10. Sarah Elsher

— Hey ?

— Quoi ?

—Si j'avais été un garçon, tu serais sortie avec moi ?

Mya avait écarquillé les yeux suite à cette question, mais Sarah s'en fichait. La question lui brûlait la langue depuis des années.

— Ça n'a rien à voir, Sarah, et tu le sais ! Je suis pansexuelle, de toute façon.

— Alors, qu'est-ce qui a à voir ?

La jeune fille aux yeux verts avait soupiré.

Elles étaient assises sur le rebord de la fenêtre de Sarah, en train de tenter d'ignorer le bruit que faisaient les autres enfants de la maisonnée.

— Je t'ai détestée pendant tellement d'années, je t'ai insultée... Aucun de mes amis ne t'aiment, alors pourquoi est-ce que tu veux sortir avec moi de toute façon ? Et mon frère, tu penses sérieusement qu'il accepterait que j'aime les filles ? Une fille noire qui plus est ? Tu le connais, tu sais comme il est. Et mon mec, t'y as pensé à mon mec ? OK, il est peut-être pas très présent dans ma vie, mais il y est quand même. Il m'aime.

Sarah avait laissé volontairement le silence planer entre elles, comme une toile d'araignée s'enroulant autour de son amie. Puis elle avait reprit :

— Dans toutes ces raisons... Tu ne dis jamais la seule raison valide pour laquelle tu ne pourrais pas sortir avec moi.

Mya avait semblé réfléchir quelques secondes, puis elle s'était couverte la bouche comme si elle allait vomir.

— Laquelle ? Avait-elle demandé, comme une autruche.

— T'as pas une seule fois dis que t'étais pas amoureuse de moi...

Mya avait détourné les yeux, penaude.

— Hey... Avait soufflé son amie doucement. Regarde moi.

L'adolescente avait lentement bloqué son regard dans le sien, et Sarah avait dû se contrôler pour réussir à continuer à respirer. Dès que Mya était à moins d'un mètre d'elle, c'est comme si elle oubliait comment faire.

— Regarde moi dans les yeux, avait repris la brune. Regarde moi dans les yeux, et dis moi que tu n'es pas amoureuse de moi, et que tu ne veux rien avec moi.

— Sarah, tu sais très bien que -

— Dis-le moi. S'il te plaît.

La fille aux cheveux roses avait inspiré très fort par le nez.

— Je ne suis pas... Je ne suis pas amoureuse de...

Sa voix était morte sur ses lèvres et elle avait attiré Sarah à elle pour l'embrasser.

Celle-ci, surprise, avait mit quelques secondes pour répondre à son baiser, mais une fois que c'était fait, c'était comme si le monde se renversait sous elle. Elle rêvait d'embrasser cette fille depuis plus de neuf ans. Depuis que Sarah avait compris qu'elle aimait les filles, enfin, plutôt une en particulier, elle rêvait de faire ça. Et maintenant que ça lui arrivait, ça lui paraissait irréel.

C'était un peu honteux, mais c'était le premier baiser de Sarah. Son amie lui semblait mille fois plus expérimentée à côté d'elle. Elle savait quoi faire de sa bouche, elle savait quoi faire de ses mains, alors que Sarah ne savait pas où se mettre. C'était super, mais et si Mya n'aimait pas ?

La jeune fille allait avec l'ambiance, alors elle avait glissé une main dans les cheveux de Mya, mais celle-ci avait semblé avoir une révélation et l'avait brusquement repoussée.

Elle s'était levée précipitamment, se cognant contre le rebord de la fenêtre au passage, et Sarah l'avait suivie tant bien que mal. Elle avait commencé à tourner en rond dans la pièce, le stress l'envahissant visiblement.

— Oh mon dieu, j'ai trompé Arthur. J'ai trompé Arthur...

Sarah avait haussé un sourcil et esquissé un sourire narquois.

— Parce que tu vas me faire croire que c'est la première fois que tu le fais ?

— C'est pas le sujet ! S'était écriée Mya. Ça te fait rien de savoir que t'as embrassé la meuf de quelqu'un d'autre ?

— À vrai dire, je m'en fous, avait déclaré Sarah en haussant les épaules. Je suis pas forcément connue pour mon comportement extrêmement empathique et de toute façon je sais que t'es pas amoureuse de lui.

