23. Zed Singh
— Les Silent Cries, tu disais ?
— Yep, ils font parti de nos opposants. Le groupe de Cody Wilson, tu te souviens, le gars de la dernière fois.
— Ah ouais, je les avais vu chanter, ils sont méga doués. Ça va être galère de les battre.
— C'est clair !
— Diane dit qu'au pire on peut leur foutre notre poing dans la gueule si notre talent ne suffit pas.
— Purée, Diane !
— Je suis d'accord avec elle.
— Tu résous tout par la violence toi de toute façon Sarah !
— Ouais, et ?
— Arghhh !
Les Âmes Perdues avaient décidé qu'ils devaient définitivement se renseigner sur leurs concurrents aux Inclassables. Malheureusement, plus ils en voyaient, plus ils étaient découragés.
— Ils sont genre, dix fois plus forts que nous ! Avait soupiré Sasha.
— Faut pas se déprécier comme ça, l'avait contredit Cléo. On a bien bossé, on peut réussir à les battre.
Elle s'était relevée en tapant dans ses mains.
— Bon, je pense qu'on a bien besoin de se détendre de la semaine passée. Ça vous dit qu'on sorte demain ?
C'est vrai que la semaine passée avait été particulièrement compliquée pour les Âmes Perdues. Tout d'abord, il y avait eu la goutte qui avait fait déborder le vase avec Mya, et ils étaient tous extrêmement fatigués. Sarah et Cléo s'étaient relayées à tour de rôle pour héberger Mya, les parents de la première refusant que sa petite amie reste dormir tous les jours. Les présentations officielles à la famille s'étaient plutôt bien déroulées, on pouvait dire ça comme ça. Son père les regardaient mal, mais sa mère n'y voyait pas d'inconvénients. Apparemment, Jonas avait légèrement menacé Mya, mais elle en avait rit.
Ils attendaient d'avoir des nouvelles de Naya pour faire quoi que ce soit, mais Zed était très sceptique face à cette stratégie. D'abord, il ne faisait pas vraiment confiance à Naya. Certes, elle avait l'air sympa quand Sasha et lui lui avaient parlée à la bibliothèque le mois dernier, mais on ne pouvait pas juger quelqu'un entièrement sur une seule conversation qu'on avait eu avec la personne. Le détail à ne pas négliger, dans cette situation, c'était que Naya faisait en quelque sorte partie de la bande de brutes de Mya. Si la jeune fille avait plus ou moins réussi à se sortir de cette spirale infernale, ça ne garantissait pas que Naya était une bonne personne.
Ensuite, Zed et Sasha s'étaient beaucoup renseignés sur différents refuges chez lesquels Sasha pourrait se rendre. Ils en avaient trouvé quelques uns, qu'ils prévoyaient d'aller voir durant le weekend. Ça avait complètement vidé leur peu d'énergie restante. Et enfin, les répétitions des Ames Perdues. Entre tout ça, Zed ne trouvait plus de temps pour réviser. Il avait fini par décréter qu'il s'en fichait, et qu'être là pour ses amis était plus important que ses notes, même s'il savait que la vie ne marchait pas comme ça.
— Trop bonne idée ! On irait où ?
— Je sais pas, on pourrait aller à l'Ile marrante ? Ça fait longtemps que j'y suis pas allée.
— Super !
— Je peux amener mon frère ? Avait demandé Sarah. Je sais qu'il a pas vraiment d'amis en dehors de Thaïs et j'aimerais bien qu'il se sente inclu quelque part pour une fois. Ça vous dérange ?
— Pas de problème, s'était marré Sasha. Vous supportez bien Anastasia tout le temps.
— Eh, je suis là ! S'était indignée celle-ci.
Son frère lui avait ébouriffé les cheveux et elle n'arrivait plus à bouder. Zed avait sourit, attendri.
— Mais, ouais, pour en revenir aux Silent Cries, je pense que c'est eux qu'il faudra qu'on surveille de plus près.
— Nickel. On se met à la répet ?
— Allez.
***
Sincèrement, Zed adorait faire de la guitare, ce n'était pas un problème. Mais il était vraiment content d'avoir l'occasion de faire autre chose.
