(I) 38. jingle bells

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- J'AI BIEN HÂTE de ne plus sentir les regards insistants des harpies pendant deux semaines.

Aria secoua légèrement son exemplaire de la Gazette du Sorcier en direction des personnes dont elle parlait, Evelyn Tewn se tourna vers les deux en question, soit leurs camarades de dortoir Pearl et Dolores, puis déclara :

- De toute manière, les tirages que j'ai fait pour ces deux-là pour les mois à venir sont pas bien joyeux, elles risquent de ne plus trop t'embêter. Elles vont avoir leur lot de soucis.
- Oh, répondit Aria en fronçant les sourcils. Je suppose que je ne devrais pas me réjouir du malheur des autres...

Elle laissa sa phrase en suspens et se servit un verre de jus de citrouille, dont elle but une gorgée.

- ... Mais bien fait pour elles, termina-t-elle avec un grand sourire.
- Oh, Tewn ! héla une de leurs camarades de septième année du deuxième dortoir des filles. Tu crois que tu pourrais me tirer les cartes, une fois ?

Aria leva la tête de son journal, surprise de l'intervention de leur interlocutrice. Eleanor Whimskits, fière Serpentard afro-britannique, était plutôt solitaire et n'adressait la parole qu'à un nombre restreint d'heureux élus, tous en dehors de sa maison. Evelyn et Aria échangèrent un regard, puis la première se tourna vers Eleanor. L'héritière Justice manqua de lâcher un hoquet de surprise en voyant sa camarade de dortoir rougir en lui répondant.

- Si tu veux, Eleanor. Je... Je ne savais pas que tu t'intéressais à tout ça...
- Pas plus que ça, mais à force de t'entendre parler de tarot et surtout, de tirages dont on aime bien les résultats, je suis de plus en plus curieuse.

Elle avait fait un signe de tête vers Pearl et Dolores, et Aria sourit à ce geste. Cela ne l'étonnait guère qu'Eleanor ne porte pas ces deux dernières dans son cœur, cependant qu'elle se mette à s'intéresser aux conversations de personnes de sa maison relevait du miracle. En plus de six ans, Eleanor s'était construite une réputation de loup solitaire parmi les Serpentard; elle ne cherchait jamais à s'allier à personne, rejetait toute offre de camaraderie quelle qu'elle soit, et son sens de la répartie était aussi venimeux que les crochets d'un crotale. En un sens, Aria et elle étaient faites pour s'entendre. Mais leurs échanges ne dépassaient jamais les salutations de politesse d'usage; puisque jusqu'à quelques mois de cela, Aria était tout aussi solitaire qu'Eleanor.

- Tu restes ici pour Noël, non ? demanda Eleanor à Evelyn.

Cette dernière hocha simplement la tête.

- Cool, moi aussi ! On pourra reparler de tout ça plus tard, alors ! conclut Eleanor en se levant et en quittant la table.
- Bonnes vacances à toi aussi, Eleanor, murmura Aria en levant les yeux au ciel et en reprenant sa lecture.

Au bout de quelques instants, elle finit par remarquer qu'Evelyn ne semblait pas avoir bougé d'un pouce depuis le départ de leur camarade. Et il s'avéra qu'elle était effectivement comme figée, le teint très pâle, le regard fixé sur la place vide qu'occupait Eleanor quelques instants plus tôt.

- Evelyn ? l'appela Aria à voix basse.
- Mmh ?

Sa camarade secoua vivement la tête et se tourna vers elle.

- Tu m'as parlé ?
- Est-ce que tout va bien ?

Aria porta une main au front d'Evelyn.

- Tu es pâle comme la mort, tu n'es pas tombée malade au moins ?

Evelyn se dégagea avec un petit rire qui sonna étrangement faux.

- Non, je suis pas malade, pas du tout !
- D'accord...

Suspicieuse, Aria fit mine de reprendre sa lecture mais observa sa camarade du coin de l'œil. Voilà qu'elle ne faisait que jouer avec ses œufs brouillés tout en regardant rêveusement dans le vide. C'est là qu'Aria comprit.

- Oh par Merlin ! s'écria-t-elle. Evelyn !

Plusieurs regards se tournèrent vers Aria, dont celui paniqué de sa camarade. La Justice baissa la voix :

- Serais-tu... Amoureuse d'Eleanor ?!
- Ah mais non, mais pas du tout, rougit Evelyn en évitant son regard. Je suis pas amoureuse d'une fille... Surtout pas...

