2.
Elle courrait, laissant retomber ses cheveux sur ses épaules. Flottant légèrement dans le vent. Elle avait l'air d'un lutin, courant par ci par là. Elle arrêta soudainement de courir devant une bâtisse où d'après l'enseigne, était celle d'un fleuriste. Elle porta la main à son cœur et se mit à haleter. Le trajet à pieds de chez elle jusqu'à ici l'avait fatiguée. Elle avait fait le mur. Encore. Mais elle ne pouvait pas rester cloîtrer chez elle à ne rien faire. Son père lui avait dispensée de cours. Mais elle savait bien qu'il n'avait plus la force de la combattre.
Elle ouvrit la porte de la petite boutique et se frotta les mains, se laissant réchauffer par la chaleur ambiante de la pièce. Elle regarda les alentours. Rien n'avait changé. Les murs étaient blancs, ce qui faisait ressortir les fleurs de couleurs malgré la saison. Elle s'avança vers le comptoir, sachant déjà ce qu'elle allait prendre. C'était une femme rondelette approchant la quarantaine qui la prit en charge. Ses petits yeux scrutèrent Amélia quelques instants, avant de s'agrandir la reconnaissant.
- Oh ! Vous prendrez des tulipes ? Des jaunes ? Cela vous va t-il ?
Sans même attendre l'approbation de la jeune fille, la fleuriste, s'empressa d'aller chercher les fleurs en question.
Amélia se frotta le bras gauche, autant pour passer le temps que pour se réchauffer. Elle détestait que cette femme se souvînt d'elle. Elle détestait qu'elle se souvînt la fleur qu'elle voulait. La femme revînt, les tulipes en main, dans un joli petit pot, ou la terre s'échappa pour finir écraser sur le sol. La femme regarda le sol, et de son pied dispersa le petit morceau de terre comme s'il allait disparaître. Elle éclata d'un rire joyeux, et tendit les fleurs à la jeune fille. Y avait-il quelque chose de drôle ? Non, sans doute pas.
Amélia fouilla dans ses poches, cherchant l'argent. Connaître un endroit comme sa poche ? Drôle d'expression. Assurément, Amélia se perdrait. Elle sortit un ticket de bus, et le jeta au sol. La femme la regardait d'un drôle d'air, les yeux inhabituellement agrandis. Eh bien ? Elle riait quand elle laissait tomber de la terre, mais elle ne riait plus quand Amélia faisait tomber quelque chose. Bizarre.
Finalement, elle retrouva son billet de dix, qu'elle avait spécialement pris pour l'occasion. Il était tout chiffonné. Elle empoigna le pot de tulipe, laissant encore s'échapper de la terre. Lorsque la femme le lui tendit, il y avait une expression désolée, et de pitié ce que détestait Amélia par dessus-tout. Comme s'il elle savait. Comme si elle était avec elle, de son côté.
Elle sortit de la boutique d'un pas pressé. Le froid hivernal lui fouetta le visage, la faisant reculer par la même occasion. Ses lèvres se courbèrent vers le bas. Elle n'aimait pas le froid. Elle garda le pot d'une main, il était dans un équilibre instable, menaçant de tomber à tout moment. De son autre main, elle rabattit la capuche de son sweat noir sur sa tête, ses cheveux retombèrent, suivant la courbe de ses bras.
Elle marcha cette fois beaucoup plus doucement. Elle regardait droit devant elle, mais pourtant, ses yeux étaient vides. Ses pas l'amenèrent machinalement à la grande barrière de fer. Elle inspira un coup, voulant se donner du courage, et ouvrit la porte. Celle-ci émit un grincement disgracieux, comme si elle refusait de laisser entrer Amélia. La jeune fille réussit à se faufiler à l'intérieur et continua à marcher. Elle regarda les pierres tombales avec un léger sourire triste. Rapidement, elle alla vers celle qui l'intéressait.
Celle de sa mère.
Elle s'agenouilla, ne prêtant pas attention à la terre mouillée formant un étrange mélange. Elle posa délicatement le pot de tulipes, et passa ses doigts sur l'inscription.
" Une mère et une épouse formidable. "
Son sourire triste s'agrandit un peu plus. Elle laissa retomber son bras mollement le long de son corps et continua à observer la pierre.
- Bonjour M'man.
Un silence s'ensuivit, laissant passer une brise glaciale qui ne perturba pas la jeune fille.
- Ça fait longtemps, hein.
Elle sanglota doucement ne voulant pas pleurer.
- Tu aimes les fleurs ? Ce sont tes préférées. Enfin, ça l'étaient du moins.
Son regard s'assombrit. Autrefois, lorsqu'elle rentrait chez elle, il y avait toujours un pot de fleurs qui ornait la table. Peu importait la saison. Peu importait le type de fleurs. Qu'il pleuve ou qu'il vente, il y avait toujours des fleurs chez Amélia. Son père avait tant et bien que mal essayé de garder la tradition voulant faire comme s'il elle était encore là. Mais, n'ayant pas assez de temps pour s'en occuper, il avait mis des fleurs en plastiques. Un jour, de rage, elle les avait jetées par terre, brisant le vase. Depuis, il n'y avait plus de fleurs chez Amélia.