Le remix qu'ils s'étaient mis en tête de faire était vraiment compliqué. Parfois, répéter en groupe n'était pas assez, alors Zed répétait et répétait encore jusqu'à tomber de fatigue et que Sasha soit obligé de le réveiller pour le faire aller dans son lit. Et a côté de ça, il avait le bac de français dans à peine quelques mois. Tout ça lui donnait mal à la tête.
Ils avaient tous décidés de se retrouver devant chez Sarah, puisque c'était là-bas qu'habitaient le plus de personnes de leur groupe (à savoir Sarah, Mya et Jonas). Chaque fois que Zed venait, il était surpris par le bazar chez sa meilleure amie. C'était comme si personne ne prenait jamais le temps de ranger ou de nettoyer. La vaisselle sale s'empilait dans son lavabo, les poubelles étaient rarement vidées, Anna et Noémie se faisaient un malin plaisir à courir et crier partout, et rien de ce qui était sorti n'étais rangé après coup. Sarah n'avait pas l'air d'y voir un quelconque problème, alors Zed n'avait jamais rien dit, mais il pensait qu'il y avait anguille sous roche.
Le garçon n'allait pas mentir, il était vraiment inquiet pour Jonas, même si ça aussi il essayait de ne pas le montrer. Depuis qu'il le connaissait, il ne l'avait jamais vu sincèrement sourire. Et cela faisait deux ans qu'il était ami avec Sarah. Il connaissait sa maison comme si c'était la sienne. Il était vraiment content d'avoir une occasion de changer les idées à Jonas. Il le considérait comme son frère.
— Saraaaaah, tu vas avec quiiii ? Avait été la première chose que Zed et Sasha avaient entendus en arrivant au domicile des Elsher.
— Avec les Âmes Perdues, on va au parc. Laisse moi.
— Et pourquoi Jojo peut venir et pas nous ? S'était plaint Noémie.
— Parce que Jojo est grand et pas vous.
— Parce que vous saoulez, c'est tout, avait sèchement rétorqué Jonas. Et que vous avez d'autres amis que notre soeur, vous.
— T'as Thaïs, toi !
— C'est pas pareil. Laissez nous.
Les deux petites s'étaient mises à bouder et Zed avait rit.
— On est là ! Avait-il dit pour manifester sa présence.
— Oui, oui, désolée, avait bougonné sa meilleure amie.
Mya avait débarqué dans un vieux sweat de Sarah, et même avec son teint cireux et ses cernes de vingt-cinq kilomètres, elle était rayonnante.
— Salut Zed, Salut Sasha ! Vous allez bien ?
— Aussi bien qu'on peut l'être avec tout ce qui se passe en ce moment, avait déclaré Zed.
— Pareil. On va éviter de demander, pour toi...
— Oh, nan, moi je me sens jamais mieux que quand je suis chez Sarah ! Je suis juste contente de m'être débarassée de mon connard de frère et de mes connards d'amis. J'essaie de rester positive.
Le guitariste lui avait sourit avec toute la douceur qu'il pouvait y mettre. Avec le temps, il avait apprit que Mya était une personne formidable, forte et drôle, et il comprenait pourquoi Sarah l'aimait. Même s'il ne lui pardonnait toujours pas totalement ce qu'elle avait fait à sa meilleure amie, il ne pouvait plus vraiment lui en vouloir, après avoir apprit à la connaître de cette manière. Et il n'en revenait toujours pas de la violence à laquelle elle faisait face une fois qu'elle rentrait chez elle. Il s'en voulait de ne jamais avoir rien remarqué avant ces derniers mois.
— Coucou les gars !
Cléo était arrivée de derrière eux, et Zed s'était retourné en sursautant. La blonde avait éclaté de rire.
— Bon, je pense qu'on a tout le monde ? Avait déclaré Sarah. Je vais donc devoir vous laisser, mes chères sœurs, je suis désolée...
Elle leur avait fait un baiser de loin pour les faire enrager, puis avait passé un bras autour des épaules de son frère. À côté de sa sœur, toute en muscles et en regards-mitraillettes, il semblait terriblement fragile. Sarah aimait tellement son frère qu'elle n'avait parfois pas l'air de voir ses faiblesses. Zed pensait que tout le monde idéalisait les gens qu'ils aimaient, même si c'était involontairement.
Ils s'étaient rendus à l'Île Marrante en bus, Zed et Sasha en respectant leur tradition de passer par la porte de derrière et ne pas poinçonner leur ticket, et les autres le faisant. L'adolescent avait regardé le paysage défiler à sa gauche et il avait sourit.
