(I) 14. au coin du feu


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UNE DÉLICIEUSE ODEUR de pain grillé et de viennoiseries lui emplit les narines. Les cuisines de Poudlard étaient aussi grandioses qu'elles le laissaient imaginer. Aussi hautes et spacieuses que la Grande Salle, elles en avaient également la même disposition à quelques détails près. Quatre grandes tables, similaires à celles de la Grande Salle, occupaient le centre de l'immense pièce. Elles étaient vides de tout couvert, et Aria supposa que les plats destinés à la Grande Salle étaient probablement posés sur ces tables afin d'apparaître au même endroit en haut.

Là où aurait dû se trouver la table des professeurs se dressait une immense cheminée, où ronronnait un feu chaleureux. Le long des murs s'étalaient des quantités astronomiques de poêles, casseroles, ustensiles en tout genre ; ainsi que plusieurs dizaines de gazinières et de fours. De grands vaisseliers se tenaient çà et là, emplis à craquer de la caractéristique vaisselle dorée dans laquelle Aria mangeait tous les jours ; et quelques grands éviers complétaient l'occupation des murs de pierre.

Il faisait encore nuit noire dehors; les cuisines étaient peu éclairées et la principale source de lumière émanait de la cheminée vers laquelle Aria commença à se diriger. Ses mains étaient glacées à force d'errer dans les cachots du château, et ce grand feu serait le bienvenu pour la réchauffer. Elle n'eut pas le temps d'atteindre le tiers de la salle qu'elle fut arrêtée par une petite voix aiguë affolée qui retentit soudainement derrière elle.

- Bopsy peut-il vous aider, Miss ?

Aria se retourna, interloquée. C'étaient des elfes de maison qui s'occupaient des cuisines de Poulard ?! Elle s'abaissa pour faire face au petit être, qui semblait avoir trottiné avec difficultés à sa suite. Il portait l'uniforme caractéristique des elfes de maison, et une grosse lanterne qu'il tenait à bout de bras éclairait son visage. Il était essoufflé, et se tenait les côtes. Il avait visiblement beaucoup de mal à marcher vite, et cette lanterne semblait énorme par rapport à sa taille menue et ses bras fins. Aria constata que c'était un très vieil elfe, au corps entièrement ridé, et dont les yeux disparaissaient presque sous son front aux multiples plis.

- Veuillez excuser Bopsy pour le manque de service, Miss, Bopsy est un des seuls elfes éveillés la nuit pour servir les élèves, Miss.
- Il y a beaucoup d'élèves qui viennent ici ? s'étonna Aria.
- Non, Miss, c'est pour cela que Bopsy et Gopsy sont les seuls de garde la nuit, Miss.

D'un hochement de tête, il désigna un elfe de maison qui s'affairait un peu plus loin, près d'un grand plan de travail. Aria admira pendant quelques secondes l'agilité et la légèreté de cet elfe qui lui sembla avoir le même âge que Bopsy. Elle se tourna à nouveau vers lui.

- Je suis désolée de vous déranger en pleine nuit, rougit Aria, mais je ne parviens plus à dormir et j'ai une faim de loup...
- Pas de problèmes, Miss ! s'écria Bopsy, qui sembla indigné à l'idée que l'on puisse le déranger. Bopsy est heureux de servir Miss si Miss a faim !

Aria sourit.

- Bopsy arrive tout de suite avec un petit-déjeuner, si Miss veut bien me suivre...

Aria savait que les elfes n'acceptaient pas les compliments ou les remerciements, mais elle lui fit tout de même un signe de tête reconnaissant, et se releva. Malgré son âge visiblement très avancé, Bopsy se déplaçait avec grâce et semblait presque flotter alors qu'il la menait vers la cheminée.

- Miss pourra tenir compagnie à M. Potter, lui glissa Bopsy en baissant d'un ton.

Tenir compagnie à M. Potter ?!

- Pardon ? s'étonna Aria, qui crut avoir mal compris.
- M. Potter est un grand habitué des cuisines, Miss, Bopsy le voit très souvent, Miss. Lui et ses amis viennent rendre visite à Bopsy et Gopsy au moins deux fois par semaine.

Au fur et à mesure qu'ils s'approchaient de la cheminée, Aria distinguait une forme humaine affalée sur le bord d'une des tables, la tête tournée vers le feu. La coupe de cheveux en pétard ne laissait aucun doute : c'était bien la silhouette de James Potter qui se détachait des flammes.