Elle se mordit la lèvre inférieure, pensive.
- Je suppose que tu le sais, depuis... là-haut.
Elle jeta un coup d'œil craintif au ciel avant de reporter l'attention sur la pierre tombale.
- Papa m'envoie dans un internat.
Elle changea de position, et s'assit en tailleur sur le sol, tachant cette fois-ci non pas son genou mains la totalité de ses fesses.
- J'ai pas envie d'y aller. Je veux rester avec toi.
Des larmes s'échappèrent de ses yeux pour glisser le long de ses joues et s'écraser sans un bruit sur le sol. Elle couvrit son visage de ses mains et sanglota doucement. Ses épaules montèrent puis s'affaissèrent dans un mouvement régulier. Une brise passa encore par là, comme pour l'épauler. Elle releva la tête, et s'essuya de la manche de son sweat.
- Tu me manques...
Ses mots étaient séparés par ses hoquets. Elle voulait que sa mère revienne, tout de suite. Qu'elle l'a prenne dans ses bras, qu'elle l'a réconforte, qu'elle l'a berce. Comme elle le fait. Comme elle le faisait.
- Il veut réparer ses torts. Mais il ne peut pas. Tout est de sa faute. S'il n'avait rien fait, tu serais encore là.
Elle arrêta de parler, et ses dans ses yeux, s'alluma une lueur de colère, de rage. Mais surtout, de désespoir.
- Je me vengerai. Je ferai tout pour rester ici.
Elle se releva et mis ses mains dans ses poches.
- Je te le promets.
Amélia se retourna et marcha vers la sortie, d'un pas lourd et déterminé.
***
Mr Parker conduisit prudemment le long de la route, en direction du cimetière. Il passa une main dans ses cheveux grisonnants. Il voulait rouler plus vite, rejoindre sa femme plus vite. Mais c'etait un homme calme et réfléchi. Quelques instants plus tard il arrive devant la fleuriste. Il s'y arrêtait souvent pour orner la tombe de sa femme. C'était le moins qu'il puisse faire. Il rentra dans la petite boutique, et attendit devant le comptoir comme le faisait sa fille avant. Avec la même posture impatiente, tapant du pied.
La fleuriste arriva, les traits fatigués par sa journée de travail. Elle jeta un coup d'œil au comptoir et s'essuya les mains sur son jean. Elle fit un petit sourire à l'homme devant elle, et le salua.
- Bonjour Mr Parker. Comment allez-vous ?
- Ça peut aller.
Il n'avait pas envie de parler de la pluie et du beau temps avec cette femme. La fleuriste avait connu Eve, son épouse. Eve voulait constamment qu'il y ait des fleurs dans la maison. Elle venait toujours en acheter ici. Il avait essayé de perpétuer la tradition, en vain. Sa fille avait cassé le vase. Lorsque tard le soir il était rentré, il avait l'impression que sa femme était morte une seconde fois.
- Des tulipes, s'il vous plaît.
La fleuriste hocha la tête de haut en bas d'un signe compréhensif.
- J'en ai juste là, dit-elle en pointant du doigt le pot de fleurs derrière elle.
Elle se tourna au même moment, et s'affaira à mettre un peu d'eau et d'engrais. Elle se retourna vers son client et lui tendit le pot, un large sourire au visage.
- Voilà pour vous.
Il attrapa le pot et le casa dans sa main, de l'autre, il sortit la monnaie et lui tendit. Pendant qu'elle faisait le compte, elle continua de lui parler.
- Votre fille est passée tout à l'heure. Pas très commode. Elle a acheté des tulipes aussi.
Elle pouffa, cachant son rire avec sa main. Jacques fronça les sourcils. Il lui avait interdit de sortir. Bah... Si c'était pour sa mère. Sans attendre la monnaie, il partit vers le cimetière laissant sa voiture garée non loin de là. Il aimait prendre le temps de marcher, de plonger dans ses réflexions, le souffle du vent lui caressant la joue et décoiffant ses cheveux comme une Rock star. S'il aimait cela, c'était bien grâce à Eve. C'était la seule qui avait réussi à lui faire découvrir les petits plaisirs de la vie. Mais maintenant, elle était partit, le laissant seul avec leur fille et ce trou béant. On lui avait dit que lors de la mort d'un être cher, cela prenait du temps pour cicatriser. Mais il avait l'impression que la cicatrice ne voulait pas se refermer. Qu'elle voulait toujours être là, à tout moment, pour lui enlever ses petits plaisirs de la vie, qu'il avait pris tant de temps à apprendre et à aimer.
