Chapitre 5

...Y'a du blanc, y'a du rouge, du saucisson.

Nate

Je salue le videur qui se tient face au Milady's d'un coup de tête mais il s'interpose entre la porte d'entrée aux motifs chelous d'un gris brillant et moi. Le colosse croise les bras en levant un sourcil de son air supérieur, l'air de dire « qu'est-ce que tu fous, fiston ? ». Je souffle bruyamment en cherchant dans ma poche mon portefeuille histoire de lui prouver mon âge mais ma main ne trouve rien d'autre que le tissu de mon jean. Le torse bombé et fier, le videur me tient tête. Il se redresse encore plus uniquement pour prouver qu'il fait un bon deux mètres mais ne dit pas un mot bizarrement.

—    Je taffe ici, déclaré-je avec arrogance, trop agacé pour être aimable.

—    C'est ça ouais, et moi je suis la reine d'Angleterre, réplique le colosse avec un demi-sourire. Va voir ailleurs si tu ne trouves pas des nanas de ton âge à baiser. Ici, c'est pour les grandes personnes.

Il se fout de ma gueule. Je veux bien croire que je n'ai pas la gueule à travailler dans un club de strip-tease, mais j'ai presque trente piges, merde ! C'est incroyable que Greyson ne lui ait pas parlé de moi. Enfin, je ne veux pas me venter, mais il sait que je suis de retour en ville, le minimum c'est de prévenir la sécurité pour qu'on me laisse entrer. Je fouille rapidement une nouvelle fois dans mes poches pour vérifier que je n'ai pas un vieux truc qui traine et qui puisse prouver mon discours, mais rien du tout. En même temps je n'avais pas prévu qu'on contrôle mon identité pour aller au taff.

—    Mec, je m'appelle Nate Howard, tu dois savoir qui je suis, nan ? Je bosse dans trente minutes, je suis en retard de ouf. J'étais au club de New-York y a encore quelques jours, faut que tu me croies. Je suis largement majeur, tu peux demander à n'importe qui là-dedans.

—    Un mec comme toi au club de New-York, c'est vrai que tu fais un peu maso sur les bords malgré tes airs d'enfants.

Je tire une grimace face à se remarque très déplacée. Le nombre de personnes qui pensent que mon physique détermine ce que je fais, c'est impressionnant. À New-York, il suffisait qu'une femme ou un homme avec du latex sur le corps voit mes tatouages et c'était mort, je me retrouvais dans une salle cheloue à faire des choses répugnantes. Je me suis fais avoir deux fois, après je stoppais directement quand je voyais un bout de cuir ou de latex. Plus jamais.

Depuis ce que j'ai été victime de ce genres comportements, j'évite de juger les gens au physique même si parfois, c'est plus fort que nous. On a besoin de ça pour se rassurer je pense.

Pas le choix, donc. Je prends mon téléphone, tape le numéro d'Harper que je connais par cœur à force de la composer depuis mon enfance et le colle à mon oreille dans l'espoir qu'elle décroche. Je n'ai même pas à attendre deux sonneries pour qu'elle me réponde.

—    Nate ? j'entends sa voix claire demander par-dessus les pleurs d'une petite fille. Excuse-moi, Mia n'est pas dans un bon jour elle hurle à la mort pour rien depuis ce matin. Punaise, elle a dix ans pourtant ! On n'est pas censé être presque adulte à cet âge là ? Je n'en sais rien en fait, j'ai tellement hâte que Grey rentre de je ne sais plus où ce soir. Je vais m'arracher les cheveux si elle continue. Même les Ratz ne fonctionnent plus sur elle, tu te rends compte !!

—    Pas de panique à bord, je dis dans un petit ricanement. Je bosse ce soir donc sorry, tu vas devoir t'arracher les cheveux et avoir le générique dans la tête pendant trois ans. Et en parlant de ça, le videur incompétent me casse les couilles depuis dix minutes. Il ne veut pas que j'entre, askip j'ai trop une tête de sado-maso.

—    Lois ? Ça ne m'étonne pas, soupire mon amie. Parfois, Michael me manque profondément. Passe-le-moi, s'il-te-plaît.

Avec insolence, je passe mon téléphone à Lois-le-videur-qui-casse-les-couilles. Il hésite puis observe le nom affiché sur le téléphone et quand il se rend compte que sa patronne est à l'autre bout du fil, il s'empresse de prendre l'engin en manquant de le faire tomber, puis commence à discuter avec Harper. Son ton tremblant me fait jubiler.

