FLASHBACK
Violet — 15 ans
- Allez, au centre maintenant, crache le dragon en pianotant sur son ordinateur pour changer de musique.
La sueur coule sur mon front mais je l'essuie rapidement avant qu'elle ne me voit dans cet état. Parce qu'aujourd'hui, c'est dur. Plus dur que les autres jours. Elizabeth me lance un dernier regard en coin pour vérifier que j'ai quitté la barre où nous nous échauffions il y'a quelques minutes, puis lance la musique.
Je n'ai jamais eu aussi mal dans tout mon corps. Mes pointes me crient à l'aide alors que mes abdos se contractent sans que je ne les contrôle.
- On va commencer par des dégagés histoire de se mettre dedans et après on passera à quelques pirouettes.
Et elle appelle ça se mettre dedans ? Il est vingt heures passées et on vient de faire une heure au sol et à la barre, soit abdominaux et pointes en gros. Je sais que la fin du cours approche, qu'il ne me reste plus qu'une petite demie-heure avant la fin, mais je n'en peux plus.
- Je peux boire un peu d'eau avant ? tenté-je d'une petite voix.
Elizabeth se retourne sèchement, plantant ses iris brunes dans les miennes. Elle me fait peur parfois. Son chignon est tellement serré sur son crâne que je suis persuadé de voir apparaître des rides si elle lâche ses cheveux.
- Tu as deux secondes et après en position.
Ok. Je ne me fais pas prier. Je cours jusqu'au mur où sont posés mes affaires et engloutit la moitié de ma gourde en quelques secondes. Du coin de l'œil, je vois les regards inquiets d'Eva et Cherry qui nous observent, changées pour rentrer chez elles. Elles sont accompagnées d'un homme roux aux cheveux longs que j'ai vu une ou deux fois, le copain d'Eva je crois.
- Violet.
Sa voix criarde me donne des frissons dans le dos mais je fais mine de ne pas avoir vu mes anciennes professeures derrière la porte. Je rejoins en trottinant le centre de la salle, et retrouve ma concentration. Si je ne veux pas passer trois heures en plus ici, je dois faire au mieux.
- Violet... commence à perdre patience Elizabeth.
Je me mets en position sans même qu'Elizabeth me dise quelque chose de plus. Sans un regard pour moi, elle commence à échauffer sa nuque comme si c'était elle qui faisait tous les efforts. Je me mets en cinquième puis tente quelques trucs le temps qu'elle se mette près de moi.
- C'est bon ? Elle me demande.
- Oui.
Dis donc, elle se ramollit avec l'heure ou quoi ? D'habitude elle m'aboie dessus plus qu'elle ne me parle. C'est pour ça que j'ai appris qu'il ne faut jamais aligner plus de trois mots avec elle. Depuis qu'elle m'a prise sous son aile l'année dernière, j'ai souffert comme jamais. Moi qui pensais avoir un bon niveau, c'était le cas mais pas assez. Ce n'est jamais assez pour Elizabeth.
Dans notre studio, je suis la seule à supporter ses cours particuliers. Greyson aide mes parents financièrement pour pouvoir m'offrir cette opportunité, alors je ne compte pas la gâcher dès qu'un obstacle se dresse devant moi. Elizabeth est dure, froide et calculatrice, mais je pense l'avoir cerné plus que quiconque en un an. Après tout, on passe la moitié de la semaine ensemble...
- 1, 2, 1, 2, commence-t-elle alors que je lève le pied en rythme avec ses instructions. Seconde... 1, 2, 1, 2...
Ma jambe me brûle mais j'ignore la douleur qui remonte jusqu'à ma colonne vertébrale. Tout me tiraille de l'intérieur mais c'est presque la fin. Avec tout ce que nous avons fait aujourd'hui, je ne pense pas qu'elle m'embêtera plus que ça.
- Derrière, 1, 2, 1, 2... Gauche Violet. Plus vite, du nerf ! Si tu n'y mets pas du tien ça ne va pas le faire, t'es molle !
Je serre la mâchoire mais me tais. Ça ne sert à rien de répondre.
- Première Violet. Plus rapidement s'il-te-plaît. Jeté. Violet concentre-toi mince ! Bon, pirouettes.
C'est parti pour les pirouettes...
En vitesse, je me mets en quatrième position, un pied devant l'autre.
- Maintenant.
Je m'élance, ramenant un de mes pieds contre mon genou pour tourner et finir de nouveau en quatrième.
- Tu n'étais pas assez en dehors. Recommence.
Je m'exécute mais quand je suis bien en dehors, c'est autre chose qui ne va pas. Elizabeth me harcèle pendant dix minutes jusqu'à ce que je fasse LA pirouette parfaite.
