Chapitre 9
Aux livres qui nous font pleurer comme des dingues, je vous vois.
Violet
Quand le regard de Roméo trouve le mien alors qu'il est assis sur un tabouret du bar, je ne peux pas m'empêcher de lâcher un petit sourire. Mon frère se lève en vitesse pour venir me prendre dans ses bras. J'en profite pour sentir la douceur de son parfum, emplissant mes narines et me rappelant chez moi. Ses boucles dorées me chatouillent le nez alors je m'écarte pour éternuer autre part que dans ses pauvres cheveux qui doivent prendre un temps fou à dompter. S'il y'a bien une chose que nous avons tous les deux hérités de notre mère, ce n'est pas sa couleur mais leur épaisseur.
- Je t'ai commandé un soda, me dit-il en prenant ma main dans la sienne.
- Je n'ai plus deux ans tu sais, j'ai le droit de boire de l'alcool.
Son visage change imperceptiblement, signe que je viens de le contrarier. Je ris et lui pince légèrement les côtes pour qu'il se détende. Il me lâche en poussant un petit cri de stupeur avant de rejoindre sa chaise haute. J'en attrape une et me pose à ses côtés, prends le verre de soda noir à côté de sa bière puis laisse les bulles me chatouiller le palais quand je prends une gorgée.
C'est toujours ça avec Roméo, doux comme un agneau et protecteur comme un loup. Mais le pire, c'est que je bois très rarement de l'alcool et il le sait, je suis incapable de savoir dans quel état je serais le jour où j'abuserai de la boisson du Sheitan ; je ris en pensant seule à la vidéo de Billy que mon frère serait incapable de comprendre sans des sous-titres en anglais.
Roméo commence à me parler d'une cérémonie de mariage qu'ils organisent avec Zack pour le weekend prochain et balance quelques anecdotes qui se sont passés lorsque j'étais à Paris. Il me parle de maman qui maudit mon père pour qu'il accepte de prendre un chiot, de Zack qui souhaite se lancer dans des démarches d'adoption et de la tombe de son père qui s'est faite taguée récemment par des jeunes vandales. Je lui propose de venir l'aider — rapidement si possible avant que mes traitements ne m'en empêchent — mais tout est déjà réglé. Le cimetière a fait un geste parce qu'un de leur employé n'a pas correctement fermé le portail de nuit alors ils se chargent de tout arranger.
- Maman doit être dans tous ces états... je dis un peu triste parce que je n'ai pas parlé avec elle depuis quelques jours bien que nous vivions dans la même maison.
- Je crois que ça va, me rassure Roméo en haussant les épaules. Il y a Michael maintenant, ça fait presque vingt ans qu'il est décédé. Elle a tourné la page sur le plan sentimental mais ça reste quelqu'un de notre famille, même si tu ne l'as pas connu.
Je hoche la tête et caresse doucement son genou quand je vois ses yeux devenir plus luisants, signe qu'il veut pleurer.
- J'ai tourné la page aussi, c'était quelqu'un de mauvais qui rabaissait maman tout le temps. Je ne t'en ai jamais parlé mais je pense que maman a vraiment eu le cœur brisé le soir de la mort de papa. Mais pas par sa mort.
Je ne dis rien et attends qu'il déballe tout, ma main toujours posée sur son genou. Zack m'a envoyé un message plus tôt dans l'après-midi pour me dire que Roméo est perturbé en ce moment. Il a peur pour tous les gens qui l'entoure, à croire qu'il faut attendre d'avoir 29 ans pour voir ses traumatismes ressurgir. Mon cœur se serre un peu plus dans ma poitrine, il est en train de me dégonfler. Comment je peux lui dire que j'ai un cancer qui risque d'avoir ma peau alors qu'il recommence à penser à la mort de son père dont la tombe a été taguée ? Je suis une horrible sœur.
- Ce soir-là, c'était pas lui. Il était totalement ailleurs, il était persuadé d'être suivit, qu'on lui voulait du mal. Il a crié sur maman qui voulait le rassurer et elle a eu peur. Elle lui a avoué que Gareth et Eden venait et c'est parti encore plus en couille. Je me souviendrais toujours du regard qu'elle m'a lancé. Je savais que peu importe la suite des évènements, elle allait enfin trouver le courage de le quitter.
- Roméo... tu te fais du mal en pensant à tout ça, je dis d'une voix douce mais assez puissante pour qu'on m'entende par-dessus la musique du club. Je sais que c'est traumatisant, je n'ai jamais eu à vivre cette peine encore. Mais ça fait des années maintenant.
Roméo rit jaune avant d'avaler son verre d'une traite et de demander un nouveau verre au barman plutôt vieux. Ses cheveux blonds font des drôles de mouvements quand il remue son shaker, si bien que je devine que se ne sont pas des vrais. Certaines filles rajoutaient des extensions à l'Opéra pour avoir un chignon parfait. Il serre le verre à mon frère bien trop silencieux, avant de repartir à ses occupations.
- Je m'inquiète pour toi, comme je me suis inquiété pour maman, il me dit finalement en plantant ses yeux bleus dans les miens. Je ne suis pas dupe, tu as le même regard que maman depuis que tu es rentré. Le même regard qu'elle m'a lancé alors que mon père quittait la maison bourré pour ne plus jamais revenir.
- C'est donc à ça que tu voulais en venir...
