- Dépêche Jess' ! le pressé-je en dévalant les marches de la petite plage déjà bien bondée.

- J'arrive, j'arrive ! Mais tu vas trop vite, c'est super casse gueule ici...

Je ris doucement puis me précipite pour enlever mes chaussures et sentir le sable sur mes doigts de pieds. Il commence à refroidir à cause de la nuit presque entièrement tombée, mais il règne encore une douce chaleur autour de nous. Je lisse rapidement ma robe blanche tandis que Jesse me rejoint enfin, Lana dans les bras.

- Tiens, prend-la le temps que j'enlève mes chaussures s'il-te-plaît.

Je récupère notre chienne qui me lèche le visage avec sa grosse langue humide et la câline contre moi. Jesse m'en a fait la surprise il y a deux ans, un petit jack russel nommé Lana en hommage à la reine Lana Del Rey. Jesse a un peu râlé en m'entendant l'appeler comme ça mais il s'y est très vite fait. Après tout, c'est moi qui porte la culotte.

- C'est bon ? Je demande, impatiente.

- C'est bon, souffle-t-il avec un demi-sourire.

Je pose la chienne au sol et récupère mes affaires puis on fonce vers le petit bar sur la plage. Après toutes ses années, il n'a absolument pas changé. Les mêmes guirlandes qui font penser à des centaines de lucioles, les mêmes tables de pique-nique sur la terrasse et la même petite cabane bancale qui s'affaisse un peu plus chaque année.

- Bonjour Karl !

Le vieil homme relève la tête vers moi, ses yeux bruns fatigués et vieux à force d'avoir trop vu. Il sort ses lunettes en argent qu'il pose sur son nez avant que son visage ne s'illumine.

- Eden ! Comment vas-tu ma belle ?

- Très bien et toi ?

- Parfaitement. Un petit kit, je suppose ?

- Tu as tout compris, merci.

À force de venir ici, Karl, le gérant de la cabane, est devenu un très bon ami. Il se souvenait de moi et mes amies, notamment celle qui c'était faite embêtée par un de ses employés, et petit à petit, à force de discuter, nous nous connaissons très bien. Avec son âge avancé, il ne devrait déjà plus tenir cet endroit mais il se refuse à le vendre. C'est toute sa vie, et je peux comprendre son choix.

Le temps qu'il prépare notre petit pack, j'en profite pour observer le monde sur la plage. Comme chaque année, des familles ou groupes d'amis sont réunis pour partager ce moment hors du temps, riant et se baignant entre les surfeurs qui commencent à rentrer par manque de vague. Je pense que ce lieu est mon préféré après le café. Il me fait un peu penser à La Push dans Twilight, en plus petit et en moins gris. Non, vous savez quoi ? Ça n'a rien à voir en fait.

- Tiens ma belle, me dit Karl en me donnant tout le nécessaire.

- Merci !

Je sors mon porte-feuille pour payer mais il refuse catégoriquement que je lui règle quoi que se soit. Je peste un peu, tire une grimace, mais rien n'y fait. Cet homme est le plus buté de la Terre !

- Je t'en dois une, Karl.

- On règlera ça plus tard.

Il se tourne en me lançant un dernier clin d'œil puis accueille de nouveaux clients qui souhaitent la même chose que moi. Je rejoins les deux amours de ma vie en trottinant, le sourire aux lèvres.

- C'est bon ? Me demande Jesse en posant un baiser sur ma joue.

- Tout est nickel, on peut aller se préparer, ça va bientôt commencer.

On se met en mouvement vers un bout de la plage plus calme ce qui ravit Lana. La petite chienne se met à courir comme une folle dans tous les sens pour détendre ses petites pattes engourdies. Elle me fait bien rire avec sa langue à l'air et son air fou. Jesse déplie la serviette beige sur le sable pour que nous puissions nous asseoir, et pendant ce temps je me mets à batailler avec le cercle et le papier blanc. Quand le tout prend forme, je m'autorise enfin à poser mes fesses sur le sol.

- Bougie, je demande comme si j'étais un personnage de Grey's Anatomy.

