Violet — 10 ans

Devant l'école, j'attends nerveusement Roméo et Nate qui doivent venir me chercher pour m'amener au studio de danse. Maman a un rendez-vous donc elle ne peut pas m'amener comme d'habitude pour mes répétitions, elle m'a donc confié à mon frère qui ne va pas tarder à arriver dans sa nouvelle voiture.

Quelques camarades passent près de moi en chuchotant, en riant près de mon oreille et en me bousculant dès qu'ils peuvent. Je serre mes dents les unes contre les autres, gardant la tête haute et le corps droit pour résister aux bousculades. Silencieusement, je prie pour que Roméo s'active et me récupère rapidement avant qu'on ne me fasse réellement tomber. Les surveillants discutent entre eux à quelques mètres de moi, mais ne prêtent pas attention à la pauvre Violet qui se fait charrier gentiment par ses amis. Non, Violet sourit toujours et ne dit jamais rien, c'est affectif.

Un garçon passe près de moi et me bouscule l'épaule une nouvelle fois, assez fort pour que mes pieds bougent et que je ne manque de finir sur le sol. Seulement, une main puissante attrape mon bras pour me soulever vers le haut. Il me remet sur mes pieds, et je remarque la tête de Nate, les sourcils froncés. Il fixe le garçon qui a essayé de me faire tomber d'un regard noir, ce qui donne les larmes aux yeux à l'idiot. Un peu heureuse, je l'avoue, je retiens un petit sourire sur mes lèvres même si je me suis tordu la cheville.

-    Roméo est garé sur le parking là-bas, déclare-t-il de sa voix grave.

J'acquiesce et souris quand il prend sa main dans la mienne. Je relève ma tête, bien haute à la limite d'avoir un air hautain, et traverse la foule de camarades qui me dévisagent et nous laisse passer. C'est vrai que Nate en impose. Avec ses cheveux noirs, son air aigri et les quelques tatouages qui commencent à apparaître sur sa peau claire.

Nate me tire à travers tout le monde jusqu'au parking dont il me parlait et je vois Roméo sur le capot, lunettes de soleil sur le nez et cure dent dans la bouche. Il sourit de toutes ses dents en nous voyant arriver avant de prendre une pose digne de Grease. Je lâche la main de Nate, me débarrasse de mon sac à dos et me précipite sur mon frère qui me rattrape à la volée quand je lui saute de dessus. Je passe mes bras autour de son cou et ris de plus belle quand il me fait tourner dans les airs.

-    Comment ça va, princesse ?

-    Je ne suis pas une princesse ! Je préfère être un ptérodactyle.

Roméo éclate de rire puis prend mes hanches pour me reposer au sol. Nate nous rejoint avec mon sac dans la main puis le balance dans la voiture noire.

Roméo a eu son permis hier. Du coup maman était ravie qu'il puisse lui rendre service tout en montrant à sa sœur ses talents de pilote. Je ne vais pas mentir, je ne suis pas rassurée du tout.

-    Allez, en route mauvaise troupe, lâche-t-il en allant vers le poste de conducteur.

Nate referme la porte passager derrière moi avant de s'engouffrer avec Roméo à l'avant. J'entoure mon sac de mes bras, le serre très fort et encore plus quand mon frère met le contact. Le moteur gronde, puis c'est parti. Roméo fait une marche arrière pour quitter l'emplacement du parking et il se fait directement klaxonner. Nate envoie un doigt d'honneur au chauffeur qui continue d'appuyer comme un fou sur son volant, mettant plus de stress à Roméo.

Quand nous nous éloignons, Nate éclate de rire, faisant raisonner sa voix dans l'habitacle de la voiture. Roméo le suit vite avant d'être rappelé à l'ordre par des voitures un peu trop audacieuse. Pendant tout ce temps, je me contente de m'accrocher à la portière, le cœur battant, fermant les yeux quand il prend un virage un peu trop rapidement.

Nate allume la vieille radio qui grésille puis trouve un point plutôt clair. Des vieilles musiques se mettent à cracher dans les enceintes et les garçons se mettent à chanter en cœur comme si le monde leur appartenait. Je n'en reconnais aucune jusqu'à ce qu'une chanson de Queen apparaisse et que je puisse les rejoindre dans leur concert.

-    Mama, just killed a man, commence Nate en solo d'une voix tremblante, put a gun against his head, pulled my trigger, now he's dead.

-    Mama, life had just begun, je poursuis en essayant de chanter juste mais les rires des garçons me font comprendre que je ne serais jamais chanteuse.

-    But now I've gone and thrown it all away, reprend Nate à son tour dans les aigu qu'il ne maitrise pas du tout.

-    MAMAAAA OOOHHHHHH, crie-t-on en cœur dans l'habitacle, vitres baissées.

J'hurle les paroles avec les garçons comme si ma vie en dépendait. Toute la rage que j'ai ressentie tout à l'heure disparaît dans les mots qui sortent de ma bouche. Je baisse une vitre de la voiture pour que le monde entier entende nos voix, peu importe qu'on chante faux ou en retard sur Freddie.

Quand je relève les yeux, Nate m'observe en riant dans le rétroviseur. Lui aussi chante comme un débile même s'il n'arrive pas à changer sa voix grave pour une voix plus aérienne. Roméo, lui, alterne entre concentration sur la conduite et paroles de musique. Parfois, il me laisse faire un solo sans même que je ne m'en rende compte, ce qui me fait monter le rouge aux joues.

Aux feux rouges, les conducteurs et passants nous dévisagent longuement avant de passer leur chemin, comme si nous étions des bêtes de foire. Mais peu importe, je veux qu'ils regardent à quel point on est heureux tous ensemble.

Roméo baisse d'un coup la musique et ralentit la vitesse, arrivant dans le parking de danse que j'ai foulé pour la première fois il y a six ans. Il se gare, puis se retourne pour m'indiquer de m'en aller.

Je dépose un baiser sur la joue des deux garçons avant de sortir du bolide, sac en main. Je les vois attendre que je sois dans le bâtiment avant de repartir en arrière, musique à fond, sans moi. Je les regarde à travers la porte jusqu'à ce qu'ils soient trop loin pour les yeux et que je regrette déjà le rock.

-    Violet ? Demande une voix fluette dans mon dos.

Je me retourne et reconnaît Eva qui me sourit en me saluant de la main. Depuis qu'elle m'a fait mon premier cours de danse, elle n'a pas changé. Seulement, je suis passée au stade supérieur alors elle n'est plus du tout ma professeure. Comme je veux faire ça de ma vie, je me retrouve avec une vieille vipère sadique qui prend son pied à nous faire souffrir. Mais je ne dis rien, je me contente de danser jusqu'à en avoir le tournis.

-    Tu ferais mieux d'aller vite te changer, me prévient Eva d'un air grave, ils vont commencer tôt aujourd'hui et votre prof... elle n'a pas l'air de très bonne humeur.

Merde ! Je remercie rapidement la blonde d'un hochement de tête avant de me précipiter dans le vestiaire. Je sais très bien qu'une fois que j'aurais foulé le parquet avec mes chaussons, la bonne humeur transmise par les garçons disparaîtra aussi vite que si on me laisse un Snickers dans mon sac.

Pas le temps de rêvasser, ma tunique, mes chaussons, et mon chignon.