VII - De la campagne à la capitale (1)

2 juin 1880,

Perchés sur les balcons, les oiseaux gazouillaient. Leur chant mélodieux s'envolait dans l'air parisien, charmant l'oreille de ses habitants.

Marie observait.

En prêtant attention aux alentours, on devinait des nids dissimulés entre les cheminées. On pouvait même - avec un peu de chance - apercevoir des petits, appelant à grands renforts de cris ceux qui avaient pour tâche de les nourrir.

La brune s'imagina en mère apportant la béquée. Elle réfuta cette pensée d'un clignement des yeux et préféra réfléchir à ses préoccupations. Albert l'avait mis en charge de dénicher un lieu d'habitation et, par malheur, elle ne savait quoi choisir. Marie avait également un autre problème de taille : sa belle-mère et belle-sœur. Annabelle et Isabelle de Deaumoir souhaitait garder un certain contrôle sur le brun, ce qu'elle refusait.

Mais il y en avait une - préoccupation - qui surpassait les deux autres avec largesse. Le baiser.

Surprendre Anne-Charlotte et Paul du Lerés avait été pour elle, une déconvenue totale. Une remise en question avait également suivie. La comtesse lui avait autorisé d'éduquer quelque peu sa cadette dès son entrée au couvent. Débordée par sa plus jeune, elle en avait oublié la rousse et ses autres enfants. En outre, l'exemple parfait de son oubli n'était autre que Jacques, décédé onze ans plus tôt.

La brune connaissait les sentiments de sa cadette envers le jeune homme. Jamais avoués de vive voix mais si reconnaissable à son regard lorsqu'il était présent non loin.

Avait-elle fauté sur les preuves d'amours physiques ? L'éloquence était pourtant la seule forme de séduction que l'Eglise ne prescrivait pas. Les sœurs, elle-même et toutes personnes en charge de l'éducation d'Anne-Charlotte avaient-elles oublié ce chapitre si important ?

La brune en avait bien peur.

Cependant, une nouvelle question se posait. Loin de la vertu car elle savait sa sœur spontanée mais pas au point d'en devenir inconsciente.

Réellement, plusieurs interrogations lui venaient à l'esprit.

Devait-elle avertir l'intéressée de sa découverte ? Ou bien se taire et la laisser démêler le Bien du Mal ? Au risque de la retrouver perdue... Une conversation avec son époux se révélerait également intéressante ; mais pouvait-elle compter sur sa discrétion ?

Un homme entra dans l'appartement du Grand Hôtel*[1]. Albert traversa la chambre et la rejoignit sur le balcon, il s'adossa contre le mur. Un court instant de silence.

— Comptez-vous rester dans vos pensées, madame ?

— J'en ai bien peur, mon cher. Je n'arrive pas à m'en défaire... et je ne peux vous les conter.

— Et si vous m'accompagniez au jardin du Luxembourg*[2] ? proposa-t-il.

La voyant hésitante, il argumenta, patient :

— J'ai épousé une femme rêveuse, je l'admets. Cependant, parfois, je la préfère volontaire. Venez-vous ?

Marie réfléchit un instant avant d'acquiescer. Elle saisit la main qu'il lui tendait et se laissa conduire.

***

(PDV : Anne-Charlotte)

21 juin 1880,

Quinze heures approchait, le soleil se faisait moins cruel. Ses rayons illuminaient tout autant le petit atelier mais sans le brûler. La rousse ne peignait qu'au retour de la brise ou à la naissance de l'aube. Cela était devenue une habitude.

Cette singularité lui plaisait. Libre d'exercer son art le moment voulu ; sans que quiconque ne retrouve à redire.

La toile posée sur son chevalet, assise sur son tabouret d'acajou, la jeune femme avait une vue imprenable sur le jardin du manoir, des premières lueurs aux dernières.

Seulement, cette fois-ci, Anne-Charlotte ne tenait aucun pinceau entre ses doigts. Adossée au mur, une grimace dessinée au coin des lèvres, elle lisait et relisait une lettre. Cette dernière lui était parvenue le matin même ; cependant la rousse ne l'avait décachetée que quelques minutes plus tôt.