Mon Derek Shepherd me passe la bougie que je place méthodiquement dans son endroit, et nous voilà prêt ! Jesse appelle notre chienne d'un petit sifflement et la belle rapplique aussitôt, mettant une demi-tonne de sable sur notre serviette. Je râle un peu mais elle se tourne sur le dos en demande de gratouilles, et j'oublie tout tellement elle est adorable.

- Tu es trop influençable, dit-il en levant les yeux au ciel.

- Non, c'est elle qui est trop adorable !

Je lui gratte le ventre et la petite jappe de contentement ce qui me fait rire de plus belle.

- Eden, ça va commencer.

Les yeux bruns de Jesse brillent avant même que tout ne soit dans les airs, ça me fait des papillons dans le ventre. J'abandonne les gratouilles pour allumer la petite bougie au centre de la lanterne. Jesse m'aide à me relever en prenant une de mes mains dans la sienne, et nous voilà à tenir la lanterne à deux. Je ne peux pas m'empêcher de passer une main dans ses cheveux bruns pour les écarter de ses yeux. Je sais qu'autour de nous des dizaines de lanternes sont en train d'illuminer la plage, mais je ne vois que Jesse. Pendant cet instant hors du temps, il n'y a que lui.

Et Lana.

Karl sort son mégaphone pour lancer le décompte, mon excitation est à son comble. Il se met à dire les dernières secondes, mais cette année je ne crie pas. Yeux dans les yeux, Jesse et moi chuchotons à peine le compte à rebours.

« 3 » crient les gens et je serre un peu plus fort la lanterne dans mes mains. Jesse me sourit, Lana commence à aboyer, et je ris doucement. « 2 » je le dis avec plus de conviction, mais mes paroles se perdent dans les cris de la foule. « 1 » je murmure plus bas tout comme la moitié des humains autour de nous, nous permettant d'entendre les vagues s'écraser contre la plage.

Tout le monde lance sa lanterne dans la nuit, et c'est le seul moment où je m'autorise à quitter Jesse des yeux. Une pluie d'étoile envahit le ciel, flottant doucement dans la même direction. Au-dessus de nos têtes, tout semble irréel. Même Lana s'est arrêtée un instant pour observer le ciel et ce qui l'illumine une fois tous les ans. Je me laisse flâner quelques minutes jusqu'à ce que mon esprit se décide à redescendre sur Terre, mais la surprise est pire.

Jesse a disparu de mon champ de vision, jusqu'à ce que Lana m'indique de regarder plus bas. Un genou à terre, deux mains sur la même boite, je comprends l'émotion de Jesse. Ses yeux brillent comme les lanternes au-dessus de nous, et je vois ses mains trembler légèrement.

Quelques personnes se mettent à chuchoter dans le silence de la nuit, tournés vers nous pour admirer le dernier spectacle de la soirée.

- Eden, je sais qu'entre nous, tout n'a pas été facile. On est vieux maintenant, plus proches de la cinquantaine que de la quarantaine mais tu sais quoi, l'amour n'a pas d'âge. Je te connais depuis que nous avons presque vingt ans, et je crois que je suis tombé amoureux de toi à l'instant où je t'ai vu, ton miteux sac sur les épaules et la sueur sur ton front. On avait besoin de nous ressourcer, de faire le deuil de tas de choses, mais nous nous sommes retrouvés quinze ans plus tard. Je t'aime Eden, et je veux que ça soit officiel pour le reste de notre vie, aussi longue soit-elle.

Les larmes dévalent mes joues mais je ne peux pas les retenir. Trop d'émotions se bousculent dans ma tête mais une chose est certaine. Je l'aime.

- Eden, est-ce que tu accepterais de devenir Eden Davis pour moi ? Je sais à quel point ce nom te tient à cœur alors je suis près à moi, devenir Jesse Davis si tu es d'accord.

- Oui Jesse, oui, oui et oui !

Un sourire de soulagement naît sur son visage puis il se redresse pour sortir une petite bague de son écrin et me la passer au doigt. Impatiente, je l'aide puis pose mes lèvres sur les siennes. Autour de nous, les gens crient et sifflent de joie, Lana aussi aboie pour se joindre à la fête, et je me sens bien. Au milieu de ceux que j'aime, de ces lanternes qui ont bercées ma vie et sur cette plage à laquelle je tiens tant, je me sens bien.