Chapitre 4

Un chauve et 26 rides

Violet

Anxieuse, je commence à mon ronger les peaux de mes doigts histoire de faire passer le temps, mais Eden m'en empêche en prenant délicatement ma main blessée dans la sienne. Je tourne lentement la tête vers elle et vois un tendre sourire plaqué sur ses lèvres. Pour elle aussi, ça ne doit pas être évident.

Du bout du pouce, elle commence à faire de petits gestes circulaires qui me détendent instantanément et m'éloignent de cette angoisse qui grandit au fond de moi.

Dans cette pièce d'hôpital aux allures froides et hostiles, je sens la mort qui pèse autour de moi comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Ici, un certain silence menaçant nous entoure de ses crocs acérés, et seul les bips sonores de l'hôpital nous rappellent que nous avons un cœur qui bat. Parce que le mien, je ne l'entends plus depuis un moment.

Après avoir passé un hémogramme en France ainsi qu'une première imagerie de ma jambe, le médecin qui m'a pris en charge a tenu à me faire repasser une radiographie de l'os en plus d'un TDM du thorax. Il ne m'a pas trop donné de détail mais si on sait que j'ai une tumeur, il faut maintenant s'assurer qu'elle ne s'est pas propagée. Parce que le plus gros risque que je puisse avoir, c'est que le sarcome touche mes poumons.

Et alors là, ciao Violet.

— Tu es stressée, constate Eden en parlant tout bas. Moi aussi. Je n'ai pas trop compris son histoire d'hémoglobine tout à l'heure. Il parlait de sang et... j'ai des mauvais souvenirs, mon cerveau a décroché, excuse-moi.

— Ne t'en fais pas, répliqué-je en haussant les épaules, moi non plus je n'ai rien compris. Je pense qu'il faisait exprès de nous noyer pour attendre d'avoir l'ensemble des examens sous la main. Tu sais, pas facile d'annoncer une mauvaise nouvelle.

— Violet Davis ! Je t'interdis de dire ce genre de choses ! Si j'ai survécu à un accident de moto et qu'Harper a survécu à une tentative de suicide, je ne vois pas pourquoi tu ne vaincrais pas un cancer !

Cancer. L'entendre à voix haute est encore plus douloureux que d'en avoir conscience. Parce que cette putain de merde est en train de détruire mes os et ma vie au passage.

Soudain, j'entends une porte s'ouvrir brusquement sur un petit homme au crâne dégarni qui a le nez dans des papiers. Son expression est neutre malgré les rides qui strient son visage, mais mon angoisse double en devinant qu'il a mes résultats entre les mains. C'est maintenant que tout se joue.

— Mlle Davis, me salue-t-il en rejoignant le bureau qui se trouve en face de moi. Veuillez nous excuser, le docteur Jones a eu une urgence, c'est donc moi qui reprends votre dossier. Docteur Smith, enchanté.

— De même, marmonné-je.

Je ne sais pas si le mot enchanté est très approprié pour ce genre de situation. Je veux bien être aimable lors de mes rendez-vous, mais qu'il ne pense pas que c'est une partie de plaisir. Je préfère largement rentrer en France, danser sur une scène devant une centaine de spectateur plutôt que d'être ici, coincée à faire des dizaines d'IRM pour éviter de finir chez Philippe Boxho.

— Bon, je ne vais pas passer par quatre chemins, nous annonce-t-il en massant son front ridé. Mon collègue n'aime pas se précipiter et ça peut être un avantage. Dans le cas actuel, je pense qu'il a minimisé votre état.

Comment ça minimisé mon état ? Il se rend compte de ce qu'il dit ? Je vais mourir, c'est sûr en fait. Ma gorge commence à se serrer et les larmes me montent aux yeux mais je reste forte. La main d'Eden sur la mienne me permet de rester encrée à la réalité.

— Vous avez fait quelques analyses en France qui ont mis énormément de temps, sûrement à cause des rendez-vous qui deviennent de plus en plus compliqués à obtenir dans notre corps de métier. Seulement voilà, on vous a diagnostiqué un sarcome d'Ewing notamment au niveau de la jambe, et c'est le cas. La tumeur est bien présente et fragilise vos os. La question maintenant était de savoir est-ce qu'il est seul, ou est-ce qu'on a affaire à un sarcome qui se propage.

Je crois que je vais vomir.

— Je suis désolé Mlle Davis, vos poumons sont probablement atteints. Nous allons faire le nécessaire pour ralentir votre cas, notamment en envisageant la chirurgie, la radiothérapie voire la chimiothérapie selon ce que nous ferons. Il faudra faire un complément d'examens cette semaine, notamment une biopsie, une ponction de la moelle osseuse, une...

Mon cerveau arrête d'écouter tout comme mon cœur arrête de battre. Mes pires cauchemars se réveillent et l'hôpital plante ses crocs en plein dans ma jugulaire. J'étouffe. Je ne peux plus respirer. L'air manque à mes poumons les efforts que je fais pour m'en sortir. J'entends des voix qui me parlent, j'entends du monde entrer dans la pièce. Les visages se brouillent, des larmes silencieuses coulent sur mes joues, et le noir s'abat sur moi une nouvelle fois.

***

Quand nous sortons de l'hôpital, je me sens vide. Comme si l'entièreté de ma vie avait été balayée par un gros coup de vent, détruisant tout sur son passage. Je monte machinalement dans la voiture d'Eden. Elle aussi est silencieuse. Depuis mon malaise il y a quelques minutes, elle me répète sans cesse que je dois le dire à mes parents. Je ne lui ai jamais répondu.

Après m'avoir donné du sucre et repris ma tension, le médecin m'a offert une jolie liste de rendez-vous auxquels je suis bien évidemment conviée. Eden met le contact sans un bruit, puis sort du parking de l'hôpital. Au final, c'est moi qui trouve la force de parler pour briser ce silence qui commence à me peser.

— Je vais mourir, Eden, dis-je tout bas en me retenant de pleurer.

Ma tante tourne vivement la tête, s'en foutant de quitter la route des yeux.

— Ne dit pas ça Violet — sa voix est remplie de douleur — on va trouver une solution. Ils soignent bien ce genre de choses maintenant.

Elle se concentre de nouveau sur la route, évitant de justesse un vélo un peu trop téméraire. Je vois que ses yeux sont remplis de larmes mais aucun gémissement ne sort. Comme moi.

— C'est dans mes poumons, déclaré-je finalement en riant d'ironie. Si je ne m'étais pas cassée la jambe on n'aurait pas su et je serais morte. Et même là c'est trop tard.

— Ma chérie, il n'a pas dit que c'était trop tard. Ils vont tout faire pour que ça se passe bien. On refait le monde avec des si, alors ne pense pas à ce qui aurait pu se passer, pense à ce qu'il se passe.

Ma gorge est si nouée que je n'arrive pas à lui répondre. Elle nie l'évidence et ça me fait mal. Dans ma tête, un seul mot tourne en boucle : métastatique.

La dernière chose que j'arrive à dire avant que ma tante ne me ramène chez moi, c'est :
— Je vais perdre mes cheveux...

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