3.

Amélia était dans le bus. Elle partait faire un petit tour. Faire un petit tour ? Où ça ? Elle même ne le savait pas. Elle pensait, elle réfléchissait. Il ne restait plus que quelques jours avant qu'elle parte dans cet internat de malheur. Quelques petits jours. S'il elle ne réussissait pas à trouver une solution, elle partirait bel et bien, aussi réticente soit-elle. Sa tête rebondissait légèrement sur la vitre, mais elle ne s'en préoccupait pas, ayant trop de soucis en tête.

Elle regardait les passagers du bus. C'était toujours intéressant de les voir, de les voir au-delà de leurs apparences. Et eux, quels soucis avaient-ils ? Un jeune homme se tenait là, bien droit. Il était grand, et très fin. Il n'était pas très beau. Mais on ne pouvait le décrire comme laid. De toute façon, la beauté ce ne sont que des critères, n'est-ce pas ? Amélia, préféra plutôt se concentrer sur d'autres détails. Il avait une guitare. Peut-être revenait-il d'un cours ? Ou il avait joué un morceau à sa dulcinée ? Cette pensée la fit sourire pour aucune raison valable.

Elle aurait aimé jouer ne serait-ce que d'un instrument. Cela soulageait certains. Les passionnait. Elle aurait aimé avoir une passion. La lecture, le dessin, la musique. Une passion, n'importe laquelle. Toucher les cordes d'une guitare et les pincer. Appuyer sur une touche de piano. Souffler dans une flûte. Entendre le son produit et esquisser un sourire. Oui, elle aurait aimé avoir un instrument.

Après son départ, elle se demandait qui elle marquerait. À qui elle manquerait. Qui son départ attristerait. Mais elle savait déjà la réponse. Personne. Absolument personne. À la rigueur son père. Elle entendit la voix déjà enregistrée et lente du bus qui annonçait les arrêts. Elle releva son visage, et vérifia les alentours. Elle était bientôt arrivée. Attrapant son sac d'une main, elle partit.

Finalement, son subconscient l'avait conduite ici. Elle se surprit encore à sourire. Ce n'était pas le genre de bon sourire, c'était le mauvais. Un sourire ne présageant rien de bon. Elle s'avança vers l'appartement, les mains dans les poches. C'était un quartier calme. Calme et paisible.

Elle entra dans le bâtiment est monta jusqu'au troisième étage. Elle tourna la poignée de la porte qui s'ouvrit facilement. La porte n'était pas fermée à clé. La porte n'était jamais fermée à clé. L'appartement était comme sa chambre. Elle n'était pas rangée, et ne sentait pas très bon. Les murs étaient tapissés d'un vieux papier peint fleuri, qui ne correspondait pas du tout à la personne qui sortit de la chambre.

Un jeune homme en sortit, refermant doucement la porte derrière lui. Lorsqu'il vit Amélia, son visage s'éclaira, et il lui fit un clin d'œil. Il n'était vêtu que d'un simple T-Shirt Nirvana, et d'un jogging. Il avait les cheveux bruns hérissés sur sa tête, qui lui donnait un air constamment étonné. Ses yeux étaient bruns, ourlés de longs cils, qui lui donnaient l'air un peu enfantin. Son nez était long et fin ce qui contrastait avec ses pommettes saillantes, et sa bouche pulpeuse. Lorsqu'il lui adressa un sourire, on pouvait apercevoir sa canine chevaucher les dents avoisinantes. C'était un détail futile, et inutile, mais qu'avait toute de suite remarqué Amélia. Elle ne le prenait pas comme un défaut, mais au contraire, comme une caractéristique qui le rendait unique.

Sachant qu'il n'allait jamais l'inviter à s'asseoir, elle prit elle-même place sur une chaise, en ayant d'abord prit le soin d'enlever du bout des doigts une vielle part de pizza. " Vivre dans mon bordel, c'est acceptable, mais avec le bordel des autres, ah ça, non ! ". Il n'était pas du genre gentleman, mais même paresseux, crade, et limite macho sur les bords. Il prit lui-même place sur le canapé en face d'elle. Il prit la part de pizza qu'elle avait posé un peu plus loin, et l'enfourna dans sa bouche, après un rapide coup d'œil.

