1. ambre, la petite fille

Il était 19h. En cette belle mais froide journée d'automne, le vent soufflait avec furie, secouant les branches des arbres frêles qui se dressaient le long du chemin.

Tout en marchant d'un pas lent et usé, Tristan Malory les contemplait d'un air absent. Un tourbillon de feuilles mortes attira son attention. Il s'arrêta quelques minutes.

Des gerbes de couleurs dansaient autour de lui ; des éclats de rouge, d'orange,  de jaune, épars ; une mosaïque qui s'étendait sur tout le paysage, à l'infini.

Un élan de beauté dans la ville grise et fumante, dans cette métropole bruyante qui crachait ses poumons en permanence.

Reprenant ses esprits, le trentenaire secoua la tête, ce n'était pas le moment de rêvasser, il devait rentrer chez lui.

Sa longue journée de travail lui pesait déjà sur les épaules. A vrai dire, ce n'est pas ce qui le fatiguait le plus dans sa vie.

Après tout, par les temps qui courent, avoir un boulot honnête et bien payé était presque un luxe. Tel un salarié modèle, il remplissait consciencieusement les tâches qu'on exigeait de lui, ni plus, ni moins.

Non, ce qui le détruisait réellement, c'était une toute autre forme de fatigue. Une solitude accablante et écrasante qui le poursuivait depuis des années, depuis que sa femme...

Le léger tintement de la porte d'entrée qui s'ouvre le rappela sur terre. Il était déjà arrivé à son appartement.

Un salon triste et muet l'attendait. Un frémissement parcourut son échine à mesure qu'il pénétrait dans la pièce.

Mû par une envie presque désespérée, il ne prit même pas la peine de ranger son manteau correctement et claqua toutes les portes une par une.

A chaque fois, c'était le même vide qui répondait à ses supplications. L'angoisse monta en lui.

Un dernier espoir, la dernière porte, la chambre interdite. Il entrouvrit la cloison et jeta un coup d'œil à l'intérieur. Personne, évidemment.

Il se laissa lourdement tomber sur le sofa.

Cette solitude insoutenable qui revenait le frapper de plein fouet, qui revenait encore et encore, lui labourait le visage de cicatrices invisibles, les blessures du temps. Cela recommençait, une nouvelle fois.

Tristan Malory se sentit soudain immensément las. La tête entre les mains, il fixa le sol pendant de longues minutes.

Puis, après ce qui parut une éternité, il se releva d'un coup sec.

D'un geste décidé, il rangea tous les cadres qui trônaient sur ses meubles dans un placard. Il fallait que les souvenirs soient hors de sa vue.

Quand il fut assuré que pas une photo ne dépassait, il remit son manteau et s'engouffra dehors.

Il faisait frais, un peu sombre, mais il y avait encore suffisamment de lumière  pour y voir. C'était le moment idéal pour se promener. Du moins, c'est ce qu'il aurait pu penser.

Au moment où il marchait d'un pas pressé sur le trottoir, Tristan Malory était tout sauf décontracté.

Incroyablement nerveux, il arpenta les endroits qui lui étaient le plus familier à la recherche d'une sérénité qui semblait définitivement hors d'atteinte...

Soudain alors qu'il passait par le parc situé non loin de chez lui, Tristan Malory entendit une plainte aigüe, presque imperceptible.

Son cœur ne fit qu'un bond. Il se stoppa net.

Là, dans la pénombre de la nuit qui gagnait du terrain, assise sur la balançoire, une petite fille pleurait à chaudes larmes, la tête baissée.

Il s'approcha doucement pour ne pas la surprendre et l'examina attentivement.

Ses vêtements étaient froissés, elle n'avait pas de manteau ni d'écharpe,  et il y avait des écorchures à différents endroits de sa peau. Comme si elle s'était battue.

Le parc était absolument désert et elle semblait être là depuis un moment.

L'espace d'un instant, Tristan Malory eut la tentation de la laisser là, de d'abandonner à son sort, mais très vite il se flagella mentalement : il ne pouvait pas la laisser comme ça.

Ainsi, il se plaça devant elle et lui demanda, d'une voix douce :

Tristan : quelque chose ne va pas ?

La petite fille ne sembla tout d'abord pas l'entendre. Elle s'étouffa dans ses sanglot, hoqueta, secouée de spasmes.
Patiemment, Tristan Malory effleura ses cheveux et répéta :

Tristan : pourquoi pleures-tu ? Que t'arrive-t-il ?

De longues minutes lui furent nécessaires pour se calmer un peu mais, finalement d'une petite voix fluette entrecoupée de pleurs, elle répondit en s'essuyant les yeux :

??? : Je...ne...sais...pas. Je crois que j'ai perdu quelque chose d'important...de très important... Mais je ne sais plus quoi...

Tristan Malory eut un soupir de compassion mêlée de pitié. Elle avait l'air tellement perdue, tellement vulnérable.
Il aurait voulu la serrer dans ses bras le plus fort possible pour chasser sa  tristesse, et en même temps, à l'intérieur de lui, une voix lui soufflait qu'il ne devait pas être trop brusque, qu'il ne devait pas profiter de sa faiblesse.

Alors il tenta de garder la face, de paraître rassurant, mais devant cette petite fille éplorée, il n'en menait pas large.

Tristan : tu es toute seule ? Où sont ton papa et ta maman ?
??? : je ne sais pas...
Tristan : tu habites loin d'ici ?
??? : je ne sais pas...
Tristan : comment tu t'appelles ?
??? : Ambre...
Tristan : eh bien, Ambre, il ne faut pas rester comme ça dans le vent tu vas finir par attraper froid. Et tu n'as pas envie de tomber malade, pas vrai ?
Ambre : non, j'aime pas être malade.
Tristan : tu vois. Tu dois venir te réchauffer quelque part, la nuit va bientôt tomber.
Ambre : mais je sais pas où aller...
Tristan : dans ce cas, que dirait-tu de venir chez moi ? Ce n'est pas loin et tu seras quand même mieux que sur une balançoire pour dormir ?

Ambre sembla  méfiante mais elle n'avait pas d'autre choix que de le suivre. Il lui tendit la main et pour la première fois, elle leva les yeux.

Ils étaient délavés, embués de larmes, hésitants. Il crut bon de se forcer à lui présenter un visage souriant, de se donner le rôle du protecteur.

Malgré la fatigue, Tristan Malory arbora son sourire le plus convaincant et attrapa sa main, si fine, si fragile, pour l'aider à se relever.

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