— Mais non, mais non, avait rit leur adversaire. En tout cas, bonne chance à vous !
— On va vous ratatiner.

Nouvel éclat de rire.

— Clairement pas, mais c'est toujours sympa de rêver ! Je dois retourner voir mon groupe, mais je leur passerai votre bonjour, si vous voulez !
— Carrément, avait répondu Sarah. On se voit en demi-finale !

Mya s'était tournée vers sa copine.

— Ah ouais, la confiance quoi.
— Tu penses pas qu'on va arriver en demi-finale ?
— J'espère que si, mais...
— Si tu es d'accord, pas besoin de "mais".
— Je...

Elle l'avait faite taire en l'embrassant. La pianiste du groupe avait sourit en les regardant. Elle n'était pas tellement du genre jalouse, alors elle préférait être heureuse pour elles. Elles étaient adorables. Un jour, Cléo espérait trouver une fille qui l'aimerait de la même façon que Sarah et Mya s'aimaient. Elle pouvait toujours rêver. Un des critères les plus importants était qu'elle ne soit ni morte, ni une démone.

Elle se faisait rire toute seule.

— Mais dis donc, il est super sympa votre Cody ! S'était exclamé Zed.
— Faut me croire quand je dis un truc ! S'était insurgée Cléo.

Il lui avait mis une pichenette dans l'épaule, et elle avait laissé échapper un "ouille !" indigné. À ce moment là, les lumières de la scène s'étaient éteintes.

Bienvenue à toutes et à tous aux quart de finale des Inclassables ! À l'issue de cet épisode, il ne restera que quatre groupes, sur les six actuels. Nous sommes donc à l'avant-avant dernière étape de l'émission. Veuillez accueillir le premier groupe à passer, les Silent Cries !

La foule avait commencé à applaudir et le groupe de Cody s'était avancé sur la scène. Celui-ci avait fait un clin d'œil aux Âmes Perdues avant d'entrer sur scène. Ils s'étaient dévisagés en souriant. Et ils avaient adoré écouter les Silent Cries. Ils avaient vraiment du talent. Cléo pensait qu'elle ne serait même pas fâchée si jamais ils gagnaient, avec leur talent. Mais elle savait aussi qu'ils pouvaient peut-être rivaliser, et ce peut-être était déjà beaucoup.

À la fin de leur prestation, les applaudissements jaillissaient de toute part.

Et maintenant nous allons accueillir notre second groupe... Les Âmes Perdues ! Veuillez les applaudir bien fort.

Les six amis avaient entendu les applaudissements et s'étaient tous dévisagés, passablement terrifiés.

— Check de groupe ?
— Allez.

Ils avaient tous empilés leurs mains les unes sur les autres et les avaient levées en l'air. Ils s'étaient sourit pour se donner du courage.

— Allez mes Âmes Perdues, on va trop gérer, avait affirmé Cléo, comme le leader qu'elle était censée être.
— Ouais, vous allez gérer, avait répondu Diane, son regard perdu au loin.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? Avait demandé sa meilleure amie.

Mais le temps qu'elle tourne le regard, elle avait disparue.

***

C'était la deuxième fois que Cléo devait chanter sur scène sans Diane, mais ça n'en devenait pas moins bizarre la seconde fois. Heureusement, ou malheureusement, cette fois Diane n'était pas réapparue en plein milieu de la performance, la jeune fille n'avait donc pas eu ce problème de "je suis tellement surprise du retour impromptue de ma meilleure amie la démone, de qui je suis amoureuse au passage, et qui est probablement seulement le fruit de mon imagination, ce pourquoi je rate une note et je bug tellement qu'en fait je manque de faire sauter la prestation et de gâcher la vie de mes quatres meilleurs amis en plus de la mienne".

Ça ne rendait pas la situation meilleure, elle devait bien l'avouer.

Alors qu'ils descendaient de scène, le groupe avait entendu une voix à leur gauche.

— Laissez nous passer... S'il vous plaît laissez nous passer... Ah, les voilà !

Naya et Nathan souriaient. Dans leurs mains, ils tenaient une pancarte, dessinée au marqueur sur du carton, où il était écrit "Ne vous inquiétez pas les Âmes Perdues, on vous a retrouvés." Peut-être qu'elle était trop émotive, mais la pianiste avait bien failli pleurer en voyant ça.

L'indienne avait lâché sa pancarte pour prendre tout le monde dans ses bras tour à tour. Tout le monde l'avait serrée dans leurs bras en retour, à part Zed qui s'était crispé légèrement.

