(I) 21. sentiments naissants
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LES BRISES D'AUTOMNE avaient fait place aux bourrasques glacées d'hiver. Dans cette contrée reculée d'Écosse où était établi le château de Poudlard, les hivers pouvaient se montrer très rudes. Bien que le solstice n'était pas encore passé, la froide saison des fêtes semblait déjà confortablement installée, toute prête à étendre ses épaisses couvertures immaculées sur les vallées écossaises.
En ce premier samedi du mois de décembre, les esprits étaient pourtant légers : une sortie à Pré-au-lard était prévue. La plupart des élèves comptaient en profiter pour faire leurs emplettes de Noël, malgré le vent glacial et les averses fréquentes. Lors du déjeuner ce jour-là, Will et Aria s'étaient éclipsées et s'étaient installées dans une salle de classe vide avec des sandwiches : l'heure était à la préparation. La semaine d'avant, lors du groupe de soutien, tous avaient émis le désir de se rendre à Pré-au-lard, et il avait ainsi été décidé que tout le petit groupe irait ensemble. Will avait besoin d'Aria pour se préparer mentalement à l'idée de passer cette après-midi en compagnie de son Luca ; et Aria, dont le penchant secret pour Benji grandissait de jour en jour, voulait trouver le moyen de le dire à sa cousine afin de bénéficier de ses conseils.
- Je suis super jalouse, j'aimerais trop savoir où c'est les cuisines moi, râlait Will la bouche pleine.
- Je te le dirai si tu es sage, rit Aria.
Elles en étaient à la moitié du repas et n'avaient évoqué que les problèmes de Will pour le moment. Bien qu'Aria était très heureuse de venir en aide à sa cousine, elle sentait l'appréhension monter en voyant l'heure tourner ; mais elle n'avait pas encore osé avouer à Will ce qu'elle ressentait pour Benji. Elle avait réalisé son attirance pour le Serdaigle au fil des jours depuis qu'elle l'avait rencontré, mais il était encore compliqué pour elle de se l'avouer. Cependant, elle avait bien fini par admettre qu'elle prêtait un peu trop d'attention au garçon. Lorsqu'elle entrait dans une pièce, son regard cherchait automatiquement Benji ; il lui arrivait de penser à lui sans s'en rendre compte ; et surtout, elle sentait son ventre danser le tango lorsqu'il lui parlait ou était près d'elle. Si elle en croyait tout ce que ses camarades de dortoir en disaient depuis des années, cela ressemblait fortement à un penchant amoureux. Aria n'avait jamais rien ressenti de tel pour qui que ce soit : les seules émotions potentiellement passionnées qu'elle avait eu l'occasion de vivre étaient avec Sirius Black, mais elles étaient toujours négatives. En sa présence, elle ne faisait que trembler de fureur.
Ainsi, il allait sans dire qu'Aria vivait une chose tout à fait exceptionnelle et ne savait pas du tout comment gérer cela. Tous les livres qui mentionnaient le sujet n'étaient que des romans à l'eau de rose où tout semblait se dérouler dans le meilleur des mondes, mais aucune indication sur la marche à suivre ! Elle avait été tout à fait capable de conseiller Will car elle la connaissait bien et qu'elle voyait que Luca était intéressé par elle, ainsi les choses semblaient relativement simples et pouvaient se dérouler sans accroc. Mais c'était différent avec Benji : elle n'avait aucune idée de si elle lui plaisait.
Cette sortie était la première et certainement une des seules occasions qu'elle aurait afin de passer du temps avec lui en dehors de toute contrainte scolaire. Elle voyait toujours Benji durant les cours ou lorsqu'ils se croisaient dans les couloirs ; et si c'était à l'occasion du groupe de soutien, ils n'avaient pas le temps de papoter. Passer toute une après-midi en sa compagnie, c'était une grande première. Et Aria n'en dormait plus depuis trois jours.
- Ça va, Ari ? s'inquiéta Will en voyant qu'elle avait à peine entamé son sandwich.
- Oui, oui, pourquoi ça n'irait pas ? rit-elle nerveusement.
- T'es bizarre depuis quelques jours. Tu manges pas, t'as des cernes énormes...
- Ah oui ? paniqua Aria, qui n'était décidément pas prête à l'idée de tout révéler à sa cousine. Ah peut-être suis-je malade, il fait un peu froid ces temps-ci, n'est-ce pas ?
Will la regarda avec suspicion, mais ne dit rien et reprit un autre sandwich. Aria reposa le sien à peine entamé et soupira lourdement. Il était temps de dévoiler son secret, mais elle manquait cruellement de courage. Peut-être valait-il mieux laisser les choses se dérouler seules, et attendre de voir ce qu'il se passait ? Oui, peut-être était-ce une idée plus sage...
- Et sinon, avec Benji, t'as prévu quoi ? demanda Will tout à coup.
Aria, qui buvait du jus de citrouille, avala de travers et se mit à tousser, provoquant la panique puis l'hilarité chez sa cousine. Will lui tapota dans le dos et continua, hoquetant de rire :
- Ma pauvre, je m'attendais bien à une réaction de ce genre mais j'imaginais pas que ça serait si violent ! Regarde-toi, t'es toute rouge !
