Chapitre quarante-deux
NOREEN
Après ce repas qui s'est bien terminé, nous sommes remontés à l'étage. Kiron ne parlait pas beaucoup. En même temps, seule moi pouvais le voir.
- Bien joué, Noreen. A-t-il dit.
Je me suis assise sur la chaise de son bureau, elle se trouvait en tailleur sur son lit. Quant à Kiron, il observait avec admiration la pièce. Je n'avais pas vu Azalée sourire comme cela depuis bien longtemps et je ne voulais pas que cela s'arrête.
Elle s'est levée et m'a prise dans ses bras.
- Tu as été géniale, Léna, merci.
J'étais tellement heureuse d'être là. Kiron avait raison : ma venue allait lui remonter le moral. La reine pourrait être un peu plus indulgente avec les rêveurs qui veulent aller dans le monde des humains. Puis Azalée m'a lâchée.
- Tu peux m'expliquer pourquoi tu es invisible et pourquoi tu parles seule ? J'ai tellement de questions. Tout se mélange dans ma tête.
J'avais interdiction de lui parler du monde des rêves. Je ne savais pas quoi dire. Je ne voulais pas qu'elle pense qu'elle était schizophrène ou que je l'étais. Je venais déjà de transgresser de nombreuses règles alors je n'allais pas continuer. Si je lui parlais du monde des humains, j'allais la perdre.
J'ai regardé Kiron. Il était aussi perdu que moi.
- Ecoute, je suis ici pour toi. Alors toi seule peut me voir. Mon ami Kiron est là pour moi, donc moi seule peut le voir. Tu n'as qu'à dire que c'est de la magie.
- Je suis plus une gamine, tu sais.
- Dis lui qu'elle est schizophrène et elle va finir par se taire. A lancé Kiron en riant.
- Je sais, mais c'est la seule explication que je peux te donner pour l'instant.
Je ne savais pas quoi dire.
- Tu comptes me le dire un jour ou je dois penser que je suis schizophrène ? A-t-elle dit, déçue.
- Je te l'avais dit, Noreen ! S'est écrié Kiron, fier de lui.
- Je te le dirais un jour.
On dit que le mensonge est mal, mais parfois nous n'avons pas d'autres choix. C'est avec cette note qu'Azalée est partie dormir. J'espérais au moins qu'elle pense que j'existe.
***
Je n'avais besoin que d'une heure pour me reposer. Alors une heure plus tard, je me retrouvais assise par terre à ne rien faire, en pleine nuit tandis qu'Azalée dormait à poings fermés.
- J'ai fait le tour de la baraque : c'est plutôt sympa, a dit Kiron en entrant dans la pièce.
- Je l'ai à peine visitée. J'étais trop concentrée sur Azalée et sa famille. C'est plus compliqué que je ne le pensais.
- Bah suis-moi. A-t-il dit naturellement en me tendant la main.
Je l'ai prise.
Nous avons visité la maison, comme si on était chez nous alors que c'était un lieu étranger au notre. J'aimais bien. Nous sommes allés dans le salon. Il a regardé la télévision.
- C'est quoi ça ? M'a-t-il demandé.
- C'est pour regarder d'autres humains faire les cons la plupart du temps.
- T'en sais pleins de choses sur les humains.
- Je trouve ça plutôt intéressant, ai-je chuchoté.
Il touchait tout. Il avait l'air passionné par ce qu'il se passait devant ses yeux. On aurait dit un enfant qui découvrait son monde. Ici, c'était un autre. Quant à moi, j'essayais d'être le plus discrète possible. Alors chaque mouvement que je faisais était fait avec la plus grande discrétion et chaque parole était la plus basse possible.
- T'es sûre que ça va ?
- Bah oui.
- Tu as l'air toute stressée.
- On ne doit juste pas m'entendre. Toi, personne ne peut t'entendre à part moi mais Azalée entend tout ce que je fais.
Il s'est rapproché de moi. Nos visages étaient l'un en face de l'autre.
- Sauf qu'Azalée dort à poings fermés.
Il s'est rapproché encore plus et m'a embrassée tendrement. Je n'aurais jamais cru que Kiron était aussi doux. Comme quoi les apparences sont trompeuses.
***
Azalée devait aller à l'école.