Depuis quelques années maintenant, Harper a pris une part dans l'entreprise de Greyson, surtout en soutien après l'ouverture d'une cinquantaine d'établissements dans le monde entier. Elle enchaine entre les cours qu'elle donne à la fac, la gestion de l'entreprise, et les enfants. Elle se plaint tout le temps mais je la laisse faire, elle mérite de se plaindre. Sa vie n'a jamais été rose, alors maintenant que je la vois épanouie dans tout ce qu'elle fait, je suis heureux pour elle. Elle est brillante, mais elle n'arrive pas à le voir.

Lois me repasse le téléphone, la main un peu tremblante, son sourire idiot disparu de son visage carré.

—    Tu es là Nate ? demande Harper en criant presque dans le haut parleur.

—    Oui, c'est moi.

—    Mais qu'il est con ! Aussi idiot que ceux qui pensent que la Terre est plate ou qu'Armstrong n'est pas allé sur la lune ! Je demanderai à Grey pourquoi on a embauché ce mec.

Je ris doucement avant de reprendre. Le pauvre Lois semble super blanc, son visage est décomposé.

—    Je ne sais pas ce que tu lui as dis, Harper, mais il a le mérite de faire son travail. Certes il ne se comporte pas très bien, mais au moins il travaille.

—    Tu es trop gentil Nate, tu l'as toujours été. Je suis d'accord avec toi, mais te traiter de maso simplement parce que tu es tatoué, je n'accepte pas. Tu es mon préféré je te rappelle.

—    Arrête de dire ça Harper, bon je te laisse sinon je vais vraiment être en retard. En plus, les gens commencent déjà à venir faire la queue devant le club.

—    Pas de soucis mon chéri, travaille bien. Et n'oublie pas...

—    Mmh ?

—    L'appel du pipou est plus fort que tout !

Je raccroche avec un petit sourire sur le visage tout de même. Des années que cette blague dure entre nous, des années qu'elle me fait autant sourire. Je range mon portable et Lois s'écarte de la fameuse porte pour me laisser passer.

—    Pardon... dit-il si doucement que je ne l'entends presque pas.

Je ne prends pas la peine de répondre et me contente d'entrer dans le club avec empressement. Avec ces conneries, j'ai plus que quinze minutes pour me préparer. Je passe à travers le long couloir coloré où des centaines de tags, de mots et de néons s'emmêlent pour former l'essence même du club, puis déboule dans la grande salle où se passe la majorité de la soirée. Plusieurs barmans sont déjà en action, préparant leur service, ainsi que quelques collègues qui s'échauffent sur les barres. Certains me reconnaissent donc me disent brièvement bonjour, mais je ne suis assez proche de personne pour qu'ils viennent me voir directement. Je fonce aux vestiaires des hommes, ouvre mon casier et sourit en remarquant que tout y est encore. Les photos avec Roméo puis Zack, les petits mots d'Harper qu'elle me fait avant une représentation, la proposition écrite de Greyson pour me muter à New-York. Les magnets que m'envoient maman et John par la poste, les autocollants du Anita's Coffee Shop, un dessin de Lola, un autre de Gareth. Puis mon regard s'arrête sur une dernière photo. Celle que je pensais avoir jetée depuis longtemps.

Violet en plein entraînement de danse, concentrée comme jamais, puis la deuxième à côté où elle découvre qu'on la prise en photo. Ce jour-là, Roméo et moi voulions l'embêter un peu vu le temps qu'elle passait à travailler. Un violent pincement dans mon cœur me ramène à la réalité, me tirant un râle rageur.

Je secoue la tête, attrape vite mon pantalon de travail et referme mon casier avec violence. J'enlève mon t-shirt que je balance sur le banc, ainsi que mon bas que je remplace vite. Quand j'ai fini, j'attrape un petit pot contenant des paillettes dorées puis badigeonne mon torse de la substance. Je m'aide d'un miroir pour n'oublier aucune zone, et c'est le moment que choisit un barman pour rentrer dans la pièce. Il m'observe un instant derrière moi, je vois juste son reflet dans le miroir.

—    Ta gueule me dit quelque chose, déclare-t-il en plissant les yeux.