La gêne d'Evelyn semblait avoir fait place à de l'embarras, et Aria décida de ne pas insister.

- Je vais..., annonça Evelyn en se levant d'un coup. Euh... Aller... rendre mon... mon livre à la bibil-bilbil-bibliothèque !

Elle partit en trombe, laissant Aria seule devant son journal. Cette dernière se mordit les lèvres, elle aurait dû garder ses conclusions pour elle. Elle repliait avec empressement son journal, décidée à aller s'excuser auprès de Tewn, lorsque deux personnes vinrent s'asseoir à ses côtés, et posèrent chacune une main sur ses épaules afin de la maintenir assise. Aria laissa tomber ses bonnes manières et soupira fortement.

- Pearl et Dolores, tiens-donc, comme c'est étonnant.
- Douce Aria... commença Pearl.
- ... Comme tu es piquante, ce matin !, continua évidemment Dolores.
- On se demandait juste si tu avais pensé...
- ... À notre discussion de l'autre jour ?

Aria leva les yeux au ciel, si haut qu'elle eut l'impression qu'ils se dénichaient de leurs orbites. Il fallait vraiment qu'elles cessent avec cette manie de finir les phrases l'une de l'autre, c'était insupportable.

- Nous avons supposé que oui, car malgré ce bien malheureux incident lors du club de duels...
- ... Nous avons pu constater que dès lors, ce Serdaigle était beaucoup moins dans tes pattes.
- Mmm, répondit distraitement Aria, occupée à autre chose.
- Et comme tu ne passes pas les vacances au château, nous sommes sûres...
- ... Certaines...
- ... Que toute cette petite histoire sera vite oubliée.
- N'est-ce pas ?
- Ah, oui, totalement, répondit Aria en leur offrant un sourire dénué de toute joie.

Pearl et Dolores ne répondirent pas à son sourire et se levèrent comme un seul homme, puis partirent. Mais elles n'avaient pas même avancé d'un mètre que Dolores trébucha et tomba sur le sol dallé de la Grande Salle, entraînant Pearl à sa suite. Les quelques personnes ayant assisté à cela éclatèrent de rire, Aria y compris; et les deux pestes firent alors plusieurs vaines tentatives pour se relever, mais rien n'y faisait : elles ne cessaient, pour une raison obscure, d'entremêler leurs pieds. Satisfaite, Aria se leva alors, contourna l'étrange monstre à deux têtes se débattant au sol, et s'empressa d'aller chercher Evelyn. Quelle ingénieuse invention que les sortilèges informulés. Ses vacances de Noël commençaient à la perfection.

Le Poudlard Express quittait la gare de Pré-au-lard à onze heures précises, direction King's Cross, et tout le château était en effervescence : les départs en vacances étaient souvent le théâtre d'au-revoirs grandiloquents, ou de règlements de compte de dernière minute. Et cette année, les vacances de Noël avaient une saveur particulière, notamment car un nombre très important d'élèves restait au château, ce qu'Aria n'avait jamais pu observer en sept années d'études.
Cette dernière, après avoir eu une courte discussion avec Evelyn qui semblait avoir déjà oublié la scène du petit-déjeuner, avait terminé d'empaqueter ses affaires, et faisait désormais planer ses valises à ses côtés tandis qu'elle rejoignait le hall. Elle et Will s'y étaient donné rendez-vous afin de prendre une calèche ensemble jusqu'à la gare. La grande pièce était noire de monde, et la Serpentard eut du mal à se frayer un chemin jusqu'aux escaliers menant aux étages supérieurs - elle avait décidé de se poster sur les marches, en hauteur, afin que Will puisse la voir ou qu'elle-même puisse repérer sa cousine.

Partout, des petits groupes se faisaient des dernières accolades, échangeaient des cadeaux ou se promettaient de s'écrire durant les deux semaines à venir. Habituellement, Aria trouvait ces effusions amicales et amoureuses beaucoup trop déplacées : après tout, deux semaines de séparation, ce n'était pas grand-chose. Pour des périodes aussi longues que celles des grandes vacances, elle pouvait comprendre, à la rigueur. Mais cette année, il flottait dans l'air cette incertitude propre à l'ambiance angoissante créée par le mage noir; on ne savait pas si l'on se reverrait sain et sauf en janvier. Tous le pensaient, personne n'osait l'exprimer à voix haute. Et rares étaient les élèves qui rentraient voir leurs familles ce Noël-là : de nombreux parents avaient demandé à leurs enfants de rester à l'abri à Poudlard. Et la maison ayant le plus d'élèves quittant le château pour les vacances était, malheureusement sans grande surprise, Serpentard. Ce matin-là, Aria et ses camarades étaient la cible de nombreux commentaires désobligeants et de regards noirs de la part des élèves des autres maisons. Là encore, et au vu des évènements récents, ce n'était guère surprenant que le reste du château soit remonté envers les Serpentard. S'ils rentraient chez eux sans soucis, c'est qu'ils ne se sentaient pas particulièrement en danger en dehors de l'école. Et s'ils ne se sentaient pas en danger, c'est qu'ils étaient protégés des agissements de Voldemort, d'une manière ou d'une autre...