Nous sommes partis au lycée, je voulais voir comment cela se passait et cela ne dérangeait pas Azalée. Kiron a voulu visiter le monde des humains et m'a promis de rentrer avant la tombée de la nuit. Je le laissais profiter de son séjour après tout.
Elle est rentrée dans le lycée et son petit sourire a aussi tôt disparu. Comme s'il y avait une barrière de l'humeur dans le lycée d'Azalée qui rendait toute personne y entrant triste. Elle avait son téléphone dans ses mains mais n'écrivait pas. Elle n'avait eu aucun message de la part de Samuel, ce qui m'étonnait.
- Il s'est passé quelque chose avec Samuel ?
Elle m'a dévisagée. Ma question l'avait sûrement vexée sauf qu'elle m'a quand même répondu.
- On ne se parle plus.
J'allais demander pourquoi mais elle m'a devancée.
- Je ne sais pas pourquoi.
Les gens la regardaient étrangement. Jusqu'à ce que je comprenne qu'on aurait dit qu'elle parlait seule. Elle a sorti son téléphone de sa poche et s'est mise à pianoter dessus.
« J'écris, comme ça ils ne me prendront pas pour une folle. »
Elle m'a regardée et j'ai hoché de la tête, elle s'est remise à écrire.
« Il m'a ignorée du jour au lendemain. »
Une larme a coulé sur sa joue, atterrissant sur son téléphone. J'ai essuyé la larme avec ma main. Cela me faisait de la peine de la voir comme ça.
L'absence d'une personne est tellement destructrice, surtout si on ne connaît pas la cause.
Nous marchions dans un silence absolu. Je ne pensais pas que ce monde était aussi triste qu'on me l'avait raconté. Les adolescents fixaient leur téléphone et ne parlaient pas. Ils tiraient tous la tronche et refusaient de s'accorder un petit sourire.
Nous sommes entrés dans une salle de classe. C'était un peu comme le monde des rêves.
Je voyais bien qu'Azalée n'écoutait pas du tout le cours. Elle dessinait sur son cahier un personnage. Qu'est-ce qu'elle dessinait bien. Je ne sais pas si elle était au courant. La plupart des gens ne se rendent pas compte de se qui les rendent uniques.
- J'aime beaucoup quand tu dessines, c'est vraiment beau.
Elle m'a fixée. Enfin, un sourire s'est dessinée sur son visage. Elle faisait tache parmi le tableau d'adolescents sans joie mais je la préférais comme cela.
- Merci, a-t-elle répondu, sans écrire sur son téléphone.
Le professeur a tapé sur la table avec son cahier. Je me demandais pourquoi il réagissait comme cela.
- Je peux savoir à qui tu parles ? Tu te permets de ne pas écouter le cours, c'est une chose. Mais là tu le perturbes en parlant seule. A-t-il crié, s'adressant à Azalée qui n'avait rien demandé.
Elle n'a rien dit. On aurait dit que ce n'était pas la première fois.
- C'est trop dur de répondre ?
J'étais vraiment énervée. Je ne pensais pas que les adultes se croyaient tout permis. Je pensais bien que c'était une rumeur. Je me suis levée et j'ai balancé les feuilles de son bureau dans tous les sens. Elles virevoltaient autour de lui. Les adolescents ont ri.
Azalée a écrit sur un papier : « Ce n'est pas la peine. Il faut que tu apprennes qu'il va continuer, peu importe le nombre de fois où tu te vengeras ».
- Cela ne change rien. Il n'a pas le droit.
Azalée souriait. Et c'était le plus important à cet instant.
***
Azalée aimait marcher, courir et bouger. Elle ne prenait pas le bus, ce qui m'a valu une quarantaine de minutes à pied jusqu'à chez elle.
Azalée semblait heureuse. Elle m'a dit qu'aujourd'hui avait été une journée calme. Je me suis alors demandée ce qu'était une journée agitée.
Azalée m'a beaucoup parlé. Elle m'a expliqué pour son exclusion et je m'en suis voulu. Mais je ne lui ai pas dit que c'était moi.
Azalée paraissait triste. Elle m'a parlé de Samuel. Elle se confiait à moi comme si j'étais une amie d'enfance. En fait, j'étais l'amie d'enfance qu'elle n'a jamais eue.
Pourtant Azalée gardait le sourire. Je ne sais par quel miracle mais j'étais certaine que cette journée n'avait pas été inutile.
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