2. Sarah Elsher ✔️
Quand Sarah avait sept ans, elle était toujours seule.
Elle avait cette tendance à toujours se bagarrer avec les autres enfants, 'pour rigoler' ou pas, et les parents l'ont rapidement qualifiée de violente. Après avoir été diagnostiquée comme détentrice d'un trouble oppositionnel avec provocation, ça faisait soudain sens, mais plus personne ne voulait l'approcher.
Jusqu'à ce qu'un beau jour, une fille brune aux yeux verts l'aborde.
— Hey, la racaille, tu veux te battre avec moi ?
Sarah savait qui elle était. Elle ne connaissait pas son nom, mais elle savait qu'une nouvelle fille à moitié américaine était arrivée dans l'autre classe de CE1. Tout le monde disait qu'elle était super jolie, c'était tout ce qu'ils avaient à la bouche. Personne ne mentait. L'autre brune lui avait adressé un sourire moqueur.
— Essaie de me battre, si ça te chante. Tu vas perdre.
Au bout d'une minute, Sarah était à terre en train d'agoniser sur le sol, et la fille se tenait droite, fière, souriante. Elle l'avait aidée à se relever, puis lui avait tendu la main.
— Mya. Mya Anderson.
Elle avait toujours fait un bon leader.
En primaire, Sarah et Mya restaient toujours ensemble. Cette dernière aurait facilement pu se faire d'autres amis, mais elle disait, toujours, inlassablement :
— Je m'ennuie avec les autres, Sarah. Mais jamais avec toi !
Sarah l'avait toujours trouvée belle et forte, encore plus après ce qui lui était arrivé le jour de ses quatorze ans. Depuis, Mya n'avait plus jamais été la même. Leurs sept ans d'amitié ? Au feu.
— Tu passes ton temps à te battre, tu devrais faire de la boxe ! Au moins, te défoncer les poings serait utile, dans ces circonstances.
— Flemme.
— Et si je t'offrais des gants de boxe ? Tu serais obligée de les porter, pour ne pas faire déshonneur à mon cadeau.
— Bon, si tu veux.
Elle n'avait jamais eu l'occasion de le faire.
— Eh oh ? La Terre appelle la Lune, tu penses à quoi, meuf ?
L'adolescente était sortie de ses pensées quand son meilleur ami avait passé la main devant ses yeux pour la réveiller.
— Désolée. Tu disais ?
— Je disais que tu devrais lâcher, avec Mya. Je sais que tu l'aimes depuis quatre ans, mais quand même. T'as vu ce qu'elle est devenue.
Sarah n'avait pas le courage de lui dire qu'il s'était trompé.
Elle aimait Mya depuis infiniment plus longtemps. Depuis leur première rencontre, même.
À la place, elle avait dit :
— Ça n'a aucun sens ce que tu dis. Ça fait longtemps que je ne suis plus amoureuse d'elle.
Si elle les niaient pendant assez longtemps, peut-être que ses sentiments finiraient par disparaître.
Zed avait secoué la tête sans répliquer, même s'il savait aussi bien que Sarah à quel point c'était faux. Il était son meilleur ami et, au fil du temps, il avait appris qu'il ne fallait pas la contredire.
La brune machônnait un bout de frite quand elle avait aperçu Cléo Jenkins, la fille de l'autre fois, traverser le réfectoire, cherchant une place pour s'asseoir. Elle parlait seule et semblait clairement énervée. Même si Sarah la trouvait étrange, elle s'était avancée vers elle.
— Mmh, salut. Je voulais juste m'excuser pour l'autre jour. J'étais pas dans mon état normal. Et j'aurais dû te défendre, aussi. Voilà. Donc, si tu veux venir t'asseoir avec mon meilleur ami et moi... T'es la bienvenue.
— D'accord, avait-elle répondu en souriant.
Cléo avait soudainement levé les yeux au ciel et s'était tournée vers la gauche en marmonnant dans la direction de quelque chose que Sarah ne voyait pas.
— Désolée, avait-elle reprit. Je te suis.
Son interlocutrice avait arqué les sourcils mais elle n'avait pas réagit.
Sarah l'avait menée jusqu'à leur table où Cléo s'était installée à côté d'elle. Ses yeux avaient pétillé en apercevant le meilleur ami de la jeune fille. Elle avait tapoté sur son plateau pour attirer son attention.