Aria soupira fortement, agacée. Évidemment que toute cette bande d'impossibles imbéciles de Gryffondor connaissaient les cuisines de Poudlard. Ils devaient connaître les moindres recoins du château, à force de s'y balader en pleine nuit comme ils le faisaient depuis des années. Mais pourquoi fallait-il donc qu'elle se retrouve en permanence avec l'un d'entre eux ces derniers temps ?! Comment était-ce possible, sur tous les élèves et professeurs peuplant ce château, qu'elle tombe en permanence sur un des Maraudeurs ?!

Bien qu'elle fut agacée de la présence du capitaine de quidditch de Gryffondor, elle se dit que c'était toujours mieux que son insupportable meilleur ami. À mesure qu'elle s'approchait du jeune homme, ses sourcils se fronçaient. James Potter semblait incroyablement déprimé. Les épaules tombantes, il tenait une tasse fumante entre les mains et regardait les flammes d'un œil morne.

Aria soupira et s'installa face à lui tandis que Bopsy s'éloignait vers les fourneaux de Gopsy. La Serpentard signala sa présence à son camarade par un toussotement, mais elle n'eut droit qu'à un léger regard en biais avant qu'il ne retourne à sa contemplation des flammes.

- Je ne demande pas mieux qu'on ne parle pas, mais s'il te plaît si tu envisages de te jeter dans ces flammes évite de le faire ici et maintenant.

James, surpris par les paroles de la Serpentard, se tourna à nouveau vers elle. Aria aperçut des larmes glissant le long de ses joues, et choisit de ne pas y faire attention.

- Mon bon vieux Potter, commença-t-elle en croisant les bras d'un air détaché, si jamais tu souhaitais commettre un tel acte, je ne t'en empêcherais pas, tu t'en doutes bien. Seulement vois-tu, si tu fais cela ici et maintenant, non seulement je n'aurai plus d'appétit et je devrai me salir pour te repêcher dans les flammes, et potentiellement me blesser ; mais en plus je suis persuadée qu'une certaine personne dont je tairai le nom m'accusera de ta mort et je n'aurai jamais la paix.

Contre toute attente, James Potter éclata de rire ; d'un rire si tonitruant et si aigu qu'il semblait plus désespéré que joyeux. Aria grimaça. Sa bonne humeur de la veille avait visiblement disparu, et elle réalisa qu'elle n'avait jamais vu James Potter se départir de son sourire auparavant. C'était la première fois qu'elle le voyait si triste, et elle se demanda s'il s'attendait à ce qu'elle le console.

Bopsy déposa sur la table un chocolat chaud à l'odeur alléchante ainsi que quelques scones tout juste sortis du four, et Aria se jeta sur les gâteaux avec avidité. Face à elle, James la regardait l'air morose, toute trace de sourire ayant disparu de son visage.

- Bon appétit.

Elle fit un signe de tête, pour éviter de lui répondre la bouche pleine. Il s'était de nouveau tourné vers le feu, en exhalant un soupir à s'en fendre le cœur. Aria ne put s'empêcher de se sentir mal à l'aise. Elle ne savait pas vraiment comment consoler les gens. À chaque fois qu'elle se retrouvait dans une telle situation, c'était Will face à elle et elle n'avait pas besoin de réfléchir à quoi faire ou dire car les cousines se connaissaient depuis la naissance. Ainsi Aria savait toujours quels mots employer, à quel moment la serrer dans ses bras et à quel moment faire une blague pour lui redonner le sourire. Mais face à ce garçon qu'elle ne connaissait pratiquement pas, elle se sentait impuissante. Et elle ne s'imaginait pas prendre James Potter dans ses bras. Elle avait de la compassion, mais pas à ce point non plus.

Surtout pour quelqu'un qui, les deux années où elle avait été préfète, ne s'était pas empêché de l'embêter lorsque l'occasion se présentait et qui lui avait récemment valu un mois de détention par son idée idiote de faire un duel au beau milieu de la nuit dans la Forêt Interdite. Ruminant ses pensées sombres, elle prit une gorgée du chocolat chaud et son goût divin l'émerveilla; ce qui lui fit immédiatement oublier la présence de James Potter face à elle. Elle s'empressa de le boire entièrement, et une fois fini, Aria eut l'impression d'être enveloppée dans un cocon de douceur et de chaleur. Prise d'une légère torpeur, elle s'assit en tailleur sur le banc et s'appuya sur la table, emmitouflée dans son pull.

Elle admirait les flammes dansantes du feu de la cheminée en picorant quelques pâtisseries que les elfes avaient amené à table ; lorsqu'un toussotement lui fit tourner la tête vers son compagnon de fortune.

