Chapitre cinquante-et-un
NOREEN
Peut-être que l'affiche était un message, comme s'il fallait absolument que je rende ses souvenirs à Azalée. Peut-être qu'au fond, la reine avait agit à contrecœur. Cette idée trottait dans ma tête depuis la nuit dernière. Je ne pouvais pas m'arrêter de penser à cela. Et si, par le plus grand des miracles, j'étais capable de rendre à Azalée tous souvenirs de ma présence, que se passerait-il ?
Ce jour-là, Armin s'entraînait à perfectionner sa perfection en termes de magie. Il nous a dit que cela se passait mal pour son humain Louis. Enfin, bien plus mal qu'habituellement. Il n'a pas pu venir cet après-midi dans la clairière avec Dune et moi. Ce que je comprenais, notre humain est une priorité.
- Salut ! Ai-je dit en voyant Dune qui m'attendait sur la balançoire.
- Bonjour Noreen, alors avec Azalée ?
Je me suis assise à côté d'elle.
- Tu dois t'en douter, elle ne se souvient de rien. Elle est redevenue exactement comme avant mon arrivée : vide. Tous mes efforts n'ont servis à rien, et...
J'ai hésité.
- Et ? M'a-t-elle copiée.
- J'ai réussi à lire dans ses pensées, ai-je expliqué. Tu sais... le pouvoir qu'on avait appris à la troisième école. Celui où il faut toucher la tête du concerné.
- Ça fait tellement longtemps. Je ne sais même pas si je suis toujours capable de le faire. Bravo ! A-t-elle dit en tapant dans les mains et en souriant. Tu te souviens, ce prof ennuyeux qui nous avait appris ça.
- "Mesdames, écoutez-moi attentivement, ce pouvoir est à utiliser avec modération", ai-je dit très lentement en accentuant sur chaque syllabe. Il n'arrêtait pas de nous appeler mesdames.
- Mais sinon, qu'as-tu entendu ? A-t-elle demandé, surexcitée, si seulement elle savait.
- Des pensées sombres qui ne sont pas Azalée. Je sais qu'on ne connaît pas totalement une personne, mais je suis certaine que ce n'est pas elle.
Dune s'est arrêtée de parler. Elle devait réfléchir ou imaginer. Avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, je me suis remise à parler.
- Je me sens tellement mal. Je suis sûre que si on n'avait pas été attrapé, j'aurais terminé ma mission. Pas que le fait de ne plus voir Azalée m'impatiente mais je veux son bonheur avant tout.
Elle a penché la tête en souriant, comme si j'étais une idiote. Elle avait une idée derrière la tête. Je la connaissais trop bien.
- Alors, pourquoi tu ne lui rends pas ses souvenirs ? A-t-elle ajouté après un petit silence, comme si cela était évident.
- Très drôle, c'est impossible, ai-je répondu sans même esquisser un sourire.
Je voyais bien dans ces yeux que quelque chose clochait. Elle me regardait comme une enfant. Dune mettait ses deux mains sur ses joues, ses cheveux roses tombant devant elle. Elle attendait quelque chose de moi, dont je ne voyais pas l'existence. C'est alors que je me suis rappelée notre discussion à propos du voyage dans le monde des humains qu'elle avait accompli en cachette.
- Ne me dis pas que tu as rendu illégalement ses souvenirs à ton humaine.
Dune en était bien capable.
- Ahah, non. C'est une rumeur, comme celle de la potion pour aller dans le monde des humains sauf que la rumeur pour l'autre monde est vraie, vérifié par moi et...
Elle m'a lâché un clin d'œil exagéré et si peu discret.
- Visiblement par toi.
Je ne voulais pas retourner dans l'endroit sombre de la campagne, là où il y avait le marché noir et tous ces rêveurs étranges. Je ne voulais surtout pas me rappeler de Kiron, de lui et moi marchant dans le but de sauver mon humaine. Je ne voulais pas éclater en sanglot avant même d'arriver à destination. Même pour Azalée, j'en étais incapable.
- Je ne veux pas y retourner.
Dune a immédiatement compris. Je lui avais tout raconté en détail et Kiron ne faisait déjà plus parti de son groupe d'ami dès l'instant où je lui ai expliqué notre aventure en essuyant mes larmes sur son T-shirt. Sauf qu'elle a insisté, pensant probablement que j'étais passée à autre chose.
- Ce n'est pas dans le même endroit que la potion pour le monde des humains. D'après les chuchotements des rêveurs, il ne se trouve pas loin du château.
C'était impossible.
- Si on part maintenant, on y est dans quelques minutes à peine et après tu auras tout ton après-midi à passer avec la merveilleuse Dune. Tu pourras te dire « youpi, heureusement que Dune est là pour m'aider à aider Azalée ». Aller, s'il te plaît. Au pire, on va mourir toutes les deux, comme des amants.
Elle me suppliait alors que cette potion était plus utile pour moi que pour elle. Je ne croyais pas à cette rumeur. Mais pour faire plaisir à ma meilleure amie que j'avais délaissée, j'ai accepté. Comme pour me faire pardonner. Nous sommes aussi tôt parties pour le château. Là où se trouvait probablement Kiron, enfermé dans les cachots.