— D'ailleurs, où est ta sœur, Sasha ? Avait demandé Cléo, semblant soudain remarquer qu'Anastasia n'était pas présente.
— Vois-tu, elle est chez une amie de son école. C'est la première fois depuis genre, trois mois, et je suis gentil, que je l'ai pas dans les pattes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, alors je suis un peu content.
— Je peux comprendre, avait marmonné Sarah. Mes petites sœurs, c'est le démon. Heureusement que j'ai mon frère chéri pour compenser.
— Je sais, je suis fabuleux, avait dit celui-ci.
Sarah le disait sur le ton de l'humour, mais Zed savait à quel point c'était vrai. Sa meilleure amie était dingue de son petit frère, qu'elle veuille l'admettre ou non. Il était le seul à ne jamais l'avoir abandonnée. Même quand elle décidait soudainement qu'elle n'avait plus besoin de prendre son traitement ou aller à ses séances de psychothérapie, et que ses parents abandonnaient l'idée de la canaliser, Jonas, lui ne l'avait jamais fait. Jamais il ne s'était énervé contre elle, jamais il ne l'avait brusquée. Sarah avait dit à Zed à de multiples reprises qu'elle n'avait jamais vu son frère être énervé, excepté pour cette fois quand elle avait dit du mal de Thaïs.
Ils étaient arrivés sur place, et s'étaient tous décidés à aller au tourniquet. Jonas avait refusé, prétextant un mal de ventre. Sa soeur avait hoché la tête, sans lui demander d'explications, et Zed avait dit qu'il restait pour tenir compagnie à Jonas. Ils s'étaient tous les deux assis sur le banc à côté et avaient observé leurs amis rire dans le tourniquet. Ça faisait du bien à Zed, de les voir se détendre, après toutes ces semaines passées à être stressés.
Jonas avait parlé le premier.
— Tu peux y aller, tu sais.
— J'ai envie de rester avec toi.
Le garçon s'était tourné vers le guitariste.
— Pourquoi ?
— Parce que j'ai envie, c'est tout. C'est pas suffisant ?
Zed s'était lui aussi tourné vers Jonas en répondant ça. Ils se défiaient du regard.
— Je n'en vaux pas le coup. Vas-y, tu vas t'amuser.
L'adolescent avait soupiré.
— Tu m'énerves ! J'ai envie de rester ici, alors je reste ici, point barre. Pourquoi est-ce que tu pousses tout le monde loin de toi, comme ça ? C'est normal que t'aies pas d'amis, si tu laisses pas les gens entrer !
— Eh, j'ai jamais dit que j'étais malheureux de pas avoir d'amis.
— Alors pourquoi tu l'es ?
Jonas avait déglutit.
— Je vais très bien.
— Menteur. Mais c'est pas grave, si tu ne veux pas m'en parler. Il faut juste que tu en parles à quelqu'un. À ta sœur, à n'importe qui. Ça va finir par te bouffer, et crois-moi, t'as pas envie d'attendre d'exploser pour parler de ça.
Jonas était resté silencieux pendant quelques secondes et avait fait cogner sa tête contre le dossier du banc. Il avait fini par demander :
— Tu m'accompagnes aux toilettes ? Juste pour surveiller que personne rentre, et tout.
Zed avait haussé un sourcil. Il trouvait la requête particulièrement étrange. Jonas était en troisième, pas en CE1. À son âge, on ne demandait plus à ses amis de venir tenir la porte des toilettes pour soi.
— Pas de problème.
Ils avaient dit au petit groupe qu'ils allaient aux toilettes, puis Jonas était entré dans une des cabines et son ami s'était assuré que personne d'autre n'entre. Il était resté environ cinq minutes, puis était sorti.
— C'est bon. On y va ?
— OK.
Alors qu'ils revenaient, Zed avait remarqué un bout de rouge à lèvres qui dépassait de la poche de Jonas. Il avait dû se forcer à ne pas retourner dans les toilettes pour vérifier quelque chose.
Si c'est ce que je crois...
Zed ne s'était pas attardé sur son idée. Il n'était pas idiot, il savait qu'il était peu probable que ce soit vrai. Mais quand même...
Il avait jeté un coup d'oeil à Jonas, et son air triste l'avait à nouveau frappé.