- C'est parce que je viens de cracher mes poumons en toussant, Will, répondit Aria d'une voix étranglée.
Elle reprit son souffle, et but de l'eau pour faire passer sa quinte de toux.
- Tu croyais vraiment que j'avais pas remarqué ?
- Remarqué quoi ?
Aria avait opté, dans un élan de panique, pour jouer les innocentes.
- Que t'en pinces pour le Fenwick ! annonça Will en souriant de toutes ses dents.
- Beurk, Will, t'as des morceaux de salade entre les dents...
- Arrêche te chancher te chujet.
- Arrête de parler avec tes mains dans la bouche, Will, soupira Aria en levant les yeux au ciel.
Will inspecta sa dentition dans le reflet de son verre et reprit :
- Je disais, arrête de changer de sujet. Depuis le début, tu craques sur Benji, ça se voit à des kilomètres à la ronde !
- Ah oui ? s'affola Aria, qui s'imagina tout à coup que toute l'école était au courant de son secret. Mais alors, ça veut dire que lui aussi le sait ? Ou pire, Marlene ?!
Une vague de panique la submergea lorsqu'elle s'imagina Marlene, avec sa langue bien pendue, répandre l'information tout autour d'elle. Même si l'école entière n'était pas encore au courant, si Marlene le savait elle pouvait être sûre que le mot serait vite passé...
- Relax Ari ! Je pense que personne d'autre l'a remarqué, c'est juste que je te connais mieux, la rassura Will.
- Mouais...
- Je pense que tu en aurais entendu parler si d'autres personnes étaient au courant. C'est exactement le genre de rumeurs qui met le feu aux dragons.
- Tu as raison... Mais alors, qu'en penses-tu ?
- De quoi ?
- Eh bien, de Benji !
- Ah, bah... Euh... Il est sympa, oui...
- Mais non, tu sais..., rechignait Aria à expliquer. Lui, moi, couple potentiel...
Ses joues s'étaient colorées en prononçant ces mots.
- Je pense que tu n'as qu'à rester toi-même et tout ira pour le mieux..., lui répondit sa cousine en esquissant un sourire narquois.
- Eh ! Je te signale que ce sont d'excellents conseils que je t'ai donnés ! râla Aria. De toute manière il est déjà complètement amoureux de toi, il suffit juste que l'un de vous fasse le premier pas et c'est dans la poche...
- Mouais.
Aria leva les yeux au ciel.
- De toute manière, j'ai l'impression de passer ma vie à te le répéter.
- Alors applique tes propres conseils à toi-même, Ari.
- Mais je ne sais pas du tout si Benji est intéressé...
- On verra ça tout à l'heure, annonça Will avec un sourire en coin.
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- Attention au frisbee !
Quelques cris et rires s'élevèrent parmi le joyeux groupe, tandis que James et Marlene s'amusaient à se lancer la nouvelle acquisition du Gryffondor : un frisbee à dents de serpent, dernière nouveauté de chez Zonko.
Ils se baladaient dans le village depuis une bonne heure désormais. Aria tentait de rester la plus naturelle possible mais sentait toujours son rythme cardiaque s'affoler dès que Benji lui adressait la parole. Fort heureusement, le vent frais lui rosissait naturellement les joues et elle n'avait ainsi aucune peur de se trahir.
Mais sa quiétude, déjà assez ébranlée par tous ses questionnements de ces dernières semaines dont le point culminant était cette après-midi ; était d'autant plus mise à l'épreuve ce jour-là. James et Remus avaient réussi à convaincre leurs amis de se joindre au petit groupe. Aria, en plus de devoir faire bonne figure face à Benji, devait se coltiner les remarques désagréables de Sirius Black.
Ce contrat qu'elle lui avait fait signer n'avait en réalité aucune propriété magique : s'il brisait sa promesse, ses amis ne l'oublieraient pas. Mais Aria comptait sur sa peur de l'abandon et de la solitude pour qu'il garde parole. Elle savait que cette menace de perdre ses amis les plus chers suffisaient largement à l'empêcher de faire n'importe quoi. Ainsi, elle n'ignorait pas qu'il pouvait recommencer à lui gâcher la vie comme il avait pu le faire auparavant, mais elle était certaine qu'il ne prendrait jamais un tel risque. L'amitié de ses proches comptait beaucoup trop pour lui.
Cependant, il ne pouvait s'empêcher de faire en sorte qu'elle passe une mauvaise journée et redoublait d'ingéniosité pour l'embêter, sans que cela ne lui nuise réellement. Quelques paroles bien senties suffisaient à la mettre tantôt dans l'embarras, tantôt en colère. Mais Aria, habituée aux piques de Black, parvenait toujours à lui répondre intelligemment, sans prendre la mouche ; et à provoquer l'hilarité générale. Et Sirius Black, mécontent d'être la cible des rires plutôt que d'en être la cause, en était réduit à ruminer dans son coin.
