Chapitre 5 : Proie, de l'autre côté du miroir

Perfectionnisme : recherche excessive de la perfection en toutes choses, voir "superficialité".

Jamais Derreck Wakefield n'aurait envoyé son fils unique dans une école publique. Non content d'être le représentant de la plus riche famille du quartier, il lui fallait exposer sa fortune. Villa, piscine creusée, hall de réception, grand lustre en cristal... Chaque détail avait été calculé au millimètre. "Nous nous devons de faire bonne impression. Nous sommes les élites de ce pays", voilà ce qu'il répétait à longueur de temps. Bonne impression ? Quel hypocrite ! Tout ce qui importait réellement, c'était d'être envié de tous. Sa vie devait être parfaite : le moindre faux-pli, la moindre bafouille, et c'était la catastrophe !

Rhys souffrait énormément de l'obsession de son père. A ses 5 ans, ses parents lui avaient offert ("offrir" est un bien grand mot, il ne s'agissait là que d'une obligation) des cours de piano. Derreck,qui ne voyait en lui qu'un moyen supplémentaire d'exhiber sa réussite, se montrait particulièrement sévère. Lorsque les enfants des environs se regroupaient pour disputer un match de football, qu'ils jouaient au loup, s'amusaient, le petit Rhys, lui, restait enfermé derrière la grande baie-vitrée du salon, jalousant cette liberté qu'on lui refusait sans raison. "Papa, avait-il un jour demandé, pourquoi je ne peux pas sortir jouer, moi aussi ?

- Mais enfin, lui avait répondu son interlocuteur comme s'il se fut agi d'une évidence, nous valons bien mieux que tous ces pouilleux !

- Mais, ils ont l'air gentils, et...

- Tu comprendras quand tu seras grand", avait froidement rétorqué Derreck.

Et effectivement, il comprit bien plus tard. Il comprit qu'il vivait dans une société basée entièrement sur l'argent et le pouvoir. Il comprit que seuls les plus favorisés pouvaient s'en sortir dans ce monde impitoyable.

A 16 ans, il avait été retiré de son établissement prestigieux pour étudier à domicile. Contrairement à certaines croyances, le luxe et la réputation ne dispensaient guère le harcèlement. Excellant dans tous les domaines, Rhys était rapidement devenu le souffre-douleur de la classe. Bien entendu, il n'en soufflait aucun mot à personne. Qu'aurait dit son père, de toute façon ? Son fils se devait d'être parfait en tous points, se plaindre n'aurait servi qu'à baisser dans l'estime du chef de famille, et ce pour quoi ? De simples "lèche-cul", "intello de merde", "enfoiré d'aristo"... aucune preuve ! Il n'avait strictement aucune preuve, et puis... Derreck ne l'aurait pas cru.

Alors, il se taisait, souffrait en silence. Ce n'est que lorsqu'il reçut des menaces de mort que Derreck réagit enfin. Dorénavant, son fils suivrait un enseignement à domicile !

Coupé du monde extérieur, Rhys avait pris l'habitude d'obtenir tout ce qu'il désirait. Choyé par sa mère, il se comportait comme s'il eut été le roi en personne. Jamais il n'y eut de caprice qu'on ne lui céda. Même son père l'élevait au rang de dieu : "Voici mon fils. Regardez comme il est parfait !", répétait-il à qui voulait l'entendre.

Mais d'une certaine manière, cet éternel besoin de reconnaissance, cette recherche perpétuelle de la transcendance absolue auquel succombait le couple nuisait à l'adolescent. Il se scarifiait, passait ses nuits à pleurer. Il se sentait seul, abandonné de tous, sans personne pour lui venir en aide. Durant toutes ces années, la pression mise en place par son père ne cessait de croître ( "Nous nous devons de faire bonne impression"), l'écrasant, l'étouffant tel le plus pesant fardeau.

Et pourtant, il ne se plaignait pas. La vie lui avait appris à porter un masque en toute circonstance. Alors, il s'efforçait de sourire malgré la douleur, de continuer le piano, tentant en vain de se convaincre que son existence n'était pas si horrible. Il avait tout ce qu'il voulait, débordait d'argent... pourquoi donc se morfondre ? N'importe qui rêverait d'être à sa place. C'était un cadeau du ciel ; il ne pouvait en aucun cas se permettre de refuser un tel privilège !

Ainsi, lorsque les adolescents de son âge sortaient avec leurs amis, faisaient la fête, riaient, etc..., lorsqu'ils vivaient, Rhys Wakefield restait enfermé dans sa prison de cristal. Les animaux élevés en captivité finissent souvent par s'habituer aux barreaux et, bien que leur instinct les persuade du contraire, certains en viennent même à préférer leurs chaînes à la liberté.

Sa maison -villa est un terme plus exact-, c'était tout ce qu'il avait toujours connu ; c'était son refuge, sa forteresse. Sa solitude, il avait fini par s'en accommoder -il faut dire qu'il n'avait guère le choix !-, et il vint petit à petit à en oublier sa profonde détresse. Mais c'était sans compter sur cette loi. Cette loi qui allait tout changer...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top