Nous sommes arrivés en quelques minutes, comme l'avait dit Dune. On a fait le tour du château. Nous avons commencé par les alentours. Il n'y avait rien. Le château était entouré d'arbre et de pelouse ainsi que des milliers de fleurs multicolores. Dans le monde des rêves, tout le monde voulait aller au château pour les « arbres aux cœurs ».
C'était niais, comme nom. Sauf que le geste était bien trop mignon. Les rêveurs venaient gravés leurs initiales sur l'arbre, entouré d'un cœur. Je savais très bien qu'il n'y aurait jamais de Kiron et moi sur ces arbres. Jamais de K.N ou N.K entouré d'un cœur maladroitement fait. Maladroitement mais amoureux, sauf que l'amour n'existe déjà plus.
Je devais arrêter de penser à lui et retourner dans mes recherches : plus tôt trouvé, plus tôt je pourrais partir. Plus tôt j'aurais accompli mon devoir de rêveuse. Après tout, c'était bien mon seul but dans la vie, pas de me trouver un amoureux.
J'étais bien à l'endroit indiqué par les rumeurs : il n'y avait que des arbres. Une forêt d'arbre rempli de cœur. Et chacun de ses cœurs brisaient le mien. Je m'imaginais écrire nos initiales et nous embrasser derrière cet arbre. Mes lèvres contre les siennes, sentant son souffle et puis lorsque l'on se serait écarté, son regard amoureux observait le mien en me tenant la main. J'ai commencé à comprendre les sentiments d'Azalée.
- Dune, ai-je crié alors que j'étais fatiguée.
Elle se trouvait à quelques mètres de moi, cherchant elle aussi la même chose que moi, mais sans penser la même chose.
- Oui ? A-t-elle crié à son tour.
- Tu vois bien qu'il n'y a rien.
- Je suis certaine qu'il y a quelque chose ! A répondu Dune.
Et elle est repartie aussi tôt dans ses recherches, s'éloignant petit à petit de moi. Dune était une boule à énergie, rien ne la démotivait.
Pendant que je laissais Dune chercher stupidement quelque chose qui n'existait que dans les rumeurs, je me suis mise à regarder les initiales. Je savais qu'un jour, Armin allait venir ici et graver son nom avec une rêveuse ou un rêveur qui le comblera de bonheur, pareil pour Dune. Quant à moi, je serais toujours seule. Parce que je me sentais incapable d'oublier mon premier amour.
J'ai cherché bêtement N.K ou K.N, espérant que des gens soient heureux en portant nos initiales. Je me suis arrêtée sur un cœur étrange. Les contours étaient bien trop parfaits et les deux lettres écrits avec une écriture tremblante, formant des vagues. Il y avait écrit P.S. Je me suis dis que j'étais juste jalouse. Jalouse qu'ils puissent écrire quelque chose.
Je n'en pouvais plus de me casser la tête. Je me suis assise contre le tronc de l'arbre afin de me reposer. Je ne voulais plus réfléchir, j'aurais juste aimé être un robot sans sentiment. A quoi bon créer des robots pour l'humanité s'ils ont des sentiments pouvant nuire à eux-mêmes ? Je n'arrivais pas à m'arrêter de penser. Cet arbre aux cœurs me trottait dans la tête.
Sauf que les initiales faisaient : Potion Souvenir. C'était peut-être la paranoïa ou la fatigue qui se manifestait dans mes idées. Je me suis levée et je l'ai fixé. Et ce pendant longtemps. J'ai appelé Dune qui a aussi tôt rappliqué.
- N'importe quoi, a-t-elle répondu rationnellement.
J'ai appuyé dessus et j'avais raison. L'arbre se creusait comme pour un interrupteur. Je n'ai pas eu le temps de dire quoi que ce soit. Je n'ai plus rien vu pendant quelques secondes, ne sachant pas réellement se qu'il se passait. Et lorsque ma vue était de retour, j'ai compris. J'ai été téléporté quelque part. C'était comme avec Kiron, un lieu éloigné et très certainement illégal. Sauf qu'à la différence de la campagne, ici, il n'y avait qu'un long couloir sombre, à croire qu'il s'étendait à l'infini. J'étais tellement mal à l'aise. Heureusement, Dune m'a rejoins peu après.
- Bien joué Noreen, a-t-elle lancé en croisant mon regard.
Nous avons marchés doucement dans un long couloir noir, essayant de trouver cette fichue potion. La peur envahissait nos corps sans qu'on puisse l'avouer l'une à l'autre. Sans connaître le moyen de sortir d'ici, c'était un plan bien foireux. Le couloir était serré et nous n'étions que deux, aucune trace d'autres rêveurs pouvant nous aider en cas de problème. Après tout, c'était notre choix.
On s'est mise à se tenir le bras l'une à l'autre. Dune était aussi froussarde que moi, derrière ces traits extravertis et sûrs d'elle. J'avais l'impression que le temps ne voulait pas passer à la minute suivante. J'avais l'impression de toujours marcher dans ce couloir depuis des minutes et des minutes, sans but précis.