L'adolescente aux cheveux roses avait secoué la tête.

— Mais c'est différent, là !

— Qu'est-ce qui est différent ? Que je sois une fille ?

— Bien sûr que non, comme si j'avais jamais embrassé ou couché avec une fille avant ! Pourquoi tu ramènes toujours tout à ça ?

— Parce que je comprends pas ! Si c'est pas ça, c'est quoi ?

— Mais le fait que ça soit toi ! Sarah Elsher, celle qui est détestée par tout le lycée parce qu'elle vient jamais en cours, qu'elle fume comme un pompier et qu'elle a des crises de colère H24. Et que je t'harcèle, à la base ! Je me suis excusée, je le fais plus, et j'essaie de convaincre mes amis de rien te faire, mais quand même, c'est trop bizarre !

C'était au tour de son amie de secouer la tête.

— Tu te prends trop la tête pour rien, Mya. Je suis pas seulement la fille que t'as harcelé, je suis aussi ta meilleure amie depuis l'école primaire.

— C'est pas rien !

— Alors explique-moi en quoi ! Avait hurlé Sarah.

Elle perdait son sang-froid. Elle avait cherché ses médicaments du regard. Trouvés. Elle les lorgnait comme s'ils étaient la solution à tous ses problèmes.

— Sarah, t'es pas censée être réelle !

— Hein ? Avait demandé celle-ci, perplexe.

— Dans ma tête, t'es un fantasme inatteignable, avait clarifié Mya, t'es la crush d'enfance qu'on regarde de loin toute sa vie et qu'on oublie en passant dans le monde des grands. T'es celle qui est irréelle, celle de qui je rêve la nuit sans jamais oser te faire face le jour. T'es pas censée avoir le droit de poser tes mains sur mon corps autre part que dans mes rêves. T'es pas censée pouvoir me faire ressentir tout ça ! T'es pas censée avoir cet ascendant sur moi alors que personne d'autre ne peut en avoir un ! Moi, Mya Anderson, complètement folle amoureuse de ma meilleure amie d'enfance et accessoirement pire ennemie, mais c'est tellement pas mon genre !

Mya était essoufflée, Sarah le voyait.
Elle avait du mal à se rendre compte de ce que son amie venait de lui avouer. Elle avait rêvé tant de fois d'entendre ces mots, mais elle ne voulait pas que ça soit dans ces circonstances. À quel moment ça avait dégénéré, exactement ?

La brune, trop sidérée pour répondre, se contentait de regarder son amie reprendre son souffle.

— Je ferais mieux d'y aller, avait dit celle-ci. Passe une bonne journée, on se voit à la répétition après demain. Ou au lycée. Bye.

Elle avait claqué la porte derrière elle, et Sarah avait eu envie de pleurer, pour la première fois depuis deux ans.

La jeune fille avait avalé en vitesse ses médicaments, puis elle avait entendu trois coups à sa porte.

— Sarah ?

— Entre, avait-elle dit presque immédiatement.

Son petit frère, Jonas, était entré dans sa chambre. Ils n'avaient que quelques années d'écart. Il avait treize ans, elle en avait seize. Dix-sept le mois prochain, elle était de début d'année.

Il avait observé les posters sur ses murs quelques instants avant de s'asseoir sur son lit.

— Ruelle ! S'était-il écrié.

— Gagné.

Sa soeur lui avait fait un check.

C'était un jeu entre eux : chaque fois que l'un entrait dans la chambre de l'autre, ils devaient trouver le nouveau poster qui s'était rajouté sur les murs entre temps. Il y en avait presque toujours un.

Son petit frère s'était humecté les lèvres. Sarah s'était crispée.

— Avec Maman on t'a entendue crier à l'étage, puis Mya est partie en vitesse. T'es sûre que ça va ?

Jonas savait tout de ce qu'il s'était passé entre Sarah et Mya durant leurs années collège et lycée. Il était le plus grand confident de sa sœur. Elle lui disait tout, encore plus qu'à Zed.

L'adolescente avait hoché la tête.

— Oui, oui, t'inquiètes pas.

— Vraiment, t'es sûre ? Avait insisté Jonas. Maman ne va pas venir, je lui ai expliqué que tu avais besoin d'espace. Tu peux me parler.