- Mouais, ça ira pour aujourd'hui.
Je soupire de soulagement mais elle me rappelle vite à l'ordre. C'est vrai qu'il ne faut jamais avoir un peu le dos rond avec elle.
- Menton haut, fière Violet. N'oublie jamais que tu vaux mieux que toutes les personnes qui t'entourent.
Son doigt mat se pose sous mon menton qui porte ma tête plus haute que je ne le peux.
- En septembre, tu as intérêt de cartonner pour le recrutement à l'Opéra, Violet. J'espère ne pas avoir perdu mon temps avec toi.
J'acquiesce lentement jusqu'à ce qu'elle écarte sa main menaçante de mon visage.
- Elizabeth ?
La voix d'Eva résonne dans le studio alors que la musique s'est éteinte grâce à Cherry.
- Désolé, je ne t'ai pas prévenue mais je récupère Violet pour la ramener chez elle.
- Et ?
- Et il est 21h30. Je pense qu'il est temps d'arrêter.
21h30 ?! J'étais persuadée qu'il était 20h30 à la limite mais il est super tard ! Roméo va me tuer ! Il devait venir me chercher mais je ne le vois pas m'attendre une heure entière sur le parking... C'est même bizarre qu'il ne soit pas venu me râler dessus quitte à engueuler Elizabeth...
- Si tu le dis... À demain Violet.
- Oui...
Elle s'empresse de récupérer son ordinateur alors que je ramasse mes affaires en vrac dans mon sac, puis elle disparaît au coin de la porte sûrement pour aller dans le bureau. Parfois, je me dis que son mari à bien du courage de la supporter.
- Ça va Violet ? Me demande Cherry alors qu'ils m'attendent à trois.
- Oui.
Je prends mon sac et les rejoins jusqu'à ce que je me rende compte que j'ai encore mes pointes aux pieds.
- Zut, vous savez si Roméo est toujours sur le parking ? J'en ai pour cinq minutes et après je rentre avec lui.
- Violet...
Je ne les entends pas et me mets sur le sol pour enlever mes pointes dont j'en avais oublié l'existence. Quel soulagement sérieusement...
- Violet...
Eva se met à croupis, un petit sourire triste sur son visage pâle.
- Ton frère est déjà parti depuis longtemps. C'est pour ça qu'on propose de te ramener.
- Roméo est parti ? Mais il...
- Violet ?
Je reconnais cette voix. Nate émerge du couloir en recoiffant ses cheveux noirs. Il porte un simple débardeur et un jean qu'il porte bas sur sa taille. Des tatouages courent le long de son bras, je n'avais jamais fait attention au fait qu'il s'est tatoué.
- Roméo en avait marre de t'attendre alors il m'a demandé de venir te chercher avant d'aller au taff, explique-t-il avec sa nonchalance habituelle. Ne lui en veux pas, t'as des horaires de merde en même temps.
J'acquiesce et remercie les professeures pour leur gentillesse mais il a raison, vaut mieux que je rentre avec lui. Il travaille dans le club de strip-tease en face de la boutique d'Eden, alors c'est sur sa route.
Je m'empresse de retirer mes pointes pendant qu'il s'ennuie sur son téléphone, puis quand je suis prête nous partons en silence dans sa voiture. Il démarre, puis allume la radio. Les paroles de Miss You More de Katy Perry se mettent à résonner dans l'habitacle et je ne peux pas m'empêcher de chanter les paroles doucement.
- Saw you picture on accident, your face has changed, The lines are sinking in...
- I pressed play, I should haven't, complète-t-il avec un petit sourire.
Je ne peux pas m'empêcher de regarder ses lèvres bouger avec aisance sur les paroles, surtout que c'est une chanteuse formidable que l'on entend derrière sa voix tremblante.
Le meilleur ami de mon frère continue de chanter alors je chante avec lui. Pas de tension, pas de gêne, on chante juste en cœur sans prêter attention l'un à l'autre. Sur le moment, ça me va. Mais plus les paroles avancent, plus je sens mon cœur se comprimer dans ma poitrine.
- We were a match, but not a flame. We were a dream, unrealistic. We didn't lose, We didn't win. Sometimes I wonder what we could have been.
Quand je prononce ces mots avec Nate, quelque chose naît dans le creux de mon estomac. C'est comme si ces paroles étaient un écho de la réalité, et pourtant rien ne me rattache à elle.
Au fond de moi, quelque chose me crie de me souvenir de ça. Que ces paroles tombées aléatoirement à la radio ne sont peut-être pas qu'un coup du destin, mais quelque chose à réellement prendre au sérieux.
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