L'amour gagne toujours

Nate

Ça fait toujours bizarre de voir le Milady en pleine effervescence alors que nous ne sommes que lundi. Les corps se mêlent les uns aux autres dans des danses langoureuses qui hypnotisent chaque regard. Mes collègues se démènent pour attirer l'œil sur leurs figures de pole-dance tandis que les barmans sortent leur meilleur shaker pour faire voler les boissons.

Je me fraie un chemin jusqu'à un des bars où Greyson s'est posé avec son ordinateur. Je ne comprendrais jamais cette manie qu'il a de se mettre à bosser en plein dans la musique et la lumière, face aux clients. J'ai déjà vu son bureau et ce n'est pas si étouffant que ça mais bon.

J'arrive enfin à le rejoindre après avoir reçu quelques mains baladeuses sur les fleurs roses qui se dessinent sur mes côtes. Je ne sais pas pourquoi, mais maintenant que Violet sait que je les ai sur le corps, ça me dérange que quelqu'un d'autre qu'elle les touche. On en a déjà parlé, notamment au niveau de mon boulot et du fait que je ne peux pas le quitter comme ça, et ça ne la dérange pas vraiment comme elle connaît le milieu. La seule chose qu'elle m'a demandée, c'est d'arrêter les salons privés. D'où le fait que je cherche à joindre mon patron.

- Grey !

Il relève le nez avant de me sourire chaleureusement. Je m'installe en face de lui, le comptoir du bar nous séparant.

- Comment ça va Nate ? Hormis que tu offres de drôles de bol à ma femme...

- Elle l'a adoré ! Je sais qu'elle est fan de lingerie alors...

- Changeons de sujet, tu veux bien ?

Je ris doucement et remercie le barman qui m'amène un verre d'eau qui ne dure même pas une seconde. On se rend rarement compte qu'on a soif.

- Alors, quoi de neuf du coup ? Il faudra que tu me dises quand tu veux que ton contrat se finisse. Je sais que tu as un projet en cours mais si jamais tu as besoin d'aide, tu sais que tu peux compter sur moi.

- C'est gentil Grey, mais j'ai mis de côté depuis des années donc je pense m'en sortir. Et je viens te voir plus ou moins pour ça. Je ne veux pas arrêter de suite, comme tu le sais, par contre j'aimerais stopper les salons privés. Maintenant que je suis en couple, je ne me vois absolument pas continuer à coucher avec des gens.

- Je comprends, il n'y a aucun problème Nate, tu le sais. Les salons sont uniquement pour les volontaires.

J'acquiesce et réclame poliment un autre verre d'eau.

- Tu sors avec Violet du coup ?

- C'est ça.

- Et ça se passe bien ?

- Oui pourquoi ?

- Comme ça.

- Ok

Un blanc s'installe et on me sert le verre d'eau. Greyson finit de pianoter sur son clavier avant de reporter son attention sur moi. Ses sourcils se froncent en regardant par-dessus mon épaule puis il ouvre la bouche mais la referme aussitôt comme s'il cherchait ses mots. Punaise, pas de drames encore s'il vous plait, je commence enfin à trouver un semblant de normalité dans mon existence, ce n'est pas pour qu'il se passe encore des dingueries.

- Nate, est-ce que Roméo est au courant ?

- Oui pourquoi ?

- Il est derrière toi. Enfin, pas derrière derrière, mais il se dirige vers nous.

Je me retourne et en effet, le frère de ma copine arrive vers nous la tête un peu baissée en se tripotant les mains. Il n'a pas l'air à l'aise du tout. Je regarde autour de lui pour voir si Zack l'accompagne mais aucune trace de son homme. Pas de dinguerie aujourd'hui on a dit, je ne veux pas qu'il me casse la gueule sur mon lieu de travail.

- Bon, je vais vous laisser, lâche Grey en fermant son ordinateur.

Je lui supplie du regard de ne pas m'abandonner mais il me lance un petit clin d'œil avant de disparaître dans la foule. Lâcheur.