Les larmes étaient de plus en plus compliquées a retenir. Elle avait fini par s'écrouler dans les bras de son frère. Il lui avait doucement caressé le dos.

— T'es trop bien pour ce monde, Jo'.

— Je sais, je sais. Soirée frère et soeur ? Je nous fait des chocolats chauds, je pique un paquet de chips dans la cuisine, on se pose devant Shadow and Bone et tu m'expliques pourquoi ça va pas. J'aurai des updates à te faire moi aussi.

Sarah avait immédiatement reprit du poil de la bête, même si la déprime restait collée au fond de sa poitrine.

— Des news avec Thaïs ? Avait-elle demandé, soudainement intéressée.

Il avait rougit, et sa soeur avait sourit d'un air diabolique.

— Mon dieu, c'est pour ça que tu me demandes tout le temps de te couvrir pour sortir dehors la nuit en ce moment ? Vous vous retrouvez tard le soir ? Est-ce que vous vous êtes déjà embrassés ? Est-ce que...

— Tu ne changeras pas le sujet de cette manière ! Avait grogné son frère, les joues en feu.

Elle avait étouffé sa colère avec un baiser sur sa tempe, et elle s'était sentie tellement chanceuse de l'avoir, d'un seul coup.

***

Sarah était assise sur le tabouret de son meilleur ami pendant que celui-ci et Sasha étaient assis sur son lit (Zed à l'envers, leur ami à l'endroit).

— Alors t'en penses quoi ? Avait nerveusement demandé Sarah.

Zed avait soupiré.

— Sérieusement, je t'avais prévenue qu'elle allait te briser le cœur à nouveau. J'apprécie Mya, mais tu sais aussi bien que moi qu'elle n'est pas fiable !

La jeune fille s'était énervée. Elle cherchait du réconfort chez son meilleur ami, mais visiblement il ne savait que lui crier dessus.

— Ouais, parce que c'est ce que j'ai besoin d'entendre, que mon supposé meilleur ami me dise que c'est ma faute pour pas l'avoir écouté. Comme si t'avais toujours raison sur tout !

— C'est la vérité, Sarah ! Il va falloir que tu arrêtes de toujours rejeter tes erreurs sur les autres. Tu m'as pas écouté, soit, mais tu peux pas t'attendre à ce que je sois là à te ramasser à la petite cuillère comme d'habitude. C'est toujours moi qui doit gérer !

— Merci, Zed, comme si c'était pas ce qu'on me répétait depuis que je suis gamine.

Sasha avait lancé un regard lourd de reproche à son ami.

— Ce que Zed essaie de dire, c'est que cette fille est nocive pour toi. Je sais que tu l'aimes, et j'ai jamais connu ça, d'aimer quelqu'un assez fort que tu pourrais te laisser détruire par cette personne, mais je pense que je peux comprendre ce que c'est. Tu dois penser à toi avant de penser à tes sentiments pour elle. C'est pas normal, qu'elle te traite comme ça.

Sarah avait hoché sa tête, et sa colère était un peu retombée. Sasha avait cette aura douce, calme, un peu comme on Jonas. Quand on était face à lui, on ne pouvait pas rester fâché longtemps.

Elle n'osait quand même pas regarder son meilleur ami dans les yeux.

— J'ai pas choisi de qui j'étais tombée amoureuse, d'accord les gars ? C'est tombé sur elle. Ça fait neuf ans que j'essaie de la sortir de ma tête. Mais, je choisis pas...

— Crois-moi, j'adorerais pouvoir choisir de qui tomber amoureux, avait soupiré Sasha. Comme tout le monde.

Zed lui avait envoyé un regard curieux, mais n'avait rien demandé, sans doute par peur d'être indiscret.

Sa meilleure amie n'avait pas peur d'être indiscrète.

— Développe ?

— C'est rien, t'inquiètes pas, avait-il affirmé. C'est juste que... Ouais, nan, laisse tomber.

Sarah avait haussé les épaules. Il leur en parlerait quand il serait prêt.

— Je crois que c'est l'heure d'aller à l'entraînement, avait dit Zed dans une piètre tentative de changement de sujet.

— Allez.

