FLASHBACK
Violet — 16 ans
Nate se gare juste devant moi sans descendre dans la voiture, m'incitant à monter avec lui. Je sens qu'on chuchote autour de moi, qu'on me regarde de travers et que des filles gloussent en observant celui qui vient me chercher, mais je les ignore. Je lève le menton bien haut, garde le dos droit pour montrer que je suis fière, puis rejoins la voiture.
- Ça va ? Me demande-t-il quand je m'attache. Tu ne voulais pas rester un peu plus ? Je suis sûr que quelqu'un t'aurait filé de l'alcool qui tu t'embêtais tant que ça.
- Je ne bois pas, Nate. Et non, c'était juste chiant.
- Pourquoi ?
Il démarre, et je ne réponds pas. Qu'est-ce que je devrais lui dire ? C'était chiant parce que je n'ai pas d'amis et que la seule personne avec qui je m'entends m'a laissée seule pour aller fumer ? Que des garces nous ont critiqué dans les vestiaires ? Uniquement parce que j'ai des ambitions et que j'aime le vert ? C'est ridicule et puéril, tout comme ma réaction d'ailleurs, mais je ne me voyais pas rester pour ne rien faire. J'ai fait l'effort demandé par mes parents, ils vont être contents et moi aussi.
- Tu n'as pas répondu, Violet. Je sais que je peux être relou mais tu pourrais discuter un peu.
- Tu ne parles pas, en général. Ça te change.
Je vois qu'il serre un peu plus son volant et son visage se crispe mais il ne relève pas. Depuis quelques temps maintenant, il est de plus en plus froid comme le reste de mon entourage. Quand il vient me chercher après mes entraînements, il met de la musique ou non et personne ne parle. On ne chante plus vraiment comme avant. Peut-être que j'ai grandi et qu'il se dit que ça ne m'intéresse plus. Il se trompe. Parce que même quand il ne me parle pas, je chérie les moments que nous passons ensemble. Parfois, je me demande même si je ne l'aime pas plus qu'en ami. Mais bon, moi et Nate ? Impossible.
- Ce n'est pas que je ne parle pas, il renchérit finalement.
- C'est quoi alors ?
- Je ne sais pas quoi te dire.
Je fronce les sourcils et tourne la tête vers lui sans comprendre. Ses cheveux noirs sont plus longs que d'habitude, il est temps qu'il fasse quelque chose, bientôt il pourra faire un palmier.
- Comment ça ? Je sais que je suis fatiguée après les entraînements mais je suis capable de parler.
Nate ricane en levant les yeux au ciel une demi-seconde pour ne pas quitter la route des yeux.
- Tu ne te rends même plus compte de comment tu es, Violet. Fais attention, tout le monde va te tourner le dos à force.
- Mais de quoi tu parles enfin ?
- De toi, je parle uniquement de toi. Ton air condescendant et supérieur. Tu ne parles pas, ou tu nous rembarres rapidos. Tu vis pour la danse et on te voit à peine. Je ne parle pas que de moi dans le « on », je parle de ta famille aussi. C'est bien d'avoir des objectifs, mais tu n'as plus de vie. Tu te refermes sur toi un peu plus chaque mois.
- Ce n'est même pas vrai ! protesté-je, vexée.
- Voilà, tu as la preuve qu'il te faut.
Je me ratatine dans mon siège, un peu honteuse. Est-ce qu'il a raison ? Je ne sais pas. Personne ne comprend ma démarche, personne ne cherche à comprendre pourquoi je fais ça, pourquoi ça me tient tant à cœur. Quand on me parle, c'est pour m'engueuler ou me faire des remarques négatives. Si je ne montre pas un minimum que je suis bien dans mes baskets, on me rabaisse au lycée sans vergogne. Je vis pour la danse parce qu'elle me sauve dans la mort un peu plus chaque jour. Sans ça, je ne serai pas la même, je n'irai pas si bien.
- Écoute, je ne suis pas tes parents, reprend-t-il en soupirant. Je suis juste un ami qui te dis quand ça ne va pas. Je suis fier de ce que tu fais mais ce n'est pas trop ? C'est bien d'avoir de l'ambition, mais pense au monde autour.
- Ils savent que c'est ma carrière qui est en jeu, Nate.
- Et si tu pars, Violet, tu as pensé à ça ? Tu ne te rends pas compte de comment tu te comportes ici, mais si tu t'en vas à l'autre bout du monde, tu abandonnes carrément ta famille.
- Mais n'importe quoi ! Je reviendrais en vacances, j'appellerais...
- Tu sais que c'est faux.
Il marque une pause et se gare devant un immeuble. Sûrement l'endroit où Roméo est.
- Si tu t'en vas, il reprend en coupant le contact, tu ne joindras personne parce que tu joueras encore plus ta carrière. Si aujourd'hui, tu es déjà aussi seule et butée, ça sera pire à l'Opéra.
- Et alors, ça sera mon choix Nate. Ça ne veut pas dire que je vous aime moins. Je dois faire un choix, c'est tout.
- Un choix égoïste.