Aria fut tirée de ses pensées par une tornade rousse qui se jeta sur elle.

- Aria ! On se mettra dans le même wagon tout à l'heure ?!
- Salut Marlene, avec plaisir ! répondit Aria, enjouée.

Juste derrière son amie se tenait Benji, les mains dans les poches d'une tenue moldue, avec lequel elle échangea un regard très doux. Depuis une semaine, il semblait à la Serpentard qu'ils n'avaient même pas besoin de se parler pour se comprendre, et seuls quelques regards ou quelques frôlements aux détours de couloirs suffisaient à consolider leur relation naissante. Toutes les cartes avaient été tirées, l'avenir était aussi clair qu'une boule de cristal; il suffisait juste d'attendre encore un peu, et tout irait à merveille. Aria était même plutôt ravie de cette situation : savoir que, quelque part, quelqu'un l'attendait et la respectait assez pour patienter sans rien demander en retour était assez pour qu'elle se sente soutenue, comprise, en sécurité. Il lui semblait avancer sans encombre sur des nuages molletonneux, rebondis, doux comme de la soie et légers comme des plumes. Et, au bout du chemin, un immense ciel azur ouvrait la voie à d'infinies possibilités.

- Trop bien ! conclut Marlene en frappant des mains. On fera le voyage avec Sigried, si ça te va ?

Elle fit un geste vers une jeune fille aux longs cheveux noirs, dos à eux, portant l'uniforme de Serdaigle. Aria voyait qui elle était : une joueuse de l'équipe de Quidditch de sa maison et une botaniste assez douée. Mais elle n'avait jamais eu l'occasion de lui adresser la parole.

- Pas de soucis, dit Aria en haussant les épaules.

Du moment qu'elle ne devait pas partager son wagon avec tout le petit groupe de Serdaigle avec qui elle avait fait trajet lors de la rentrée, tout lui allait. À cette pensée, son esprit se mit à dériver vers ce soir de novembre où elle avait parcouru un bout de chemin avec Dorcas Meadowes et ses acolytes, en direction du dortoir des Gryffondor, le soir de l'anniversaire de Black. Tout était si différent, à cette période, et ce n'était pourtant que moins de deux mois auparavant. Comment les choses avaient-elles pu changer à ce point... ?

Alors que Will rejoignait le petit groupe dans un joyeux capharnaüm propre à sa personne (Aria dut lancer quelques sorts en urgence afin que les valises de sa cousine ne déversent pas tout leur contenu dans les escaliers ou écrasent des élèves sur leur passage), la bande des Maraudeurs sortait de la Grande Salle et venait à leur rencontre. Aria fut la seule à les remarquer, ses amis étant lancés dans une conversation sur le déroulement des festivités de Noël chez les Justice. L'incroyable popularité des quatre garçons au sein de l'école l'étonnait toujours : rien que sur les quelques mètres qu'ils devaient parcourir entre la porte de la Grande Salle et les escaliers, on s'écartait sur leur passage, on se retournait sur eux, on se murmurait des choses à leur propos. Eux, habitués d'être au centre des conversations, n'y prêtaient même plus attention.

Ils montèrent les escaliers pour s'arrêter au niveau de leurs amis, et Black se précipita sur Will pour ébouriffer ses cheveux. Les trois autres, tout aussi enjoués, se joignèrent à la conversation en cours. Aria, elle, restait silencieuse et observait Black du coin de l'oeil : ils ne s'étaient pas adressés la parole une seule fois depuis le moment d'accalmie qu'ils avaient partagé dans la salle du septième étage. Aria se demanda s'il en avait parlé à ses amis, puis elle se dit que James ou même Remus auraient eu le temps de lui faire des remarques à ce propos depuis, ou même Will. Car elle, de son côté, n'en avait parlé à personne, et n'avait aucune intention de le faire. En un sens, elle avait l'impression que ce qu'il s'était passé n'était pas normal, que c'était comme une sorte de trahison. Trahison envers qui ou quoi, elle ne savait le dire - probablement envers elle-même et même tout le reste du monde, car, après tout, n'étaient-ils pas supposés se détester ? N'étaient-ils pas censés avoir envie de s'entretuer lorsqu'ils se trouvaient dans la même pièce ? Comme les choses avaient changé... Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas tout de suite que Black avait les yeux rivés sur elle aussi, et elle détourna bien vite le regard, les joues roses. Fort heureusement, personne ne semblait y avoir fait attention. Sauf Black, peut-être, mais elle n'osa plus lui lancer un seul regard par la suite.