La fille du trio s'était levée en époussetant son jean troué, puis elle avait tendu la main à son meilleur ami pour l'aider à se lever. Elle l'avait gardée dans la sienne un peu trop longtemps. Ça voulait dire « Ne sois pas fâché contre moi. Je t'aime trop pour le supporter. » Son meilleur ami l'avait serrée un peu plus fort en retour. Ça signifiait : « Je ne sais jamais rester fâché longtemps contre toi. Je t'aime aussi. »

Sasha les avait regardé, et avait esquissé un sourire.

***

— OK, les amis faut qu'on se décide, qu'est-ce qu'on chantera aux quarts éliminatoires ?

— Faut pas qu'on se loupe, avait répondu Zed. Qu'on prenne quelque chose qu'on est sûrs qu'ils apprécieront. Et que le public appréciera.

— Bordel, j'arrive toujours pas à croire qu'on aura un public, avait soufflé Sarah.

— Un truc genre, du Ruelle ou du Fleurie ? Avait suggéré Mya. Tout le monde aime Ruelle et Fleurie.

Cléo s'était tournée vers sa droite pour demander son avis à Diane. Ce n'était même plus bizarre pour Sarah de voir son amie parler seule.

— Elle suggère Love and War ou Hurricane. Une de ces deux-là vous branche ?

— Je connais pas Love and War, avait avoué timidement Sasha. Mais je connais Hurricane !

— Ça va, tes goûts sont pas si terribles alors, l'avait taquiné Zed.

Sasha avait levé les yeux au ciel.

— Franchement, si tu connaissais tous mes goûts, tu serais d'accord avec la plupart d'entre eux.

Tous les ados présents dans la pièce s'étaient échangés un regard plutôt suggestif. Sarah était persuadée que Diane avait fait de même, malgré le fait qu'elle ne puisse pas la voir.

— Va pour Hurricane ! S'était joyeusement exclamée Cléo. On refait un remix comme avec Out loud ?

— Ça m'emballe, avait approuvé Mya.

Après la fin de l'entraînement, Sarah avait raccompagné Cléo chez elle, heureuse de passer du temps avec elle, pour une fois. Puis elle était rentrée chez elle et s'était enfermée dans sa chambre. Elle avait assemblé les pièces de sa batterie, mit Hurricane en musique de fond, et avait tapé au hasard pour voir où ça serait le mieux de rajouter de la batterie, même si elle savait que c'était le job de Cléo de s'occuper des remix.

Au bout d'une demi-heure, Sarah n'essayait même plus de suivre le rythme de Fleurie. S'entraîner à jouer Highway to hell de AC/DC était bien plus efficace pour la décharger de ses émotions, de sa tristesse, et de tout l'amour qu'elle ressentait pour Mya.

Aimer quelqu'un qui ne vous aimait pas en retour, c'était déjà un sentiment tout à fait horrible. Elle le connaissait, pour l'avoir ressenti envers Mya pendant la plupart de ses années collège.

Aimer quelqu'un qui vous aimait en retour mais refusait d'entamer quelque chose avec vous, c'était encore pire. Ça faisait miroiter la possibilité d'une relation, la possibilité de quelque chose de plus, ça entretenait l'espoir, alors qu'il n'y aurait jamais rien. C'était horrible.

La jeune fille frappait sa caisse claire tellement forte qu'elle avait mal aux phalanges.

I'm on the highway to hell
On the highway to hell
Highway to hell
I'm on the highway to hell

No stop signs
Speed limit
Nobody's gonna slow me down
Like a wheel
Gonna spin it
Nobody's gonna mess me around
Hey Satan
Payin' my dues
Playin' in a rockin' band
Hey mumma
Look at me
I'm on the way to the promised land.

-
NdA : Oui, il y aura un spin-off sur Jonas. Pourquoi ? Parce que je peux, voilà pourquoi. Mais en attendant, satisfaisez-vous de l'histoire des Âmes Perdues. Il y aura environ 35 chapitres, donc vous avez de la marge, surtout vu la lenteur à laquelle j'écris. À l'heure ou j'écris ça, nous sommes le 23 juin 2022, j'ai écris les premiers chapitres fin mai. En gros, j'ai écris 10 chapitres en un mois, ce qui est pas franchement énorme. Retenez, qu'on est le 23 juin 2022, pour rigoler sur la date qui s'affichera quand le chapitre sera posté. Si on est encore en 2022 au moment où vous lisez ça, c'est un miracle. Rassurez-vous, si vous lisez ça c'est que vous aurez la fin de cette histoire.

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