- C'est marrant, tu portes souvent du bleu alors que t'es à Serpentard.

James regardait son pull en laine d'un œil intrigué, les joues désormais sèches et rougies par la chaleur.

- La couleur des Justice est le bleu roi, répondit-elle simplement.
- C'est bizarre de te voir ici, continua-t-il. T'étais déjà venue dans les cuisines avant ?
- C'est la première fois, avoua Aria. J'aime bien cet endroit, je regrette de ne pas avoir pensé à y venir plus tôt.
- Surtout que c'est pas très loin de ta salle commune, observa James.
- Tu sais où est ma salle commune ? lui demanda-t-elle, intriguée.

Les entrées de chacune des salles communes des maisons étaient cachées et supposées rester un secret. James ne lui répondit pas, et se contenta de lui sourire d'un air entendu.

- Évidemment que tu sais où est ma salle commune, maugréa Aria d'un air boudeur.
- Comment t'as su où se trouvaient les cuisines ?

Il semblait décidé à converser avec elle, et Aria se dit que cela ne pouvait pas être pire que de le voir pleurnicher dans son coin. Mais sa curiosité prit le dessus.

- Et toi, pourquoi tu pleures ? répondit-elle du tac au tac.

James eut l'air peiné durant une fraction de seconde, ce qui fit brièvement paniquer Aria ; mais il se remit vite à sourire.

- Toi d'abord, lui dit-il d'un air espiègle.

Aria leva les yeux au ciel, amusée malgré elle. Elle sortit l'Histoire de Poudlard de son sac et le posa sur la table avec bruit.

- Will m'avait parlé du fait qu'elle n'était pas très loin de la salle commune des Pouffsouffle ; et il y a un petit paragraphe dessus dans ce livre. Il suffisait d'un peu d'exploration et de déduction.

La Serpentard lui fit un petit sourire fier tandis qu'il se mettait à feuilleter le livre. Il trouva la page concernant les cuisines et lut rapidement le paragraphe. Il regarda la page suivante, puis la page précédente.

- T'as trouvé l'entrée juste avec ça comme indications ?!

Il semblait assez impressionné, et Aria se retint de sourire davantage. James, quant à lui, resta silencieux en lisant quelques pages du livre. Au bout d'un moment, Aria brisa le silence.

- Et donc, pourquoi pleures-tu ?

Il leva la tête en rougissant.

- J'espérais que t'avais oublié.
- Je n'oublie jamais rien, lui assura Aria d'un air buté.

James rit doucement en ébouriffant ses cheveux, gêné. Aria trouvait cela très étrange de voir le leader des Gryffondors adulé par tous et toujours extrêmement bruyant, sous ce jour misérable.

- C'est pas grand-chose, dit-il en haussant les épaules et en évitant son regard.
- C'est tout de même assez pour faire pleurer James Potter, remarqua Aria. Je ne t'ai jamais vu pleurer, même juste de douleur pendant un match ou lors d'un duel avec mes camarades de Serpentard.
- Je pleure pas souvent, c'est tout. J'ai l'alcool triste.
- Tu ne m'as pas l'air particulièrement ivre, Potter, en tout cas beaucoup moins qu'hier soir.

Aria se rappela du court instant où elle l'avait vu la veille, et tenta une hypothèse, sans bien oser y croire.

- Est-ce que tu pleures à cause d'Evans ?

Il n'eut pas besoin de répondre car son visage, toujours très expressif, le faisait à sa place. Aria se tritura les ongles en regardant ailleurs. Elle ne s'attendait pas à ça. Elle ne savait pas comment se comporter lorsque quelqu'un avait un chagrin d'amour. Elle ne comptait plus les innombrables fois où elle s'était retrouvée obligée de consoler ses camarades lorsqu'elles revenaient dans leur dortoir le cœur brisé ; et où elle semblait toujours faire pire que mieux. Avec le temps, elle avait fini par simplement écouter et faire de temps à autre une remarque ou poser une question. Mais elle ne connaissait pas bien James Potter, et ne savait vraiment pas quoi faire. Elle se demanda s'il n'était pas plus sage de prétexter une envie de dormir pour s'en aller et ne pas avoir à gérer ce problème. Elle attrapa son livre qu'elle remit dans son sac, et se leva avec aisance.

- Oh, tu t'en vas ? s'étonna le brun à lunettes.
- Oui, j'ai fini de manger, je retourne dans mon dortoir.

Il jeta un œil sur la table, puis vers son sac.