— Vous avez géré ! Vous étiez géniaux ! S'ils vous prennent pas, franchement, je comprends pas.
— Pareil, avait renchérit Nathan. Et je dis pas ça parce que je suis le pote de Mya. Vous étiez vraiment super.
— Vous abusez, avait rit celle-ci.

Sasha se tenait un peu à l'écart du groupe en souriant. Cléo voulait aller lui parler, mais elle ne voulait pas être intrusive.

— Bon, les choses sérieuses maintenant, avait soupiré Naya. Il faut que je parle à Mya.
It's okay. Tu peux le faire devant les Âmes Perdues, avait répliqué celle-ci.

Naya s'était mordue la lèvre.

— T'es sûre ?
— Ouais.
— Ok.

La jeune fille avait pris une grande inspiration.

— En gros, peut-être que ça va te surprendre, mais je suis en famille d'accueil, chez une assistante agréée qui s'appelle Jade Wylss. Je suis seule là-bas, et la maison où on est peut largement accueillir une deuxième personne. J'ai parlé à ma... À Jade de ta situation, et elle m'a dit que si tu acceptais d'aller porter plainte à la police et de rester en foyer d'accueil d'urgence pendant un petit moment, alors elle pourrait entamer une démarche pour avoir ta garde permanente. Ça signifierait que non seulement tu serais dans un environnement stable et que tu serais en sécurité, mais tu pourrais rester dans notre lycée, continuer à jouer avec les Âmes Perdues, et tu serais avec moi, quelqu'un que tu connais. Qu'est-ce que tu en dis ?

Mya semblait sur le point de pleurer, et Cléo avait pris sa main et l'avait serrée dans la sienne. La chanteuse lui avait sourit, comme un remerciement.

— Ça pourrait... Ça pourrait se faire. J'avoue que pour moi pour le moment c'est la moins pire de toutes les options. Merci beaucoup, Naya.
— Mais pas de problème ! Demain, tu peux même passer pour visiter et parler à Jade, voir si t'es en confiance avec elle etc. Mais il faut vraiment que tu ailles voir la police et que tu leur expliques la situation.
— Ok, je vais faire ça.

L'adolescente s'était tournée vers sa petite amie.

— Tu m'accompagnera ?
— On t'accompagnera tous ! S'était écriée Sarah.

Sasha était toujours un peu en retrait, mais il souriait, lui aussi. Cléo avait lâché la main de Mya pour s'avancer vers lui.

— Qu'est-ce qui va pas ?
— Rien, rien.

Il avait détourné les yeux. La blonde avait plissé les yeux et lui avait mis une tape derrière la tête.

— Sasha Hikks, je ne suis pas dupe. Explique moi ce qui ne va pas.

Il avait soupiré.

— Bon... C'est rien de grave, t'inquiètes. C'est juste que... Fin, depuis le début j'ai pas vraiment l'impression d'appartenir à ce groupe, et la sensation a fait que de se renforcer encore et encore.
— Mais pourquoi ? S'était exclamée Cléo. Je te jure qu'à mes yeux je te considère comme n'importe quelle personne de ce groupe.
— Cléo... Je suis dans les coulisses. Je ne fais pas grand-chose à part gérer notre chaîne YouTube. C'est toi qui a les rênes du groupe. Moi j'ai juste l'impression d'être là... D'exister... Et c'est tout. De ne pas être un membre à part entière.

La jeune fille comprenait honnêtement comment il se sentait.

— Tu sais, Sasha... Peut-être que tu ne fais pas partie du groupe autant que nous, c'est vrai. Au niveau musical. Tu en fais quand même partie, je dis pas. Le fait que t'aimes la musique autant que nous, même si tu ne chantes pas et ne joue pas d'instrument, ça compte. Mais avant d'être un groupe de musique, on est un groupe d'amis tu ne penses pas ? Et sur ce point, je peux t'assurer que tu es au même niveau que nous, les cinq autres membres du groupe. Tu fais partie des nôtres, Sasha. Tu nous fais rire, tu sors avec nous, tu as beaucoup aidé Zed, même si tu ne t'en rends pas compte.

Sasha regardait son amie sans rien dire, alors elle avait décidé de continuer.