La minute s'est écoulée, le temps à bien voulu de nous, nous étions à la fin du couloir. Une grande porte, touchant le plafond immense se dressait face à nous. J'ai regardé derrière moi le chemin que j'avais parcouru avec ma meilleure amie : je n'avais pas envie de faire marche arrière. Sur la porte, derrière les poussières, nous pouvions lire « SOUVENIRS ».
Oui, nous avions réussi. C'est ce que l'on croyait.
Dune a pris son courage à deux mains et a appuyé sur la poignée de la porte. La pièce était suffisamment grande pour moi, Dune, les deux vendeurs qui se tenaient face à nous, une table et des centaines de potions sur deux bibliothèques.
Les deux rêveurs ne disaient rien, ils nous fixaient. Je n'ai rien voulu dire à Dune, dans le cas où nous étions les seules à faire du bruit dans cette pièce.
- La potion pour rendre les souvenirs, a commencé le premier.
Il est parti la chercher, tenant fermement la fiole rempli d'un liquide rose dans ses deux mains. Ils me mettaient mal à l'aise.
- Qu'avez-vous à nous donner en échange ? A demandé le deuxième qui nous fixait, les yeux écarquillés.
Je me suis tournée vers Dune qui avait l'air aussi perdue que moi. Je voulais partir.
- Nous ne faisons que regarder, ai-je tenté.
- Si vous êtes venus jusqu'ici, je ne pense pas que ce soit uniquement pour REGARDER, s'est-il immédiatement énervé, manquant de renverser la fiole.
Son visage s'est immédiatement radoucit.
- Si vous n'achetez rien, nous serions dans l'obligatoire d'effacer votre mémoire. Ce serait dommage d'effacer plus que nécessaire, a continué le second.
Dune m'a chuchotée à l'oreille qu'on n'avait pas le choix. Sauf que je n'avais rien sur moi permettant un achat. J'avais été bête de ne pas y penser.
- Je n'ai rien pour payer.
- Vous m'avez l'air d'une rêveuse confirmée.
Ils me fixaient de haut en bas, me matant de tous les côtés. Je me sentais terriblement mal. Dune, à côté de moi, ne lâchait pas ma main. Je pouvais la sentir trembler.
- Je veux de la magie.
Lui en donner reviendrait à ne plus en posséder. J'ai regardé mon amie sans dire un mot. Je n'allais pas abandonner de si tôt. J'ai lâché ma main. Je ne saurais dire si elle jouait la comédie ou si elle était sérieuse mais elle voulait m'empêcher d'y aller.
- Vous en voulez ? Ai-je demandé juste en face d'eux.
Ils ne m'ont pas répondue. Ils se sont contentés de sortir la potion pour récupérer des souvenirs avec un sourire de pervers se dessinant sur leurs lèvres. Le fait qu'il était aussi synchro me m'était mal.
L'un des deux s'est rapproché bien trop près de moi. Il attendait à ce que je m'assise tranquillement sur le siège. Il tenait une fiole de la taille de mon crâne pour récupérer tous mes pouvoirs. C'en était trop, j'ai lâché un regard à Dune et j'ai donné un coup de poing dans la fiole.
On a entendu le bruit de cette dernière se détruire sur le sol. Des petits morceaux de verre se baladaient à présent dans cette minuscule pièce.
- J'arrive.
Dune, le regard sûr d'elle, a lancé un sort. Elle les a immobilisé avec une telle facilité que j'en étais éblouie. J'ai pris le flacon comme une voleuse et je me suis enfuie avec mon amie. J'ai bien fait attention à bloquer la porte avec ma magie. Si la reine voyait ça, on serait sûrement en prison pour mauvaise utilisation de nos pouvoirs.
Nous courions de toutes nos forces dans le long couloir. Ils ne nous ont jamais rejoins. Et heureusement.
- Merde, désolée Dune, c'est ma faute.
- Carrément, a-t-elle répondu, essoufflée. Non, je t'ai aussi un peu forcée.
- Tu sais que je t'adore ?
- Ouais, je sais. A-t-elle dit en me prenant dans ses bras.
Lorsque le soir est venu, j'ai utilisé la potion sur Azalée tandis qu'elle m'ignorait durant le rêve. Son regard vide me faisait peine à voir. Tout se déroulait bien : à travers le contenu pâteux de la fiole, je pouvais choisir un souvenir à lui restituer. Quelle fut ma déception quand j'ai vu qu'on ne pouvait choisir qu'un moment et non toute ma visite. J'avais fait subir tout ça à Dune pour une demi-arnaque.
J'ai choisi le souvenir de l'affiche : elle se souviendra qu'elle l'avait fait avec moi mais ne saura jamais pourquoi. Peut-être que cela allait créer un trouble chez elle, mélangeant ainsi le réel du rêve. Peut-être qu'elle me prendrait enfin au sérieux. Peut-être que c'était une mauvaise idée. J'ai quand même tenté le coup.
Si la Reine n'avait pas retiré l'affiche, c'est qu'il y avait une raison, non ?
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