Sans même qu'il se rende compte, il était déjà arrivé au cimetière, il y pénétra sans difficulté et s'avança jusqu'à la tombe de sa femme. Il y déposa les fleurs près de celles de sa fille, et observa la tombe.
" Une mère et une épouse formidable. "
C'était Amélia qui avait choisi l'inscription. Il ne le regrettait pas. Pourtant, il avait l'impression qu'aucun des adjectifs de cette terre ne pourrait décrire cette femme tant aimée.
- Mon ange...
Il fit un maigre sourire, et observa la pierre tombale.
- Amélia va mal. De plus en plus mal.
Ses yeux s'assombrirent. Si sa femme était encore là, elle l'aurait tué de laisser leur fille dans cet état. Il regarda la pierre comme s'il elle était vraiment là. Comme s'il elle allait soudainement se matérialiser et se mettre à lui parler.
- Je suis désolé.
Jacques Parker était un homme très respectable. Très craint, aussi. Il gérait son entreprise avec une main de fer, virant s'il le fallait des employés sans une once de pitié. Personne ne l'avait vu rire, ou même sourire. C'était un patron très sévère, mais c'était grâce à cela qu'il était arrivé à un tel niveau. Mais si un de ses employés le voyait, là maintenant, les bras ballants, et les larmes aux yeux, ils se pinceraient sans discontinuer.
Jacques s'abaissa, ses genoux s'écrasant au sol. Il pleurait sans retenue, la première fois depuis longtemps.
- Je n'y arrive plus... C'est trop dur. Je ne sais plus quoi faire avec elle. Rien...
Il appuya sa tête contre la pierre, froide et lisse. Comme la pente dans laquelle glissait sa fille. Mais quand elle verra la fin de cette pente, elle y verra sa fin. Il pleura pendant quelques instants, vidant son sac. La pierre lui apportait du réconfort. Elle ne pouvait le juger, le dire à une tierce personne. Elle le garderait pour elle, et ça, Jacques avait l'impression que c'était à sa femme qu'il se confiait.
Il sortit un mouchoir de sa poche et se tamponna doucement les yeux avec. Il se releva doucement, et réajusta son costume. Comme s'il n'avait rien fait. Comme s'il ne venait pas de pleurer.
- Mais je vais arranger ça. J'ai les choses en main. Je te le promets.
Père et fille ont promit. Deux promesses complètement différentes, avec pour seule témoin la pierre tombale. Il épousseta son costume en s'en allant d'un pas déterminé, comme l'avait fait sa fille plus tôt.
***
Elle était assise en tailleur sur son lit, son téléphone en main. Elle n'attendait pas d'appels ou de messages de personne. Elle ne s'attachait à personne. Comme le vent qui soufflait, là-dehors, il avançait, fonçait tête baissé mais ne reculait jamais. Comme Amélia.
Elle déposa son portable sur son lit, non loin d'elle. Elle entendait les pas de son père. Longs, lourds, et menaçants. Lorsque nous habitions dans une maison, que ce soit avec sa famille, des amies ou en colocation, plus le temps passait, plus on apprenait à connaître ses habitants et leurs petits secrets. Par exemple, Amélia savait très bien que si elle voulait faire le mur, elle avait juste à passer par la fenêtre que son père croyait bloquée depuis l'achat de la maison. Elle savait aussi reconnaître les pas des gens, ici, de son père. Avant, lorsque sa mère montait à l'étage, ses pas étaient rapides, légers, rassurants. Tout le contraire de son géniteur, en somme.
Son père s'arrêta sur le seuil de la porte. Elle ne bougeait plus, ne respirait plus. Puis, quelques instants plus tard, il s'en alla, la laissant soupirer de soulagement. Elle sauta de son lit, et alla vers sa salle de bain privée. Grâce à l'entreprise de son père, ils avaient beaucoup d'argent. D'où la belle et grande maison tape à l'œil. Elle détestait le fait que son père était riche, et calme. Pourquoi a t-il fallu que ça tombe sur elle ? Lorsqu'on la voyait dans la rue, on croyait que c'était une pauvre fille, ayant des parents qui la battaient, ou pire ! Même dans le lycée courait toutes sortes de rumeurs à son propos. Elle laissait faire. Qu'avait-elle à gagner ? Elle s'en fichait. Éperdument.
Elle rentra dans la salle de bain, ses pieds touchant le carrelage lisse et froid, ses lèvres se courbèrent vers le bas dans une grimace. Elle se dépêcha de se mettre sur le tapis, et cherchant dans un tiroir à la recherche d'un élastique. Quand elle l'eut trouvé, elle fit un chignon rapide et peu élaboré et se brossa les dents. Une fois fini, elle sortit de la pièce, et se replaça sur son lit.
Elle s'allongea dedans et s'enfouit dans les couvertures. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas dormi dans un lit. Seule, dans un lit. Elle ferma les yeux et ne tarda pas à s'endormir dans les bras de Morphée.
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