Roméo arrive vers moi, me dit un petit salut en s'asseyant à ma droite. Je lui réponds, un peu tendu malgré tout. Depuis deux jours, nous n'avons pas eu de ses nouvelles et ce n'est pas plus mal. Violet a beaucoup été affectée par le rejet de son frère et moi aussi, j'avoue. Nous savions que ça arriverait, mais nous ne nous attendions pas à quelque chose de si violent. J'ai encore des beaux bleus qu'Harper a pris le temps de maquiller tout à l'heure histoire d'être présentable au taff. Elle n'a pas trop cherché à avoir d'explications, mais elle a deviné par mes silences.

- Tu vas me casser la gueule ? Je finis par demander sachant que si personne ne crève le silence, nous allons rester là des heures.

Roméo relève la tête, et je remarque de grosses cernes sous ses yeux bleus. Mon meilleur ami se mine pour rien très souvent.

- Je suis désolé, finit-il par lâcher en soupirant.

- Je sais. Je sais, Rom'.

Un petit blanc se réinstalle mais il est nécessaire. Nous restons ainsi pendant quelques minutes jusqu'à ce que le barman nous coupe pour demander sa boisson à Roméo. Il commande un simple soda mais ne le boit pas. La paille semble plus intéressante pour jouer avec et s'occuper les mains.

- Je ne voulais pas réagir comme ça, tu le sais. Avec tout ce qu'il se passe, je ne sais plus quoi penser.

- Qu'est-ce qu'il se passe Rom' ? Si tu me dis que c'est Violet, tu mens. Son cancer n'est plus une excuse pour tes états d'âmes. Je sais que tu ne veux pas qu'on soit ensemble, mais delà à te défouler sur moi, ça ne te ressemble pas.

Une larme coule sur sa joue et il l'essuie du revers de la main très rapidement.

- On nous refuse l'adoption. Ça fait des années qu'on est en procédure et quand on touche enfin au but, on nous le refuse.

- Merde, je suis désolé Roméo. Si tu m'avais dit...

- Je sais, je sais. Je suis le fautif dans toute cette merde ! Mais je ne sais plus quoi faire ni ou aller. Zack est un amour, il remonte bien la pente mais moi ? Je m'enfonce un peu plus chaque jour.

- Mais pourquoi tu ne nous en parles pas ? À moi, ta sœur ou tes parents, peu importe. On est là pour toi tu sais.

Il renifle puis boit une gorgée. Ça me fait mal de le voir comme ça mais hormis montrer mon soutien, je ne peux rien faire de plus.

- Je ne me sens pas légitime.

- Comment ça ?

- Violet a eu un cancer, mec. Comment tu veux que je me plaigne alors que je suis en vie ?

Oh merde, il se compare. J'ai déjà vécu ça vers l'adolescence quand il y avait des jours plus durs que d'autres, où je me disais que je n'avais pas le droit d'être triste car je suis en vie et en bonne santé. Mais ce n'est pas comparable.

- Roméo, tu as le droit d'avoir tes soucis. Violet t'en voudrait si tu penses ça. Elle est en vie, certes. Elle a vécu des choses difficiles, c'est un fait. Mais tout ce qu'elle souhaite c'est être entourée. J'ai mis du temps à le comprendre, à le voir. Tu le sais mieux que quiconque, je lui en ai voulu de tous nous abandonner. Mais en parlant avec elle, en essayant d'éclairer le passé, je me suis rendu compte qu'elle souhaite juste le meilleur pour nous tous. Maintenant que sa carrière est morte, elle se donnerait corps et âme pour vous. Parle-lui. Tu lui fais du mal à garder ça pour toi, et tu me blesses aussi à croire que tu ne devrais pas nous en parler. On est plus fort que ça quand même, on en a vu d'autres des mauvaises nouvelles. Je serais toujours là pour toi mon pote, ne l'oublie jamais.

Les larmes dévalent les joues de Roméo alors j'ouvre les bras pour qu'il vienne. Nous nous serons l'un à l'autre, la première fois depuis des mois, et je sens qu'une partie de son fardeau se libère. Je m'en veux de ne pas avoir été là pour lui, mais on ne peut rien faire pour quelqu'un qui ne veut pas être aidé. Maintenant qu'il a ouvert les yeux, on va rejoindre Violet. Ils ont des tas de choses à s'expliquer.