— Est-ce que ça te viendrait à l'idée de dire que Diane n'est pas un vrai membre du groupe ?
— Quoi ? Non !
— Tu vois ! C'est pire pour Diane. Elle n'existe probablement pas, tout ce que vous savez d'elle c'est à travers moi et ce qu'elle dit que je répète ensuite, et même si moi je sais qu'elle chante car je l'ai déjà entendue, vous vous n'en savez rien. On ne peut pas être sur de quoi que ce soit tant qu'on ne l'a pas vu de ses propres yeux. Si tu n'es pas un vrai membre de ce groupe, alors Diane n'en est définitivement pas un. Et pourtant, ici, dans ce groupe, on est six, et certainement pas quatre ou cinq. Tu comprends ?

Sasha avait hoché la tête.

— Merci, Cléo. Vraiment. Tu fais une super cheffe.
— Et toi donc ! Avait-elle rit. Sasha, il faut que tu comprennes que les gens t'aiment. Zed t'aime, Mya et Sarah aussi. Anastasia aussi. Et moi aussi.

Elle l'avait embrassé sur la joue et s'était éloignée en lui faisant un clin d'œil.

***

— Imaginez ça se passe mal ? Imaginez ils me croient pas ? Imaginez...
— Tais-toi, avait dit Sarah.
— Ça a la mérite d'être direct.
— Sérieusement, t'as pas de raison de stresser, je te jure.
— Et puis on est là si jamais ça se passe mal, avait rajouté Zed.

Mya avait souri, et ils lui avaient tous souri pour la rassurer. Pourtant, Cléo était pratiquement sûre qu'ils étaient tous en train de tenter de fusionner avec le sol sous le coup du stress. C'était le moment qui allait décider de la suite de la vie de leur meilleure amie, après tout. Naya avait proposé de les accompagner, pour tenter de plaider la cause avec Mya s'ils refusaient que Jade la prenne sous son aile, mais Mya avait refusé. Elle n'avait pas précisé les raisons exactes de son refus, mais Cléo suspectait que la raison était tout simplement que leur amie avait l'impression de ne jamais rien avoir fait seule de toute sa vie.

La chanteuse lui en avait parlé, une fois : elle s'était toujours laissée contrôler par les autres, que ça soit bon ou mauvais. Elle n'avait, en tout cas elle pensait, ne jamais rien avoir achevé sans l'aide de quelqu'un d'autre. Cléo ne trouvait pas spécialement que c'était quelque chose de mauvais, mais Mya ne semblait pas d'accord avec cette affirmation, alors la blonde laissait les choses se faire.

Ils avaient tous pris une grande inspiration et étaient entré au poste de police.

— Bonjour, avait dit Mya à l'homme qui était derrière le poste. (Elle avait agrippé la main de sa petite amie comme si elle était la seule chose réelle sur terre à part elle.) Je viens parce que j'aimerais porter plainte contre quelqu'un. Et aussi qu'on m'aide.

Le policier avait hoché la tête.

— Dites moi.
— Mon frère m'oblige à me prostituer. Et il me frappe. Et il m'a déjà violée.

Visiblement, le policier ne s'attendait pas à ça parce qu'il avait tressaillit imperceptiblement.

— Asseyez vous, un ou une de mes collègues va vous prendre en charge. Qui êtes-vous ? Avait-il demandé en se tournant vers les Âmes Perdues.

Mya avait répondu à leur place. Elle les avait tous englobé d'un geste de la main.

— Ce sont mes meilleurs amis. Et elle, avait-elle dit en désignant Sarah, c'est ma petite amie. Je n'aurais pas eu le courage de venir ici s'ils ne m'avaient pas invitée à le faire.

Le policier avait hoché la tête. Ils s'étaient tous assis sur les chaises dans le couloir en attendant que quelqu'un vienne chercher Mya. Une policière avait fini par se montrer, et avait fait un signe de tête à Mya pour qu'elle la suive. Elle avait adressé un regard paniqué aux Âmes Perdues avant de disparaitre dans la salle.

— Vous pensez que ça va aller ? Avait demandé Sasha nerveusement.
— Évidemment, avait immédiatement répondu Sarah, sans aucune hésitation.
— Comment tu peux en être sûre ? Avait répliqué son ami.

La brune l'avait regardé comme s'il était demeuré, et Cléo avait trouvé ça étrangement attendrissant. Elle avait envie de rire de stress.

— Tu l'as regardée ? Avait demandé Sarah. Elle est assez forte pour s'en sentir. Elle s'en sort toujours.

Elle avait regardé le vide et sourit. Cléo aurait aimé voir Mya à travers les yeux de Sarah. L'amour, c'était comme des lunettes correctrices. On voyait la personne en mieux, et en plus belle. Si la blonde avait pu, elle aurait mis ses lunettes pour regarder tout le monde.

— J'en doute pas, avait-elle dit.

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