Comment est-ce que Sarah fait pour ne pas le remarquer ? Il est tellement malheureux...
Ils avaient échangé un regard. Celui de Jonas était méfiant. Sans doute a raison. Zed était en train de percer à jour un de ses nombreux secrets, et il suspectait Jonas de ne vraiment pas aimer ça.
Il allait devoir s'y faire.
***
— Non mais, tu comprends pas, je flippe. Imagine s'ils décident que je suis trop nul pour m'accepter ? Que je mérite pas d'intégrer leur refuge ? Imagine si c'est des connards ? Imagine si...
Zed avait rit.
— Arrête de te faire un sang d'encre comme ça, je suis sûr que tout va bien se passer.
Il avait embrassé son copain chastement.
— Regarde moi, Sasha.
Le garçon ne savait pas qui d'eux deux avait fait le premier pas, mais ils se tenaient maintenant les mains. Zed les avait serrées plus fort dans les siennes.
— Eh oh, t'es génial ! T'as tellement de qualités, c'est triste que tu les vois pas, mais je suis sûr qu'il ne vont pas te refuser l'accès à leur refuge. Tout d'abord ce n'est pas dans leur mentalité, à mon avis, et ensuite parce que t'es vraiment incroyable, et qu'ils ont aucune raison de pas t'aimer. C'est bon, ça va mieux ?
Sasha lui avait souri, et Zed avait senti son cœur se tordre dans sa poitrine.
— Beaucoup mieux.
Il lui avait volé un baiser et avait pris sa main.
— Alors, on y va ?
***
Sasha et Zed avaient pris environ quarante-cinq minutes à trouver le Refuge après être arrivés à l'adresse convenue. Avoir un sens de l'orientation ne faisait apparemment pas parti de leurs qualités.
Ils étaient entrés, et Sasha s'était agrippé à la main de son copain comme s'il allait s'envoler à n'importe quel moment. Mais il savait que Zed n'était pas comme ses parents : là un instant, partis le suivant.
Ils avaient été accueillis par une femme blonde avec un chignon et en t-shirt - pantalon. Elle paraissait avoir environ vingt cinq ans, et son sourire mettait en confiance.
— Bonjour. Vous êtes là pour quelle raison ?
Le guitariste avait jeté un regard à son petit ami. Il lui laissait le temps de prendre la parole si jamais il souhaitait le faire. Voyant que Sasha était trop terrifié pour dire un mot, Zed avait répondu.
— Bonjour Madame. Voici Sasha Hikks. Il a quinze ans et il s'est fait jeter de chez lui par ses parents il y a quelques semaines. Depuis, il vit chez moi avec sa petite sœur, mais ma mère et moi on peut plus vraiment s'occuper d'eux.
— Je vois, avait répondu la femme.
Elle avait adressé un sourire rassurant à Sasha qui semblait se liquéfier dans le sol.
— Écoutez, ça va prendre un certain temps avant que vous puissiez être pris en charge — pas trois mois, je vous rassure, juste peut être une ou deux semaines — et ensuite on fera ce qu'on peut pour vous accueillir, mais normalement il ne devrait pas y avoir de problèmes. Par contre, on va avoir besoin que vous remplissiez quelques documents. Si vous ne pouvez pas tout remplir, ce que je comprends, ce n'est pas grave. Vous complétez ce que vous pouvez et vous nous le ramenez.
Elle s'était retournée et avait cherché dans un placard des papiers qu'elle avait tendu au garçon. Il l'avait remerciée, saluée, et avait entraîné Zed vers la sortie.
— Tu vois que ça s'est pas si mal passé ! Avait dit celui-ci. Et t'es même pas obligé de passer tout ton temps là-bas, tu pourras venir dormir chez moi parfois.
— Ouais... Ouais, t'as raison.
Sasha lui avait sourit, et Zed avait pensé que c'était un des seuls vrais sourires qu'il avait vu sur son visage depuis qu'ils se connaissaient. Ce n'était pas pour lui déplaire.
— Je t'aime.
— Que me vaut cette honneur ?
— Rien, j'aime juste te voir sourire.
— Je t'aime aussi.
Ils s'étaient embrassés.
— Maintenant, on retourne à la maison, ok ? Ma mère a prévu des pâtes à la bolo pour le repas.
— Ok. On retourne à la maison.
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