Sa gueule me dit quelque chose aussi mais elle ne me revient pas. Je suis incapable de me rappeler de son prénom. Le blond s'approche de l'autre miroir puis décolle littéralement ses cheveux. Enfin, pas tous non : il décolle le dessus de ses cheveux, révélant un crâne lisse et juste des cheveux en couronne. Il recolle sa perruque bien droite, coiffe un petit peu et les cheveux se fondent parfaitement avec les réels. Je reste sidéré, à l'observer comme un idiot alors qu'il s'admire en prenant plusieurs poses comme les « go muscu » à la salle. J'ai presque envie de lui faire remarquer qu'on voit bien ses injections au visage — des pommettes plus grosses que celles de David Guetta, je pensais que c'était impossible — et que sa peau commence à tomber au niveau des bras.

Je pense qu'il doit facilement avoir cinquante ans, ses yeux fatigués et son débardeur trop serré le trahissent. Ça fait presque de la peine parce que sans tout ça, il ne devait pas être si vilain, mais toute cette chirurgie ratée se voit trop. Après, tant que ça lui plait, moi je m'en fous, je constate juste.

—    Je m'appelle Nate, je réponds un peu plus tard en me re-concentrant sur moi-même.

Je le vois tourner la tête, regarder avec insistance les tatouages qui recouvrent mes bras, mon torse et mon dos, puis il se penche plus bas.

—    T'en a sur la bite ? demande-t-il sans gêne en passant un peigne dans sa petite barbe.

Je repose le pot de paillettes, repense à ce qu'il vient de me dire, puis tire une grimace mécontente.

—    T'es trop bizarre comme vieux, déclaré-je finalement en allant plier les vêtements que j'ai balancé en vrac.

Si je lui dis que oui, j'ai peur qu'il me demande de me foutre à poil. Non pas que je suis pudique, mais j'ai des limites comme le commun des mortels.

—    Je m'appelle Jason, je suis le plus classe de ce club donc respecte-moi.

—    T'es un alpha ? Très vibe « mauvaise nouvelle, on ne peut pas plaire à tout le monde ».

Le vieux se retourne pour m'observer, ne comprenant pas un seul mot de ce que je viens de dire. Je ricane puis me dirige vers la porte.

—    Excuse-moi, t'es trop vieux pour avoir la référence. Et pas assez cultivé, c'est français.

—    Parce que tu parles français toi, mon cul oui.

—    Je suis le fils de Courtney Howard, tu dois connaitre ma tante, Harper ? Je vais me faire un plaisir de lui raconter quelle merveilleuse perruque tu portes.

Jason se décompose comme le videur de tout à l'heure, sa peau bronzée — trop bronzée, comme celle des vieux qui vont cramer volontairement à la plage — pâlit fortement.

—    Bonne soirée, finis-je par dire en passant définitivement la porte.

Jason, c'est vrai que maintenant qu'il le dit, je me souviens de ce bouffon. Le pauvre a fait toute sa carrière ici, essayant de draguer toutes les femmes qui passent la porte. J'espère qu'à son âge, j'aurais au moins une famille et des enfants, que je ne serais pas encore là, à coucher n'importe quand en essayant d'attraper des femmes de vingt ans. Mais après tout, chacun son choix de vie. S'il est heureux comme ça, soit, mais mon instinct me hurle que ce n'est pas le cas.

***

J'aperçois une tête blonde à un des bars ainsi qu'un imposant homme à la peau foncée, les deux enlacés malgré des tabourets différents. Je m'approche d'eux en repoussant quelques femmes un peu éméchées, sans pour autant les frustrer. Ça serait bête d'avoir de mauvais commentaires sur Google alors que je viens juste de revenir.

Depuis deux heures que le club a ouvert, je ne me suis pas ennuyé une seule fois. Si l'ambiance est beaucoup plus tranquille et moins outrageuse que ce dont j'ai l'habitude, j'apprécie cette forme de calme qui me permet d'être plus concentré sur la performance artistique et non le sexe en excès. Ici, même pas de gens qui commencent à coucher sur des tables devant tout le monde, c'est le pied ! Je ne savais pas qu'on pouvait trouver bizarre de ne pas assister à une orgie publique.

Zack est le premier à me remarquer car il me fait un grand signe de la main. Roméo tourne la tête, et un grand sourire s'affiche sur son doux visage. Parce que oui, Roméo est la définition de la douceur quand on le connait bien. S'il peut être têtu et dur par moment, je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi gentil. Je ne remercierais jamais assez ses parents pour avoir déménagé et qu'on ait fini dans le même bahut.

—    Comment ça va, Nate ! s'exclame mon ami en descendant de son tabouret pour m'enlacer. Putain, ça fait plaisir de te voir.

