14. Sarah Elsher
— Merde, merde, merde. Merde, mince. Merde. JONAS !
— QU'EST-CE QU'IL Y A ?
— Ramène ton cul ici tout de suite s'te plaît avant que je m'énerve. NOÉMIE ! ANNA ! Réunion de frères et soeurs. URGENTE.
Les deux petites soeurs de Sarah et son petit frère avaient débarqués dans sa chambre à deux cent à l'heure. Jonas avait un pansement sur la joue, Sarah en avait déduit qu'il avait encore fait n'importe quoi avec Thaïs. Elle n'était pas sûre de si ce mec était une bonne influence pour lui ou pas.
— Est-ce que c'est vous qui vous êtes amusés à me piquer mes médocs ?
Le regard de son frère s'était affolé.
— Quelqu'un t'as pris tes médicaments ?
— Ok, je suppose que c'est pas toi, du coup. Les morveuses, ça a pas intérêt à être vous.
— C'est quoi, déjà, tes médicaments ? Les trucs arc-en-ciel là ?
— Ouais.
— Bah nan, j'm'en fous de ces trucs là, avait déclaré Noémie.
— On est deux, l'avait soutenue Anna.
— Ok. Bon, j'espère vraiment que vous mentez pas.
— Tu les avais laissé où la dernière fois ? Avait demandé Jonas.
— Dans mon sac d'école, mais là je les trouve plus.
Les petites soeurs de Sarah, ennuyées, s'étaient éclipsées. Son petit frère était resté, comme toujours. La brune s'était demandée si c'était grave, d'aimer autant son frère. Tous les gens qu'elle connaissait se plaignait de leurs frères et soeurs, mais honnêtement, son frère était l'une des personnes qu'elle aimait le plus sur Terre.
— Alors n'importe qui peut les avoir prises... Peut-être quelqu'un de ta classe ?
— Y'a moyen. Je vais chercher. Tu dis rien aux parents, hein ?
— Évidemment... Enfin, à part si tu les retrouves pas. Tu sais très bien comment t'es quand tu les prends pas pendant longtemps.
— Ouais, je sais, encore pire que d'habitude...
Elle avait regardé Jonas quelques secondes, et au moment où il s'approchait d'elle pour lui faire la bise avant de partir en cours, elle lui avait demandé :
— Qu'est-ce qui t'es arrivé, au visage ?
— Pas grand chose, t'inquiètes pas. On est sortis avec Thaïs, on a un peu fait des conneries, voilà c'est tout. Pas besoin de te faire un sang d'encre.
— Jonas... Je m'inquiète un peu pour toi. Je dis pas, c'est très cool que tu te sois fait un ami. Mais déjà on sait quasi rien de lui, toi comme moi, et j'ai l'impression que t'as un peu changé, depuis que tu l'as rencontré. Je suis pas sûre qu'il soit une bonne influence pour toi.
L'expression du visage de son frère avait immédiatement changé et elle s'était giflée mentalement.
Quelle idiote... Mon petit frère, super gros asocial, n'arrive pas à se faire des amis, et au moment où il arrive à devenir pote avec son crush de longue date, je commence à l'emmerder avec ça.
— Parle pas de lui comme ça. Tu connais rien de lui, tu connais rien de ce qu'il se passe. Il faut vraiment que tu arrêtes de parler quand c'est pas un sujet que tu maîtrises. Et tu t'y connais en rien du tout, dans ce sujet là. Tu l'as jamais vu, tu lui as jamais parlé. Comment t'oses le juger sur rien du tout ?
— Mais justement ! Je l'ai jamais vu, je lui ai jamais parlé, il est jamais venu à la maison, je sais même pas à quoi il ressemble ! Comment tu veux que je lui fasse confiance ?
Le garçon l'avait fixée froidement.
— Très bien. Passe une bonne journée, Sarah.
Et il était sorti de la chambre.
Sa soeur s'était adossée contre le mur. Elle avait inspiré, expiré. La seule chose de stable dans sa vie était en train de partir en fumée, tout ça pour un mec.
Sarah avait l'impression de ne plus rien savoir de Jonas. Elle ne savait pas si elle avait un jour su quoi que ce soit sur lui. Parfois, il lui semblait comme une apparition. Quelque chose d'irréel, qui pouvait disparaître à tout moment. C'était étrange, vivre dans la même maison que quelqu'un et pourtant ne rien savoir sur lui.