Nate se tourne pour me regarder dans les yeux, faisant battre mon cœur un peu plus fort. Punaise, la situation ne se prête absolument pas aux émotions que me fait ressentir mon corps... La conversation est plus que sérieuse, ce n'est pas le moment de penser à ses lèvres roses et...
- Violet, tu m'écoutes ?
- Oui !
Je sens mes joues rougir. J'ai été pris en flagrant délit là.
- Réfléchis à tout ça avant d'être prise ou non à Paris. Pense à tous les facteurs, à tout ce qui changera quand tu partiras.
- Ça ne changera rien, je dis avec un petit sourire rassurant auquel même-moi je n'y crois pas. Je serai la même dans un autre pays. J'aurais besoin de soutien justement.
Nate fronce le nez et soupire d'un coup, comme s'il se rendait compte que c'est un dialogue de sourd.
- Mais je vais réfléchir à ce que tu as dit. Paris, c'est loin. Il y a plein d'autres écoles géniales ici... Je vais en parler à Elizabeth. Tu as peut-être raison sur ce point, je serai capable de me refermer sur moi-même.
Il hoche la tête puis jette un coup d'œil à l'extérieur pour voir si Roméo arrive mais personne en vue.
- Réfléchis bien, en tout cas. Tu n'es pas la seule que ce choix impactera.
- Nate ?
- Oui ?
- Si jamais je dois partir, y a un truc que j'aimerais faire avant.
Nate me regarde lentement, les sourcils froncés, et je me détache. Je ne sais pas pourquoi, mais son discours m'a fait comme un petit déclic. Je sais que je vais partir si je suis prise, bien que je lui aie fait croire le contraire. L'Opéra de Paris, c'est mon objectif suprême, la seule chose pour laquelle je tiens depuis tout ce temps. Renoncer si proche du but, c'est impensable, même si pour lui c'est un acte égoïste. Je sais qu'après ça, nos relations ne seront plus jamais les mêmes. Pour m'en parler si sérieusement, c'est qu'il m'en voudra de partir. Encore plus si je ne tiens pas mes engagements et que je ne contacte pas souvent ma famille.
Je m'approche de lui et je le sens s'écarter un peu, comme s'il ne comprenait pas vraiment ce que je compte faire.
J'oublie tout ce qu'il y a autour de nous et la honte qui pointe le bout de son nez, puis je pose mes lèvres sur celles de Nate. Choqué ou je ne sais pas vraiment en fait, il ne bouge pas. Il est totalement statique.
C'est comme ça que quelqu'un doit réagir quand on l'embrasse ? Je ne sais pas trop en fait, les gens de mon bahut se roulent des pelles à tout bout de champs, au point qu'on ne sait même plus ce qu'est un baiser classique.
Soudain, Nate s'écarte en tombant en arrière à cause de la portière qui s'ouvre violemment.
- NON MAIS ÇA VA PAS ?
Roméo me fixe, la rage déformant son visage, ignorant totalement Nate qui se rétame au sol.
- T'ES TOTALEMENT MALADE PUTAIN, MA SŒUR ?!
Nate se relève difficilement, tirant une grimace de douleur en constatant ses paumes meurtries.
- C'est pas ce que tu croies, Rom'...
- NE M'ADRESSE MÊME PAS LA PAROLE ! ET TOI TU SORS DE LÀ, MERDE !
Je ne résiste pas et sors rapidement de la voiture. Je crois que je vais mourir de honte. Roméo est fou de rage, je ne l'avais jamais vu dans cet état. Je le rejoins, la tête bien baissée.
- Va dans ma voiture, siffle-t-il en lançant un regard noir à Nate qui retire du gravier de sa paume.
Je mets une seconde de trop à réagir alors il me hurle de me dépêcher. Je sursaute et cours jusque sa voiture qu'il vient d'allumer. Discrètement, je les regarde par la fenêtre. Roméo hurle sur Nate sans se soucier des gens qui dorment potentiellement, et Nate tente de le calmer. Il se fait pousser en arrière, mais ne se montre pas agressif envers mon frère qui tente juste de me défendre. Je reste un bon quart d'heure seule dans l'habitacle à observer l'engueulade mouvementé. Un homme immense arrive aussi au bout d'un certain temps, calmant Roméo en le prenant par les épaules. Son corps est massif, il fait au moins une bonne tête de plus que mon frère alors qu'il est déjà grand. Sa peau sombre contraste avec celle de Roméo, encore plus quand ils s'enlacent. L'homme que je ne connais pas fait signe à Nate de s'en aller, et il ne se fait pas prier.
Sans un regard pour moi, Nate s'en va dans la nuit. Quand mon frère s'est calmé, l'homme pause un baiser sur ses lèvres puis rentre chez lui. Roméo arrive lentement à la voiture, monte dedans sans un mot puis allume le véhicule. J'ouvre la bouche pour me justifier mais il place sa main entre nous deux.
- Ne me parle même pas, Violet.
J'obéis, et me tais. J'essaye d'oublier la douche froide que je viens de subir, et observe la vile défiler par la vitre tandis qu'on rentre chez nos parents.
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