Les boucles rondes décrivaient un Paris blanc. Ni gris, ni noir.

La naïveté de son aînée l'horripilait. Certes, les deux sœurs ne connaissaient rien à la pauvreté ; mais ne pas avoir conscience des misères des autres étaient tout bonnement terrifiant !

Heureusement - ou pas - onze lignes avaient attiré son attention plus que les autres. Les dernières.

Marie de Deaumoir,

Cette lettre pourrait se finir de cette manière. Une facilité autant pour vous que pour moi. Cependant, j'ai décidé que, cette fois-ci, je ne me tairai pas devant votre faute. J'avoue que j'ignorais comment me comporter avec vous, Anne-Charlotte. Et si vous devinez mes pensées, lisez tout de même. Votre baiser avec Paul du Lerés ne doit jamais se reproduire, une erreur impardonnable. Ce que vous avez commis n'est un droit qu'en tant qu'épouse ! Et dois-je vous rappeler que vous étiez encore en deuil ? Si ce n'est déjà fait, cessez toute relation avec lui et cessez de vous bercer d'illusion.

C'est avec ces mots que je vous quitte, ma sœur.

Elle savait. Ce qui aurait dû la rentre honteuse ne la rendit que plus indifférente. Certes, Marie pourrait la dénoncer au comte mais ce serait se trahir : un mois s'était écoulé depuis leur première embrassade. Ceci explique cela, Denis de Quernault ne pardonnerait ni le comportement de sa cadette ni le silence de son aînée.

Toutes deux gagneraient à se taire.

Par ailleurs, ces quelques phrases expliquaient le comportement étrange de Marie lors de son séjour dans les landes. Le baptême du nouveau né de la Motte Fénélon, Gustave, dont la brune était la marraine avait été riche en sous-entendus et indécisions.

Repoussant ses pensées, elle préféra réveiller des souvenirs enfouis. Sa rencontre avec Paul datait d'un an et son charme avait ravi son cœur. Une relation avait finit par naître lorsque ses lèvres s'étaient posées sur les siennes.

Ce que s'appliquait à condamner la récente comtesse - Marie - n'était qu'éphémère. Aucunes des deux parties ne souhaitaient épouser l'autre. Éphémère vaut mieux qu'immuable, lui avait confié Paul lors d'un rendez-vous.

Durant son deuil, la rousse avait comprit que ce qui ne pouvait être détruit lui faisait bien plus peur que ce qui pouvait l'être. Ceci expliquant cela, le fait que son amant ne souhaitait aucun mariage la rassurait autant que ses sentiments s'en inquiétaient.

Brusquement, Anne-Charlotte se leva, laissa la lettre glisser au sol, et se dirigea vers un tableau. Le tableau en question représentait une forêt de pin au crépuscule. C'est avec cette oeuvre qu'elle avait conversé avec son amant pour la première fois.

Peintre à ses heures perdues, il possédait un esprit critique fascinant. Sans doute ce qui l'avait charmé un an plus tôt. Un sourire de sa part valait de la sienne, un rougissement.

Aujourd'hui, tout était différent, elle avait changé. La rousse n'était plus une aristocrate rêvant de l'immuable ; non, elle ne vivait que pour l'éphémère. Un éphémère qui prendrait bientôt fin par un acte religieux, alors autant profiter de ses derniers instants de libertés...

***

[1] Grand Hôtel. Hôtel de luxe construit en 1962 par l'architecte Alfred Armand en prévision de l'Exposition universelle de 1967. Situé à deux pas de l'opéra Garnier dans le 9ème arrondissement de Paris, il est le refuge de l'aristocratie française et des artistes au cours du XIXème siècle.

[2] Jardin du Luxembourg. Jardin ouvert au public crée à la demande de Marie de Médicis en 1612. Il s'étend sur 23 hectares et fait le bonheur des parisiens - principalement riches - pour des balades bucoliques avec leurs enfants.

une_pensee, votre dévouée auteure.

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