Elle avait entendu une de ses sœurs, elle n'arrivait pas à distinguer laquelle, crier au rez-de-chaussée. Sans doute parce que leur mère avait encore une fois refusé un de leurs caprices de gamines de primaire.
Putain.
***
— Ah ouais, ça craint.
— De fou.
Zed avait prit une grande inspiration, retournant encore et encore sa fourchette entre ses doigts. Quand il faisait ça, Sarah savait que c'était parce qu'il s'apprêtait à la contredire. Il détestait avoir à ne pas aller dans le sens des gens. S'il pouvait, il serait toujours d'accord avec tout le monde. Elle savait qu'il faisait un grand effort en tant qu'ami pour pouvoir la conseiller, et elle lui en était reconnaissante, mais il y avait des vérités qu'on aimerait bien ne pas avoir à entendre.
— Je sais que tu t'inquiètes pour ton frère, et c'est normal, il a été sous ton aile pendant des années, mais je pense qu'il est le plus légitime à savoir ce qui est bon pour lui ou pas. Et visiblement, même si tu as l'impression que ça ne l'est pas, ce gars, Thaïs, il est bon pour lui. Avant, il aurait pas eu le courage d'aller contre toi, de s'imposer comme ça. Il le change. Et, pour une fois, il a un ami. Bref, loin de moi l'idée de te dire quoi faire ou quoi penser, mais Jonas a quatorze ans, pas quatre. Alors il sait sûrement ce qui est le mieux pour lui.
Sarah avait fermé les yeux, attendant que le flux de colère se déverse en elle. Il n'arrivait pas. Tant mieux. Elle n'était presque jamais en colère contre Zed, de toute façon.
— T'as raison, avait-elle admis. En plus, en ce moment, on est beaucoup moins proches qu'avant. Je connais pas grand-chose de sa vie, en ce moment, je dois bien l'avouer. Au début, il me parlait un peu. Il me disait "Oh tu sais, Sarah, ce mec que je regarde de loin depuis des années sans jamais oser l'approcher, on s'est parlé l'autre jour. On est devenus potes. Je me sens mieux. On s'est rapprochés un peu. On est sortis ensemble hier." Il restait vague, mais c'était mieux que rien. Depuis un petit moment, c'est silence radio. C'est sans doute ma faute. Je suis tellement occupée par mes propres problèmes que je n'arrive plus à accorder de l'attention à mon frère.
La jeune fille avait jeté un coup d'oeil au dit problème, qui était assise au fond de la cantine, entourée de son "copain" et ses "amis". Sarah ne comprenait pas ce qui la retenait vraiment de quitter son copain et ses amis et sortir avec elle. Enfin si, peut-être qu'après l'événement du mois dernier, elle comprenait un peu.
— Eh, Sarah.
Elle s'était retournée vers son meilleur ami, soudainement sortie de ses pensées.
— Quoi ?
— Arrête de te flageller comme ça. T'inquiéter pour ton frère, c'est loin de te faire devenir la pire personne au monde. C'est normal que tu réagisses comme ça.
— Merci.
Il lui avait souri.
— De rien.
***
— C'était super ! S'était exclamée Cléo après la fin de leur répétition.
— Tu trouves ? Avait demandé Sarah.
Elle n'était pas si sûre de ses performances, ces derniers temps.
— Ouais, moi aussi j'ai trouvé que c'était pas mal ! Avait déclaré Sasha.
— Sasha, t'es tellement positif que pour toi même si on avait fait la pire performance au monde tu trouverais ça bien... S'était moqué Zed.
— Tais-toi.
— Diane en pense quoi ? Avait demandé Mya.
Sarah l'avait fusillée du regard.
— Elle est... Toujours pas revenue, avait expliqué leur amie, sa voix se brisant à la fin de sa phrase.
— Oh, merde... Avait chuchoté Mya.
Le regard que lui avait lancé Sarah signifiait "tu es IDIOTE" et celle-ci pensait que Mya l'avait très bien compris.
— Bref, il commence à se faire tard, il faudrait qu'on rentre.
— Ouais.
Ils s'étaient tous salués les uns les autres, Zed et Sasha étaient rentrés ensemble en bus, et Sarah avait rattrapé Mya.
— Salut.
— Salut.
— T'avais arrêté de traîner avec tes vieux potes. Pourquoi t'as recommencé ?
La fille aux cheveux roses avait soupiré.
— Tu comprends pas.
— Bien sûr que si. Mais tu vas pas pouvoir te cacher toute ta vie.
— Me cacher de quoi ? J'ai des amis, j'ai un copain, je les aime. Ma vie est super. Il faut juste que je supprime les indésirables.