Il ne dit rien et se contente de me fixer, ses yeux remplit d'une tristesse qui me fend l'âme. Je déteste voir Roméo dans cet état. Roméo qui est l'éclat de lumière dans cette famille, celui qui rend tout joyeux alors que je suis la coincée de la famille. Je lui dois tout, ou au moins la vérité.
J'ouvre la bouche pour parler mais il me coupe en levant sa main devant moi.
- Avant, je veux juste te dire que je sais que quelque chose ne va pas. Je viens de te le dire mais je sais que ce n'est pas ta jambe, Vio'. Si c'était seulement ça, tu serais déjà sur le parquet de l'école de danse à te remettre en selle plutôt que de broyer du noir comme tu le fais maintenant. Tu es une battante. Mais depuis que tu es sorti de l'aéroport avec Eden, je ne te reconnais pas.
Aussitôt qu'il prononce ses paroles, mon nez se met à me piquer brusquement. Les larmes remplissent mes yeux mais je renifle, refuse de les laisser couler. Je me suis promis de rester forte, au moins devant ma famille pour qu'ils ne sombrent pas plus que moi. Eden est la seule personne devant qui je me suis autorisée de pleurer, et c'est la dernière.
Je souffle pour remettre mes idées en place, prends les mains de Roméo dans les miennes mais ce n'est pas assez. Une larme silencieuse s'échappe de mes yeux pour venir s'écouler sur ma joue, et le visage de Roméo change du tout au tout, passant d'inquiet à terrorisé. Je compte sur les doigts d'une main le nombre de fois où il m'a vu craquer.
- J'ai un cancer, Roméo. Le genre de cancer qui ne se soigne pas en un claquement de doigt.
Les larmes inondent mes joues à présent, et mon frère ne pleure pas. Il reste avec la même expression impassible, comme figé.
- C'est mes os, sans ma jambe cassée on n'aurait rien remarqué je pense. Enfin, pas de suite. Il n'y a que Eden qui est au courant, je vais tout dire à papa et maman ce weekend mais...
Je ravale un sanglot et attrape une serviette propre qui traine sur le comptoir, lâchant les mains de Roméo qui ne bougent pas malgré la perte de mon contact. Je me mouche et plie proprement le mouchoir blanc, avant de reprendre.
- Je vais me faire soigner. On m'a parlé de chimiothérapie peut-être d'opération. Il n'y a que mes poumons où c'est... plus compliqué.
- Tes poumons ? Lâche mon frère d'un ton aigu qui me glace le sang.
Son regard qui c'était perdu est de nouveau plus lucide, inondé de larmes comme moi. La bouche ouverte, on dirait qu'il essaye d'encaisser au mieux la nouvelle même si ce n'est pas le genre de chose que l'on assimile facilement. Je hoche la tête avec résignation, incapable de dire quelque chose de plus. De toute façon, c'est la première fois que j'arrive à dire autant d'éléments sur ce qui me ronge l'intérieur — littéralement.
- Tu ne vas pas me faire une Augustus, hein ? Arrive-t-il à articuler avec inquiétude.
Je souris doucement en entendant le nom d'un personnage de roman que l'on adore tous les deux, mais me trouve incapable de répondre. Parce qu'en vrai, j'en sais rien. Je peux mourir demain comme dans six ans. Faire une rechute ou ne jamais voir la sortie de l'hôpital. Tout est encore flou dans mon esprit, les médecins me traînent de rendez-vous en rendez-vous depuis des jours en me faisant des dizaines d'examens dont je n'ai aucun retour. Je ne sais rien de plus que lui. Seulement, le mot cancer est lui-même un cancer, vous mettant dans un cercueil entre quatre planches avant même que vous n'ayez vu la lumière.
Roméo devient blanc quand je ne lui trouve pas la force de répondre. Puis il se lève précipitamment en disant qu'il a besoin d'air. Je me lève à mon tour, essayant de le rattraper entre la foule de personnes mais il va trop vite. Les corps se pressent contre moi alors que je refoule mes larmes qui tombent sans cesser sur mes joues, j'essaye d'appeler Roméo mais les mots meurent avant même de sortir de ma gorge. Je le maudis d'avoir choisi le bar en face de la sortie, m'obligeant à contourner toutes les scènes du club de strip-tease. Personne ne s'arrête sur mon passage pour me demander si ça va, mais au moins personne ne vient coller ses parties génitales contre mon corps.
- Roméo, attends-moi, s'il-te-plaît.
Mes derniers mots ne sont qu'un souffle alors que je sens la panique me gagner. Mes larmes redoublent et je ne le trouve pas. Je ne suis pas petite en taille et Roméo est largement plus grand que moi, mais je ne vois plus ses boucles blondes dans la foule. Soudain, quelqu'un me percute sur le côté avec violence, déstabilisant mes appuis. Ma jambe blessée se tend, provoquant une douleur affreuse qui m'oblige à me laisser tomber comme une merde sur le sol. On s'écarte de moi pour me laisser tomber, sous le choc, mais heureusement pour moi personne ne m'observe comme une bête de foire. L'homme qui m'a bousculé s'excuse mille fois en m'aidant à me redresser, puis panique un peu plus en voyant mes yeux rouges et mon visage humide.
Je l'ignore et reprends ma route vers la sortie, boitant comme une idiote mais accueillant la douleur à bras ouvert, jusqu'à ce que je sente l'air frais de la nuit sécher mes joues et transpercer mon corps.
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