— Mec... T'es grave beau avec tes mèches bleues. T'écoutes quoi comme musique ?
— Coucou ! Cléo c'est ça ?
— Yep !
— Moi c'est Zed.
Il lui avait désigné l'écran de son iPod qui affichait du Taylor Swift. S'en était suivi entre les trois ados une discussion enflammée sur les meilleurs tubes de celle-ci.
Avant que Cléo ne se lève de table, elle avait lancé à la cantonade :
— Euh, aussi... J'ai un espèce de rêve, depuis mon entrée au lycée. Voire avant. J'aimerais bien créer un groupe de musique. Donc si vous êtes intéressés pour m'aider à créer des affiches ou même venir...
— Compte sur moi ! Avait répondu Zed. Je joue un peu de guitare.
— Pareil pour moi, avait renchérit Sarah. Je fais de la batterie.
— On dirait que je suis bien tombée, décidément !
Cléo avait sourit, et c'était comme si la pièce venait de s'illuminer complètement.
— Eh bah, merci alors ! Si vous connaissez des gens qui pourraient être intéressés, n'hésitez pas à les contacter.
Quand elle était sortie, Zed s'était tourné vers sa meilleure amie.
— Cléo, elle, elle est bien pour toi.
Sarah avait secoué la tête en souriant. Elle aurait aimé que ce soit si simple.
Plus tard dans la cour, Sarah avait vu Mya rouler des pelles à un gars qui faisait partie de l'équipe de foot du lycée. Elle avait tressaillit quand il avait passé la main sous son T-shirt sans même lui demander la permission, et ça avait achevé définitivement de plomber son moral. Elle aurait voulu aller voir ce mec et lui foutre une mandale, puis gifler Mya ensuite, parce que quelle idée de sortir avec un pauvre type comme lui ?
Elle s'était interdite de penser que Mya aurait été infiniment mieux avec elle.
***
Une semaine plus tard, Sarah entrait dans la bibliothèque du lycée, accompagnée de Cléo et Zed. La documentaliste avait autorisée Cléo et son groupe à utiliser la salle, et tous les trois avaient mis des affiches un peu partout pour persuader des gens de venir.
Le premier à passer la porte avait été un garçon aux cheveux châtains avec un pin's arc-en-ciel sur son sac a dos. Le message ne pouvait pas être plus clair.
Zed l'avait regardé comme s'il était la huitième merveille du monde.
Sarah était perchée sur le bureau de la documentaliste. Ses pieds balayaient l'air, aussi légers que des plumes.
Le garçon disait s'appeler Sasha. Le groupe attendait que quelqu'un d'autre passe la porte, et, cinq minutes plus tard, c'était un visage que Sarah ne connaissait que trop bien qui s'était montré.
— Mya ? S'était-elle exclamée machinalement.
L'intéressée avait relevé la tête et dévisagé l'audience avec stupeur. Mais bien vite, elle s'était reprise, avait enfilé de nouveau son masque de fille confiante.
— Quoi ? Ça vous étonne de me voir ici ? Avait-elle dit, bien fort, avec son légendaire sourire arrogant, celui que Sarah adorait contre son gré.
— C'est mort. On la laisse pas rejoindre le groupe, avait contredit Cléo, ignorant Mya comme si elle n'était pas présente. L'autre jour, elle a failli me tabasser, j'ai pas oublié, Mya.
— T'as le droit de m'en empêcher, même ? Avait rétorqué la concernée.
— C'est moi la créatrice. J'accepte qui je veux.
— OK, OK. Je suis désolée. C'est ce que tu veux entendre, Cléo ? Désolée d'être une connasse. Maintenant, je chante, et je sais me rendre utile. Vous avez besoin de moi.
Sarah la détestait tellement. Elle la détestait tellement qu'elle n'arrivait à penser à rien d'autre. C'était facile de l'oublier quand elles ne se parlaient pas. C'était facile, d'oublier ce goût d'essence dans sa bouche, qui donnait à Sarah l'envie permanente de gerber tout ce qu'elle venait de manger. Mais c'était aussi facile d'oublier à quel point elle était belle. Elle était tellement belle que Sarah oscillait entre l'envie de gifler Mya et celle de l'embrasser.