Je le serre doucement aussi, puis il s'écarte pour me laisser saluer Zack. Nous nous checkons comme des adolescents avec une danse qu'on a inventée, heureux de constater qu'on s'en souvient parfaitement.

Les garçons se réinstallent et j'attrape un siège vide pour me poser avec eux.

—    Comment ça va vous deux ? questionné-je à mon tour. Moi ça va super même si je suis un peu crevé.

—    Nous ça va, on travaille pas mal en ce moment mais c'est le prix à payer quand on lance une boite. Mais on ne se plaint pas, ça marche plutôt bien, m'explique Roméo en prenant la main de Zack dans la sienne.

Depuis un an, Zack et lui se sont lancé dans un pari idiot mais qui marche : créer une boite d'événementiel. Après avoir visionné une dizaine de films de Noël où les personnages ont une boite de décoration de Noël, Roméo a voulu faire la même chose. Alors à Noël comme toute l'année, ils organisent tous les genres d'évènements.

Vous auriez dû voir leur mariage, ils sont légitimes de faire ce métier.

—    Je suis heureux pour vous, continué-je en commandant deux verres pour leur offrir.

—    Tu n'étais pas obligé, réplique Zack, un peu gêné que je leur offre un verre.

—    Arrête d'être rabat-joie, le réprimande son mari. Il revient de New-York, il nous doit ce verre ! En plus on a un autre truc à fêter ! Barman, rajoutez un verre soft pour cet idiot de Nate.

Je n'ai pas le temps de refuser qu'on me tend déjà le soda. Autre chose à fêter ? Peut-être qu'ils ont réussi à adopter un enfant ? Je sais que Zack m'a fait part de ce souhait il y a quelques temps maintenant, mais recourir à une mère porteuse ou même à adopter un enfant est un vrai casse-tête administratif qui les désespère. Ou alors ils veulent simplement fêter le succès de leur entreprise ? Pourquoi pas après tout.

—    À votre entreprise, dis-je avec gaieté en pensant que c'est la meilleure raison mais Roméo fait vite une grimace.

—    Mais non, on parle du retour de ma sœur ! Je sais que c'est un peu bizarre entre vous depuis quelques temps, mais c'est l'occasion de renouer. En plus, elle est un peu bizarre en ce moment et...

Je décroche totalement alors qu'il me parle normalement de Violet, comme si de rien n'était. Si je m'attendais à ça... C'est presque étonnant de la part de mon ami, il sait que j'évite au maximum le sujet Violet et là, il le pose sur la table comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Zack me jette un regard de côté et ses yeux expriment sa tension quand il voit ma tête. Même lui doit être surpris du terrain sur lequel se lance son frère.

Roméo trinque avec nous avant de boire une gorgée de sa bière. Zack l'imite avec un peu de retrait et moi je bois d'une traite mon soda. Sans lui laisser le temps de renchérir sur le sujet, je me lève et m'excuse de les abandonner. Le travail m'attend et une pause pisse s'impose.

Roméo comprend et me salue comme son mari, puis je m'empresse de fuir vers le vestiaire. Je n'ai absolument pas envie de pisser. Je fouille dans mon casier pour sortir une clope et un feu, ainsi que mon téléphone portable. Je sors, fonce à travers le couloir, la grande salle, l'autre couloir, jusqu'à sentir l'air frais de la nuit sur ma peau nue. Autour de moi, quelques personnes fument aussi ou discutent avec Lois-le-videur-plus-ou-moins-compétant-mais-idiot et me trouve un côté près du petit parking, où je m'assoie le long du mur.

J'allume ma clope et profite de la nicotine qui rentre dans mes poumons. La première taffe est toujours la meilleure.

Mon téléphone se met à vibrer, m'annonçant un message de Zack. Je l'ouvre, un peu anxieux, et lit rapidement.


« Désolé pour Roméo, il est bizarre depuis que sa sœur est rentrée. Il est persuadé qu'elle cache quelque chose alors il se rassure comme il peut. Elle s'est juste cassé la jambe, il en fait tout un plat, bref. Bon taff »

Il en fait tout un plat. Zack a raison. Je me suis cassé des tas d'os dans ma vie, et pourtant tout va bien. Je me doute que Violet doit être chamboulée de rentrer, surtout si sa carrière de danseuse en pâtit. Mais j'en ai rien à foutre, en fait.

Je sais que mon meilleur pote à besoin de moi, d'être rassuré. Mais pour ce sujet là, désolé frérot, tu devras te contenter de ton mec.

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