La brune avait tenté de ne pas montrer à quel point elle était blessée, mais elle savait que c'était peine perdue. Elle ne savait jamais se contrôler, quand il s'agissait de Mya.
— Je suis un indésirable ?
Ce qui rassurait un peu Sarah, c'était que Mya aussi n'arrivait pas à dissimuler à quel point elle était blessée.
— C'est pas ce que j'ai dis.
— C'est exactement ce que tu as dis.
Elle avait soupiré.
— Écoute... J'ai pas arrêté d'être ton amie pour rien, quand on était au collège. J'avais pas envie d'arrêter, mais je l'ai fais quand même. Je vais arrêter de mentir, j'ai très envie de sortir avec toi. J'ai très envie de sortir avec toi, mais je ne peux pas, à cause de Théo, à cause d'Arthur, à cause de mes amis, à cause de pleins de facteurs.
— Mais envoie-les chier, Mya ! En quoi tout ça les concerne ? Tu quittes Arthur, tu arrêtes de traîner avec Fleur pour traîner avec nous, et tu parles pas de tout ça à Théo. C'est facile, t'es la seule à tout compliquer ici.
Le fait de ne pas avoir pris ses médicaments depuis plusieurs jours faisait que, involontairement, elle était deux fois plus en colère qu'elle ne l'aurait été en temps normal.
— Mais tu sais pas tout !
— Alors dis-moi ! Avait hurlé Sarah.
— Je me prostitue ! Avait hurlé Mya en retour.
Elle avait plaqué ses mains sur sa bouche et regardé partout autour d'elle, complètement effrayée a l'idée que quelqu'un de leur lycée les aient entendues. Heureusement, il n'y avait que deux ou trois passants qui les regardaient étrangement.
— Attends, t'es sérieuse ?
C'était évident, en y réfléchissant. Sarah s'en voulait de ne pas avoir remarqué plus tôt. Toute sa colère était retombée immédiatement.
— Je vais pas rigoler sur ce genre de trucs, Sarah. Et le fait que je me prostitue engendre deux problèmes : le premier, c'est que mes amis l'ont découvert. Pas Arthur, évidemment. Pas Nathan non plus. Mais Fleur et Héloïse, elles le savent depuis le collège, c'est pour ça que...
— Attends, tu fais ça depuis le collège ?
— Évidemment... Elles le savent depuis le début. Elles l'ont découvert. Je ne sais même pas comment elles ont fait, mais elles ont trouvé mon annonce, quelque part sur Internet. Depuis, elles utilisent ça pour me faire du chantage. Elles disent que si je n'obéis pas, elles le diront à tout le monde. C'est ce qui me terrifie. Je serais plus amies avec elles depuis longtemps si c'était pas pour ça.
— Et la deuxième raison...?
— Sarah... Soyons honnêtes, est-ce que tu pourrais supporter de savoir que la fille dont tu es amoureuse couche avec d'autres personnes que toi chaque semaine ? Que ta petite amie ne voudrait probablement jamais coucher avec toi parce qu'elle le fait déjà avec des tas d'inconnus dans la semaine, et qu'en plus elle n'aime même pas ça ? Je veux dire, j'aime pas ça, coucher avec des gens. J'aime pas me masturber, j'aime pas baiser, que ça soit Arthur ou les gens avec qui je couche pour mon "travail". (Elle avait mimé les guillemets avec ses mains.) Tu vois c'est quoi le problème, avec tout ça ? Ça fait des années, que je suis amoureuse de toi. Mais je peux juste pas faire tout ça.
Sarah avait mis quelques secondes à réussir à ouvrir la bouche.
— Mais, Mya... C'est pas toi qui le veut, de te prostituer, hein ?
— Mais non. Non, bien sûr que non. Je te l'ai dit, j'aime même pas le sexe !
— C'est Théo ?
— Ouais...
— Mya, tu dois en parler à quelqu'un. A un adulte, à la police, j'en sais rien, mais ça peut pas... Ça peut pas rester comme ça.
— Et tu veux que j'en parle à qui ? Sarah, si j'en parle à la police, ils me mettent en foyer. Je peux pas réussir à m'imaginer comment ça serait, loin de vous tous. Vous êtes ce qui me fait tenir, toi et les Âmes Perdues.
Son amie avait réfléchit un petit moment. Il y avait forcément une solution, ce n'était pas possible autrement.
— Au pire, tu sais quoi ? Mya, tu viens chez moi. Genre là, ce soir, tu rentres pas chez toi.