- Tu ne te casses pas le dos, à porter un sac avec un si gros livre dedans ? Et avec beaucoup d'autres livres, je suppose.

Aria se contenta de lui sourire.

- Ah, évidemment, un sortilège d'extension certainement ?
- Oh, tu connais ?
- Oui, ça nous a été pas mal utile parfois, lui répondit-il mystérieusement.

Elle ne sut pas quoi répondre et commença à s'éloigner.

- Eh, attends, Aria ?

Elle stoppa net, et se retourna vers lui, en regrettant aussitôt. Elle se sentait déjà assez mal de le laisser là tout seul alors qu'il n'allait pas bien, il pouvait au moins la laisser s'éclipser tranquillement, non ? Il lui fit signe de revenir vers lui, et elle s'exécuta en traînant des pieds.

- Oui ?
- Dis, tu n'as plus eu de problèmes avec ceux de ta maison, après ?

Aria le regarda, interloquée. De quoi parlait-il ?

- Tu sais, avec le fait que tu pourrais espionner et t...
- Chut ! le somma-t-elle en se rasseyant rapidement face à lui.

Elle regarda autour d'elle, puis lui fit signe de se rapprocher.

- Parle moins fort, l'intima-t-elle en chuchotant.
- Pourquoi, qu'est-ce qu'il y a ? lui répondit-il sur le même ton.
- Nous ne sommes pas seuls ici, Potter, dit-elle en montrant d'un geste de tête les elfes qui commençaient à s'activer aux quatre coins de la salle.
- Ça va, c'est des elfes, dit James en haussant les épaules.
- Justement. Ce sont des elfes.
- Je vois pas le problème...
- Tu viens d'une famille de sang-purs, tu n'as pas d'elfe de maison chez toi ?
- Non, mes parents...
- Donc, le coupa-t-elle, tu ne le sais pas forcément, mais les elfes de maisons sont tous plus ou moins parents, et la plupart sont employés dans les grandes familles de sang-purs. Généralement puristes.

Aria attendit qu'il saisisse son propos, mais elle se trouva forcée de s'expliquer alors qu'il la regardait toujours avec le même air ahuri.

- Ils ont beau être gentils et serviables, ils sont surtout au service de leurs maîtres et les elfes parlent entre eux. Imagine qu'un elfe d'une famille malintentionnée vienne demander à un elfe de sa famille travaillant ici des informations...
- Oh, je vois.

Il sembla réfléchir intensément pendant de longues secondes. Puis il reporta son attention sur Aria.

- Je voulais savoir, murmura-t-il, si tu avais eu d'autres problèmes avec ceux de ta maison par la suite ? J'ai plus pensé à t'en parler après, mais quand Remus m'a dit que tu aurais peut-être des problèmes parce que je venais t'embêter pour te parler de Lily...
- C'est bon ça s'est apaisé, je n'en ai pas plus entendu parler.

Aria lui avait répondu avec empressement, de peur que la seule mention de la cause des malheurs de Potter ne rouvre les vannes. Mais cela ne fonctionna pas, et elle vit les épaules de son interlocuteur s'abaisser à nouveau, et son regard se perdre dans le vide.

Aria leva les yeux au ciel, se résigna à tenter de le consoler. Paradoxalement, voir ce fauteur de troubles de Potter plus bas que terre la dérangeait. Elle supportait difficilement ses bêtises et son amour pour les pitreries, mais il lui semblait que quelque chose de sérieusement grave se produirait à Poudlard si l'école perdait un de ses plus grands farceurs. Merlin savait à quel point les élèves auraient besoin de rire dans les mois qui arrivaient, et les couloirs étaient beaucoup plus joyeux lorsque James Potter et ses amis s'y promenaient. En pensant au travail qui l'attendait et sur lequel elle aurait pu prendre une avance considérable, elle leva les yeux au ciel et soupira lourdement. Mais elle se réinstalla plus confortablement sur le banc, ôta son sac de son épaule et croisa les bras.  

- Bon, allez, raconte-moi ce qui ne va pas.

Il lui jeta un regard incertain et lui sourit timidement, comme pour la remercier de prendre le temps de l'écouter. Aria héla un elfe de maison qui passait non loin d'eux et lui demanda de leur amener deux autres tasses de chocolat chaud. L'aube promettait d'être longue. 

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J'ai l'impression que je dis ça à chaque fois que je poste un nouveau chapitre, mais on a dépassé les 800 vues ! Je suis super contente de voir que cette fanfiction que j'ai commencée sans prétention aucune plaise à tant de gens :) Merci ! 

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