II - Pater
19 novembre 1879,
Le soleil éclairait de ses premiers rayons le domaine de Quernault, l'éveillant doucement, Marie marchait à la suite de sa mère, de ses frères et de ses sœurs. Le sinueux chemin de gravier, menant à la chapelle attenante au manoir, lui paraissait bien long. Coiffée d'une natte sur le côté et vêtue d'une simple robe de mousseline blanche, la jeune femme n'avait rien à envier aux tenues extravagantes observées la veille. Cela n'avait été que femmes maquillées à ne plus voir les yeux et toilettes à les croire vendeuses de plaisirs. Dire que cela n'avait été qu'une réunion entre monarchistes - et non un bal.
La comtesse débitait une liste d'anecdotes plus improbables les unes que les autres, Marie s'en amusait, elle aimait écouter les aventures de ces aristocrates qui se croyaient permis de tels comportements. Dans quelques années, elle ne serait guère mieux. La société telle qu'elle était construite changeait le caractère et les gestes des hommes et des femmes selon leurs classes sociales. Cependant, la belle brune espérait garder une part d'elle même dans ce terrible combat pour ses valeurs et ses opinions.
— Octavie du Coqueret n'est plus au chevet de sa bru, lui souffla Anne-Charlotte.
— Et comment le savez-vous ? Encore votre mystérieuse source d'informations ?
— En effet ! Mais là n'est pas le plus intéressant. Elle prétend avoir surpris notre cousine très proche d'un homme, trop proche... Malheureusement, son identité est préservée.
— Si cela est vrai, mieux valait qu'elle ne le reconnaisse point, conclut la brune de dix-neuf ans.
Elle aimerait connaître cet amant. Ce serait mentir que de prétendre le contraire. Mais mettre en péril une réputation savamment préservée pour quelques commérages : le prix n'en valait la peine.
— Et pourquoi donc ? demanda la rousse.
— Seriez-vous sotte ? s'agaça sa sœur.
Certains se taisaient lorsqu'il n'y avait rien à rétorquer, d'autres s'entêtaient. Anne-Charlotte était de la première catégorie.
Mariées, elles le seraient dans quelques mois ; fiancées, elles l'étaient depuis deux ou trois ans déjà. Les frères de Deaumoir les épouseraient le onze septembre pour la cadette, le quatre janvier pour l'aînée. Un adultère n'aurait jamais dû être le centre d'une conversation. En discuter, cela signifiait que l'on le voyait comme une éventualité - qui n'en était, d'ailleurs, pas une.
Furieuse de l'insulte, Anne-Charlotte s'éloigna. Un dernier regard fut adressé à son aînée qui comprit, trop tard, que cette conversation n'était qu'une tentative, échouée, de réconciliation. La rousse possédait un orgueil important, qu'elle avait hérité, tout comme Maximilien et Adélaïde, du comte, qui lui empêchait certaines actions. Se retenant de maugréer une excuse irrecevable, Marie lissa un pli de sa robe.
Lorsque la chapelle se dressa devant eux, Marie oublia ses inquiétudes fraternelles ; une splendide bâtisse gothique en pierre blanche et aux vitraux colorés représentant avec fidélité l'Évangile dont elle était une fervente défenseure, des sculptures d'argiles faisaient office de gargouilles. Prier dans ce lieu était toujours un plaisir. Plaisir partagé par Maximilien et Jacques - par le passé. La comtesse s'y rendait si peu, sans doute à cause de son éducation autrichienne.
Après avoir effectué un signe de croix, la jeune brune s'installa sur l'un des bancs. L'office débuta. Louis récita avec ferveur des chants ancestraux, accompagnant ainsi ses cadets ; Anne-Charlotte les suivit de mauvaise grâce, imitant avec patience sa famille ; la comtesse, quant à elle, se décida pour une mélodie puissante entrecoupée de quelques fautes tandis qu'Adélaïde choisit de rester muette, insolente sous le Christ crucifié.
Une heure plus tard, les quatre enfants et leur mère quittèrent la chapelle. Le prêtre laissa Marie seule, la brune s'agenouilla devant l'autel et débuta un Pater.
Elle avait tant de demandes, laquelle était la plus importante ? Son choix fut rapidement conclut et ses lèvres formèrent un léger sourire.
Mon Père, je n'ai qu'un seul désir. Aussi futile puisse-t-il paraître, il m'est cher et le restera jusqu'à mon dernier souffle. Accorderiez-vous à une jeune catholique de vivre aux côtés de l'homme qu'elle aime, son futur époux, et de lui épargner les malheurs ? Mon Père, accordez-moi ce bonheur. Amen.
Sa prière finit, Marie rouvrit ses grands yeux bleus. Ses lèvres étirées et ses joues colorées trahissaient une certaine émotion. Elle ne put s'empêcher d'imaginer les traits de son cher Albert, le futur comte de Deaumoir. Élancé, les épaules quelque peu trop larges, les traits durs, le nez droit, les yeux sombres et les cheveux couleur charbon.
Marie émit un soupir amoureux en quittant la chapelle. Son fiancé était un homme merveilleux qui lui faisait vite perdre l'esprit. Devenir Madame de Deaumoir serait devenir une femme accomplie.
Ailleurs, elle ne remarqua pas le Père Richard qui l'observait au loin, le sourire bienveillant.
***
Petit point historique : Après la Révolution, certains ducs, comtes ou encore barons ont perdu leurs titres. Cependant, le Premier Empire et la Restauration ont, soit restitué des titres, soit donné des titres.
Le Second Empire conservera les anoblis de l'Ancien Régime et ceux d'après l'Ancien Régime mais sans en donner à d'autres. En gros, ils n'ont rien touché sur ce point.
Et enfin, les Républiques (sachant que cette histoire se déroule sous la IIIème République) laisseront ces hommes et ces femmes (qui le deviennent par mariage) avec leur titres sur leur acte de naissance - ou de mariage - et les laisseront porter ces titres en publics s'ils le souhaitent. Ces titres en question sont transmis de père en fils aîné sans exception sauf si le père décide de cesser cette tradition (qui cessera d'exister pour cette famille). Cependant, le gouvernement ne reconnaît pas ces titres comme un avantage car ils n'apportent rien de plus qu'à un homme commun.
***
Deuxième chapitre posté avec du retard (beaucoup de retard...)
Comme vous l'avez sans doute remarqué, Marie, Louis et Maximilien (non cité pour cette partie-ci) sont très croyants. C'est un trait de caractère qui me tient à cœur historiquement parlant car le XIXème est peuplé de chrétiens pratiquants - enfin, on baisse quand même en popularité (surtout parmi les plus pauvres)...
PS : N'hésitez pas à voter et commenter.
Média : Marie de Quernault.
une_pensee, votre dévouée auteure.
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