Le petit groupe finit par se disperser au fur et à mesure de leur visite au village. Will et Luca, emportés dans une discussion vraisemblablement passionnante sur la légende de l'Atlantide, avançaient bon train dans le village et personne ne voulait les empêcher de se rapprocher, on les laissait donc faire. Evans et Marlene s'étaient aussi éloignées, à la recherche de cadeaux de Noël pour leur famille. Les Maraudeurs, quant à eux, étaient sans cesse arrêtés dans leur trajet par d'autres élèves. La rançon de la gloire, pensa Aria.
Ce qui laissait Aria et Benji seuls au milieu de la rue pavée. La jeune fille n'osait pas s'approcher trop de lui et restait à une distance de sécurité raisonnable ; mais le Serdaigle parvenait toujours à se rapprocher un peu plus d'Aria, ce qui la mettait dans un état de nervosité extrême. Les deux étaient en plein débat sur la nécessité ou non de la divination, et Aria ne pouvait s'empêcher de penser qu'il semblait réellement parfait pour elle ; lorsque sa petite bulle fut soudainement éclatée par Black et Lupin, qui les rejoignirent.
- Vous avez pas fini de parler des cours ? râla Black en passant son bras autour de l'épaule de Benji.
Ce faisant, il s'était immiscé entre lui et Aria.
- Nous étions en train d'avoir une discussion très intéressante sur..., commença Aria, outrée.
- M'en fous, la coupa Black sans ménagement. Dis, Ben, faudra trop que tu viennes tester les nouvelles Bombabouses qu'ils viennent de sortir chez Zonko !
- Garanties extra non-récurables ! ajouta Lupin, sans se rendre compte qu'il dérangeait ses amis.
Aria était en revanche sûre que Black savait exactement ce qu'il faisait. Alors que Benji et Lupin se lançaient dans des échanges passionnés sur les particularités de ces nouvelles Bombabouses, il jeta un regard triomphant à Aria. Elle fit mine de ne pas l'avoir remarqué, et marcha aux côtés des garçons en silence.
Leurs pas les menèrent chez Honeydukes, où ils aperçurent le reste de leur petit groupe. Alors que Lupin et Benji entraient à leur tour dans la confiserie, Aria retint Black par le bras et l'entraîna dans un coin isolé non loin de là.
- Argh, me touche pas ! protesta-t-il en s'éloignant vivement d'elle.
Elle le toisa en croisant les bras. Il leva les yeux au ciel et soupira.
- Qu'est-ce que t'as encore, Justice ?
- Dois-je te rappeler les termes du contrat ? Ou tu confirmes mes soupçons en m'avouant enfin que tu as effectivement la cervelle d'un moineau ?
- Je vois pas en quoi je respecte pas ton stupide contrat, lui répondit-il narquoisement.
- Tu es supposé me laisser tranquille.
- Et c'est ce que je fais, non ? C'est pas à toi que je parle, c'est à mes amis.
Butés, tous deux se regardèrent en silence, et comme à l'accoutumée, la tension monta d'un cran. Aria savait que si elle parlait de Benji en particulier, ce serait presque comme lui avouer qu'elle avait un penchant pour lui. Et hors de question de lui donner plus d'armes qu'il n'en avait déjà. Mais, à son désarroi, il se mit à sourire froidement.
- C'est à propos de Benji, hein ?
Elle ne répondit pas, mais il sut qu'il avait visé juste. Ses yeux gris se firent glacials ; et comme lors de ce soir-là dans la cour, Aria sentit une boule se former dans sa gorge et l'air autour d'eux se refroidir.
- J'le savais.
Aria sentait que ce n'était même pas de la colère qui émanait de son ennemi, mais comme... De la déception. Et elle avait aussi l'impression de se décevoir elle-même. Il n'y avait pas à dire, Black était très doué pour la faire culpabiliser.
- Je n'ai aucun compte à te rendre, Black, articula-t-elle enfin avec difficulté.
- Si, parce que Benji c'est mon pote, Justice. Et si tu veux mon pote, il faut mon approbation.
- Je n'ai jamais ne serait-ce qu'évoqué le nom de Benji...
- Pas besoin de le dire, suffit de voir comment tu réagis quand on parle de lui, constata-t-il amèrement.
Pourquoi ses paroles lui causaient-elles tant de désarroi ? Son avis n'avait jamais compté pour elle, et ce n'était pas comme s'il avait un droit de regard sur sa vie. Ils se détestaient !
- Quand bien même, dans tous les cas si c'est réellement ton ami il devrait avoir le droit de fréquenter qui il veut comme bon lui semble, Black. Si tu l'empêches d'être sa propre personne, tu ne fais pas un très bon ami.
- Arrête de parler pour lui, s'écria le Gryffondor.
- Je ne..., commença Aria avec fureur.
Mais elle fut soudainement interrompue par des cris de terreur perçants, provenant d'une ruelle non loin d'eux. Ils cessèrent toute dispute et se regardèrent, paniqués.
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Merci pour tout ♡
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