Amélia réprima une grimace de dégoût avant de commencer à lui parler.

- Alors, comment ça va ? demanda t-elle.

Il haussa les épaules, et continua de mâcher sa part de pizza tranquillement, comme si à cet instant, plus rien ne lui importait.

Même pas sa petite amie.

- Scar, s'il-te-plaît... dit Amélia sur un ton presque suppliant.

Elle regretta instantanément ses paroles, et se redressa. Elle s'était toujours promis de ne pas passer pour une petite amie en manque d'affection. Mais en ce moment, elle avait besoin de lui parler. En fait, elle avait besoin de parler à quelqu'un, et n'ayant pas d'amis, et n'étant pas proche avec son père, il était la seule option.

Lorsqu'il eu finit de manger sa pizza, il lâcha un rot, et daigna lui répondre non sans d'abord avoir léché chacun de ses doigts scrupuleusement.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

On voyait bien qu'il avait fait un effort pour demander cela, mais il s'en fichait royalement de la réponse qu'elle allait lui donner.

- Je pars, répondit-elle. Je m'en vais.

Il haussa un sourcil, et lui demanda, avec son flegme habituel.

- Tu me quittes ?

Il n'avait pas l'air de s'en soucier plus que ça. Après tout, une de perdue, dix de retrouvées, non ?

- Non, non, bien sûr que non ! dit-elle en écarquillant les yeux.

Scar la dévisagea sans vraiment comprendre. Il se gratta le menton, sur lequel poussait sa barbe naissante. Amélia et Scar ne formaient pas vraiment un couple normal. D'ailleurs, leur relation ne valait sans doute pas la peine qu'on la caractérise de " couple ". Ils n'avaient pas la prétention d'avoir eu une rencontre étonnante, ou même drôle. Ils s'étaient rencontrés lors d'une fête, et s'étaient plu. Ils s'étaient vu pendant toute la soirée, avant de se quitter. Quelques jours après, ils se sont revus, et les choses se sont faites ainsi. Ils ont alors décidé de se revoir dans un autre cadre que les fêtes. Mais ils finissaient toujours dans un lit. Et ils ont continué à se fréquenter.

Scar, n'était même pas le vrai prénom de son petit-ami. Tout le monde le surnommait ainsi à cause de sa cicatrice sur l'œil droit qu'il avait, comme Scar dans le dessin animé Roi-Lion. Les cheveux hérissés ajoutaient aussi à la ressemblance. En fait, personne ne connaissait son vrai nom, même pas ses plus proches amis. Elle se demandait parfois s'il connaissait son propre prénom. Elle pensait qu'il allait le lui révéler, après tout, cela faisait un an qu'ils se connaissaient. Il ne lui avait jamais dit, elle vivait avec. Quelques fois, Scar allait voir d'autres filles, cela ne gênait pas Amélia. Elle allait parfois voir certains garçons. On pouvait peut-être qualifier leur relation de " ami avec avantages et plus " ? C'était sans doute plus approprié.

Ils avaient commencé à se voir quand elle avait seize ans, bientôt dix-sept. et lui vingt-trois ans. La différence d'âge pouvait paraître énorme pour certains, mais ils s'en fichaient. Elle aurait bientôt dix-huit ans de toute façon. Elle pouvait faire ce qu'elle voulait, comme venir habiter avec lui. S'il acceptait, bien sûr.

- J'comprend rien à ce que tu me dis...

- Mon père m'envoie dans un internat. Assez loin d'ici je crois. Et j'y suis obligée d'y aller.

- Refuses.

- C'est ce que j'ai fait, répliqua t-elle sèchement. Comme s'il elle ne l'avait pas pensé avant. Mais il est inflexible là-dessus.

- Alors, trouve une solution.

- J'ai déjà essayé plein de trucs, mais ça ne marche jamais, dit-elle en se prenant sa tête dans ses mains. J'ai même essayé d'annuler l'inscription en obligeant sa secrétaire à le faire. C'est mort. Il avait déjà payé.

- Dommage... On s'amusait bien tous les deux.

Elle le regarda froidement. Voilà un an qu'il se connaissait. Elle aurait aimé avoir un peu plus d'attention.