L'heure de rejoindre le train arriva vite, et tous se firent des au revoirs plus ou moins chaleureux, et les cousines Justice ainsi que Marlene et son amie se dirigèrent vers les calèches. La neige tombait en grandes quantités, et quelques élèves avaient entamé des batailles de boule de neige aux abords du château.

- Will !

Cette dernière, surprise, se retourna pour voir arriver Luca en courant vers elle. Aria et Marlene échangèrent un sourire et montèrent dans la première calèche disponible, Sigried sur leurs talons. Le temps d'installer leurs valises dans les compartiments prévus à cet effet, elles n'eurent pas le loisir d'entendre la conversation des deux tourtereaux, mais lorsqu'elles se penchèrent à la fenêtre pour les espionner (c'était si tentant !), elles glapirent avec surprise : ils étaient en train de s'embrasser !

Luca s'éloigna de Will en souriant, lui chuchota quelque chose, puis repartit vers le château, probablement frigorifié : il ne portait aucun vêtement d'extérieur, et Aria aurait juré voir des pantoufles à ses pieds. Will, dos à la calèche, resta immobile durant un instant, puis se retourna lentement et entra sans un mot dans le véhicule. Elle était rouge tomate.

- Oh, par Merlin, Will, je suis si contente ! s'exclama Marlene aussitôt que la jeune fille les rejoignit.
- Il était temps, commenta Aria.
- Ouais, ajouta Sigried, même moi j'avais hâte que ça arrive...

Aria lui jeta un regard agréablement surpris (cela voulait dire que Luca devait souvent parler de Will !), mais la Serdaigle évita ostensiblement son coup d'oeil. Étrange...

- Alors, alors, demandait Marlene en sautillant sur la banquette, qu'est-ce qu'il t'a dit ?
- Euh... , commença Will d'un air rêveur. Qu'il avait un cadeau pour moi...
- Oh, wow, quel romantique ce Luca !
- Et après il m'a dit joyeux Noël... finit Will en regardant par la fenêtre.

La calèche s'était mise en route et s'éloignait du château. Aria prit sa cousine dans ses bras, qui semblait perdue dans un autre monde.

- Bon, conclut-elle joyeusement, on va avoir de quoi discuter dans la train !

Marlene éclata de rire ainsi que Will, mais Sigried eut un reniflement dédaigneux. Discret, mais pas assez pour que Marlene ne s'en rende pas compte. Elle lui donna un coup de coude, mais Aria fit mine de ne pas avoir remarqué et le reste du trajet se déroula dans la bonne humeur. Mais, arrivées dans le train, Aria prit Marlene à part avant qu'elle n'entre dans le wagon qu'elles s'étaient choisi.

- Ai-je fait quelque chose de mal à ton amie ?
- Oh, non... répondit la rousse d'un air embarrassé.

Puis elle ne dit plus rien.

- Mais enfin, il y a bien quelque chose...
- Ben, c'est-à-dire que...
- Oui ? insista Aria, qui n'avait pas que ça à faire.
- Disons qu'elle a toujours bien aimé Benji, quoi...
- Oh, dit simplement la Serpentard en rougissant.
- Ouais, donc, voilà... dit Marlene d'un air embarrassé.

Aria ne répondit pas tout de suite, perturbée. Elle n'avait jamais réfléchi à la possibilité que d'autres personnes qu'elle puissent s'intéresser au Serdaigle.

- Mais t'inquiètes, c'est pas réciproque, hein !
- D'accord...
- Enfin, ça l'est plus, quoi, précisa Marlene.
- Pardon ?
- Ouais, dit-elle en se dirigeant vers la porte du wagon, visiblement mal à l'aise et pressée de finir cette conversation. Ils étaient ensemble, avant. 

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Merci de répondre toujours présent.e.s, même lorsque je m'absente plusieurs mois, haha ! xx

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