— Euh, est-ce que tu viens d'écouter ce que je viens de te dire ?
— Oui, justement. Et je suis encore plus inquiète pour toi que d'habitude. La cicatrice, en dessous de ton œil c'est ton frère qui te l'a faite, pas vrai ?
Ça faisait deux ans que Mya avait une cicatrice rose pâle en dessous de son oeil droit. Sarah n'avait jamais osé lui demander d'où elle venait.
Les deux jeunes filles étaient arrivées à un carrefour. Mya devait prendre à droite pour rentrer chez son frère, et Sarah à gauche pour rentrer chez elle.
— La première fois où mon frère a voulu que je couche avec quelqu'un en échange d'argent, j'ai pété un câble et je lui ai dis que je ne ferais jamais ça, de toute ma vie. Que je vendais pas mon corps pour de l'argent, et que de toute façon j'étais trop jeune pour coucher avec quelqu'un. Il était tellement en colère contre moi qu'il a saisi le bol de soupe qui était à côté de lui et il me l'a balancé à la tête. Du coup non seulement j'ai la cicatrice de brûlure mais en plus pendant des semaines j'ai eu la chair déchirée à cause des bouts de verre. Ça aurait été pareil pour mes yeux si jamais j'avais pas eu le réflexe instinctif de les fermer et me les couvrir avant que la vaisselle ne m'atterrisse au visage.
— C'est horrible ce qui t'arrives, vraiment. Je sais que c'est dur de se sortir de ce genre de situation mais... J'ai peur que tu finisses par mourir là-dedans.
Mya avait lorgné le chemin de gauche. Ça faisait plus de cinq minutes qu'elles s'étaient arrêtées, ne sachant plus où aller.
— Je suis plus forte que tu ne le penses, Sarah. Je le suis vraiment.
— Je sais que tu es forte ! Bien sûr que je le sais, s'était indignée son amie. Personne de faible n'aurait survécu autant d'années là-dedans. La plupart des gens se seraient déjà débrouillés pour se suicider. Et toi, tu supportes ça, tous les jours. Tu encaisses, sans jamais rien dire. C'est le vrai courage, pour moi. Mais t'es pas invincible. Personne ne l'est.
Au moment où Sarah s'y attendait le moins, Mya avait craqué et s'était mise à pleurer. La première réaction que son amie avait eu avait été de la prendre dans ses bras, comme ça, au milieu de la rue.
— Pourquoi tu fais ça pour moi ?
Sarah avait pris une grande inspiration.
— Parce que je t'aime. Je t'aime depuis neuf ans, t'es la seule que j'ai jamais aimé, et t'es la seule que j'aimerai jamais, Mya Anderson.
— Mais pourquoi ? Avait sangloté celle-ci.
— Parce que, Mya. Parce que ce qui te rend si forte, c'est que même quand les autres ploieraient, même quand tu es terrifiée, toi tu lâches rien. C'est ça, le courage. C'est pour ça.
C'est pour ça.
Mya s'était dégagée de son étreinte, et pendant une demi-seconde, l'adolescente avait eu peur d'avoir dit quelque chose de mal.
Mais au milieu de ses larmes, son amie avait saisi son visage entre ses mains. Elle avait dit :
— Je t'aime tellement, Sarah Elsher.
Et elle l'avait embrassée.
C'était la troisième fois de sa vie que Mya Anderson l'embrassait, mais c'était sans doute la meilleure. Ça avait goût de sel, ça avait goût de larmes, ça avait goût de désespoir, mais Sarah s'en fichait. Tout ce qui comptait, c'était la sensation des lèvres de sa meilleure amie sur les siennes. Elles s'en fichaient, qu'elles soient dans une rue au milieu de plein de monde, et peut-être que quelqu'un de leur lycée les voyaient, et peut-être que quelqu'un leur jetait des mauvais regards, ou leur faisait un doigt d'honneur, parce que quelle audace, deux filles qui sont amoureuses au milieu de la voie publique. C'est dangereux, d'être amoureuse, encore en 2022.
Elles s'en fichaient.
Elles s'étaient décollées l'une de l'autre.
— Pour Héloïse et Fleur, on va faire comment ?
— Je sais pas. Je t'aiderai à trouver une solution. On t'aidera. Pas que moi. Les Âmes Perdues aussi. T'es pas seule, Mya.
Elle avait hoché la tête, hypnotisée.
— Je suis pas seule.
Et elle avait tiré Sarah vers le chemin de gauche.
***
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