- Et puis, continua t-il, au pire, tu restes jusqu'à ta majorité et tu reviens après.

Elle lui fit un maigre sourire, et attrapa son sac.

- Ouais. Je pense que c'est ce que je vais faire.

- Ok. Cool.

Elle avait l'impression qu'il était défoncé. Et il l'était sans doute. Dans un soupir de frustration, elle se leva, et s'en alla jusqu'à la porte. Il l'accompagnât, et ils se serrèrent maladroitement dans les bras.

- À la prochaine ! lui lança t-il avant de refermer la porte.

Ouais, c'est ça. À la prochaine. Elle avait l'impression qu'il lui avait parlée comme à la boulangère du coin. Elle renifla, ne sachant même pas pourquoi. Des larmes commencèrent à se former dans le coin de ses yeux, elle les leva donc au ciel pour s'empêcher de pleurer. Elle ne l'aimait même pas ! Pourquoi n'avait-elle pas eu la même réaction que lui ? Accepter cela avec un peu de tristesse, et lui lancer un salut jovial ?

Elle marcha quelques pas dans la rue, et s'arrêta net. Elle se rendit compte enfin pourquoi elle pleurait. Parce qu'elle ne manquait à personne. Personne ne s'intéressait à elle. Son propre père l'avait même chassée. Alors, autant y aller à cet internat. Elle avait essayé toutes les issues possibles. Elle avait l'air d'un martyr, résignée à son sort. Les épaules voutées, et la démarche lente.

Elle s'assit sur un banc, dans un parc. Des enfants riaient et chahutaient entre eux. Elle regrettait ce temps là. Ce temps de l'insouciance où le seul problème était de savoir si le château de sable qu'on avait pris tant de temps à construire allait s'effondrer ou non. Elle avait l'impression que c'était elle le château de sable. Et que oui, elle s'effondrait.

Tout ce qu'elle touchait se détruisait, se consumais dans ses mains. Absolument tout. Même ses poissons rouges lorsqu'elle était enfant. Elle avait oublié de les nourrir et ils en étaient morts. Encore une fois, tout ce qu'elle faisait ne faisait qu'avancer à sa propre perte. Et Amélia acceptait cela comme une fatalité.

Pendant qu'elle était plongée dans ses réflexions, elle n'entendit pas un petit garçon blondinet lui tapoter la main. Elle baissa les yeux vers le gamin, et fronça les sourcils.

- Dis, commença t-il, pourquoi t'es pas à l'école ?

Elle entrouvrit la bouche, mais la referma aussitôt ne sachant pas quoi répondre.

- Alors ? Insista t-il.

- J'n'avais pas trop envie d'y aller.

- Et pourquoi ? dit-il en s'installant dans le banc à côté d'elle, son ballon à la main.

- J'ai quelques petits soucis en ce moment.

- Lesquels ? demanda t-il avec un calme olympien.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, Amélia lui raconta.

- Mon papa m'envoie dans une école loin d'ici.

- Tes amis vont te manquer ?

- Non, pas vraiment...

- Ton papa ? Ta maman ?

- Mon papa non, mais ma maman... en quelque sorte.

- Alors vas-y ! Tu t'y feras plein de nouveaux amis ! Dis ! Tu sais jouer à Chat ?

Elle esquissa un sourire, et acquiesça. Au même moment, une jeune femme à la même chevelure blonde se rua sur le petit, et le serra dans ses bras.

- Oh Tommy ! Je t'avais dit de jouer près du toboggan.

- Oui, mais mon ballon est parti par là-bas, et y avait cette dame qui était toute triste.

Elle se détourna et observa Amélia remarquant enfin sa présence, relâchant son emprise du petit Tommy au même moment. Elle attrapa la main du petit garçon, et le fit descendre du banc.

- Elle veut... sans doute être seule. Aller viens, dit-elle en poussant le petit garçon. Désolée s'il vous a dérangé, dit-elle en n'adressant même pas un regard à Amélia.

Tout en regardant le petit garçon s'éloigner, qui lui secouait la main en signe d'au revoir, Amélia pensa que c'était la seule personne de la journée avec laquelle elle avait eu le plus de plaisir à lui parler. Et c'était un garçon de même pas six ans. La vie avait une ironie à toute épreuve.

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