Pas seulement à l'extérieur. Sarah le savait mieux que personne : la personnalité de sa pire ennemie était plus belle que celle de la plupart des gens, mais elle ne montrait que son mauvais côté. Même quand ses piques étaient dirigées vers Sarah, celle ci ne pouvait s'empêcher de la trouver forte, tellement forte.
Elle avait secoué la tête.
Je ne parle que d'elle. Limite si elle est pas ma personnalité entière.
Si jamais, Sarah aimait aussi regarder des animes et lire des mangas. Elle avait au moins deux centres d'intérêt, dans la vie. C'était déjà ça.
— Mais c'est moi qui décide ici en fait ! Avait continué Cléo. On peut très bien se débrouiller sans toi, je suis sûre que plein d'autres gens ici savent chanter. Donc t'excuser ça suffit pas, je te dis de te casser, tu te casses. C'est mon club.
Mya s'était alors approchée de son ancienne meilleure amie et avait mis ses mains de chaque côté des cuisses de celle-ci sur le bureau. Elle s'était penchée vers elle et avait murmuré :
— Je suis sûre que je vous serais utile.
Son souffle s'écrasait sur la peau de Sarah, réchauffant son corps entier. Mya Anderson connaissait le pouvoir qu'elle avait. Ce n'était pas comme si Sarah s'en était un jour caché, de l'époque de leur amitié. Tout le monde, y compris Mya, savait à quel point elle était raide dingue de sa meilleure amie. Un seul problème : ce pouvoir, Mya s'en servait beaucoup trop bien.
L'ancienne meilleure amie de Sarah avait toujours été forte, arrogante, fière, manipulatrice et indécemment belle. La différence, c'était qu'avant l'accident, elle était aussi gentille, joyeuse et souriante.
Sarah aurait tout donné pour revenir en arrière.
Celle-ci s'était penchée à son tour, et Mya s'y attendait si peu qu'elle avait tressaillé.
— Je te connais, Mya, avait-elle chuchoté. Manipule qui tu veux, mais utiliser mon affection pour toi pour te servir de moi, c'est vraiment bas, chérie, même pour toi.
Sarah s'était redressée. Elle avait levé la voix :
— Faites ce que vous voulez. J'en ai rien à foutre, de cette connasse.
La violence dans ses mots n'était pas nécessaire, mais Sarah était comme ça, et elle n'y pouvait rien. Elle détestait voir le visage de Mya se décomposer, elle détestait lui infliger la douleur qu'elle s'était toujours efforcée de combattre pour elle, mais à la fois ça lui conférait un sentiment de satisfaction immense. Quelque chose en elle qui hurlait “Si je ne peux pas t'avoir, je peux encore te faire regretter de ne pas vouloir de moi. Si tu ruines ma vie, je peux te détruire en retour.“
— Bon, on va départager ça en vote a main levée. Qui vote pour que Mya rejoigne le groupe ?
Seuls Mya et Sasha (ce dernier bien timidement) avaient voté.
— Qui vote pour qu'elle ne le rejoigne pas ?
C'était au tour de Cléo et Zed de lever la main.
— Bon, avait déclaré Cléo. Sarah, le choix est pour toi.
Sarah avait levé les yeux au ciel. Elle en avait légèrement marre de devoir toujours choisir même quand elle ne le voulait pas. Cléo, quant à elle, semblait en pleine dispute avec elle-même, mais Sarah commençait à s'habituer.
Elle s'apprêtait à ouvrir la bouche lorsque Cléo l'avait interrompue.
— Mettez une voix de plus pour Mya.
— Quoi ? Avait demandé Zed en haussant un sourcil, perdu. Pourquoi ?
— Discutez pas s'il vous plaît. Ça m'embête aussi. Mettez une voix de plus.
Tout le monde s'était regardé bizarrement mais personne n'avait répliqué.
— Alors, Sarah ? Soit c'est une égalité et on joue ça à pierre feuille ciseaux, soit tu la choisis.
Sarah avait soupiré.
— Mon vote pour Mya, avait-elle déclaré. De toute façon, ça ne change pas grand chose, faire une égalité c'est débile.
Évidemment, qu'elle allait toujours la choisir.
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