Chapitre 37

Pas un poil sur le caillou.

Violet

Le soleil entre doucement par la fenêtre mais je ne sais pas où je suis. Lentement, je me frotte les yeux, ça me brûle, mais tant pis. Les souvenirs de la veille reviennent doucement, me rappelant mes pleurs dans les bras de Nate. Tout s'explique.

Quand je suis assez réveillée pour les ouvrir pleinement, je mets quelques minutes avant de reconnaitre l'endroit. Pour mon cerveau, c'est juste un endroit blanc qui ne ressemble absolument pas à ma chambre. Mes draps fleuris ont disparu tout comme cette immonde affiche de Justin Bieber qui date de mon adolescence.

Malgré tout, mon cœur n'a pas l'air de vouloir d'affoler pendant le temps qu'il a mis à reconnaitre la pièce... Tout ce qui me revient de cette nuit y est sûrement pour quelque chose.

Je baille puis m'étire un peu, mon membre fantôme me fait super mal ce qui me ramène vite à la réalité. Je ne peux rien y faire de toute façon, mais la douleur est si puissante que je décide de rester dans le lit le temps qu'elle s'amenuise. Ça peut prendre des heures, mais avec un peu de bol, ça partira vite. Je commence à m'habituer à cette douleur intense qui me pince les nerfs sans aucune raison, ça me fait presque flipper d'en arriver à ce stade. Mais de toute façon, ce n'est pas comme si je pouvais recoller ma jambe et faire comme si rien de tout ça ne c'était passé.

Une odeur de pancake vient titiller mes narines, et j'en oublie presque ma jambe tellement mon ventre hurle famine. La porte de la chambre est ouverte et Nate n'est pas dans le lit à mes côtés. La place est vide, froide. Je crois que nous nous sommes vites endormis hier soir, mais je ne me souviens pas bien de tout — ou du moins je ne me souviens pas de m'être endormie. Je me rappelle les bras de Nate autour de moi, de mon coussin trempé de larmes et mon cerveau incohérent et de la légère honte que je ressentais, c'est tout. Même si je n'ai pas le souvenir de toutes nos conversations, je me sens plus légère, comme si un poids invisible avait quitté mes épaules. Pleurer dans les bras de quelqu'un est peut-être la meilleure des thérapies finalement. J'en parlerai à mon psy incompétent.

Je décide de me lever malgré tout, trop impatiente pour attendre que la douleur disparaisse. La lumière qui perce la porte pour rentrer dans la chambre me donne envie de la suivre, mais aussi de rejoindre cette odeur qui a ouvert mon appétit. Je sais que Nate est doué pour beaucoup de choses, alors j'espère que ses pancakes seront à la hauteur de mes espérances.

Je me glisse hors du lit en profitant des draps propres qui n'accrochent pas à ma peau mais pendant deux secondes, j'oublie un léger détail tant la nourriture est le centre de mon esprit et de ma motivation. Mais quand je dis léger, c'est très léger — évidemment. Je me rétame au sol de tout mon long sur le parquet, comme une débile, me rappelant au dernier moment ce léger détail qui pourtant change tout.

Eh oui, madame a mal mais madame oublie qu'elle n'a qu'une jambe sur laquelle s'appuyer. Je soupire longuement puis rage seule sur le sol en me traitant de tous les noms. Quelqu'un déboule en courant au même moment, jusqu'à me trouver sur le sol en étoile de mer, la tête contre le parquet.

- Ça va Violet ?! Me demande Nate en s'agenouillant, paniqué.

- Hum hum...

Je marmonne en restant dans cette position. Si je reste comme ça, il va lâcher le morceau et peut-être que ma honte disparaîtra comme mon corps. Je suis le parquet et le parquet est moi.

- Tu veux que je t'aide ? continue-t-il, hésitant cette fois.

- Non, ça va. Ne me regarde pas je dois être hideuse et toute décoif-...

Je m'interromps, relève lentement la tête les joues brûlantes, et Nate me regarde avec des yeux ronds et brillants. Je suis débile. Je suis totalement débile. Nate éclate de rire à en pleurer face à ma connerie, puis me rassure en disant que mon crâne n'est pas décoiffé, non. J'accepte la main qui me tend pour me relever, sans que je dise un mot car de toute façon, il est plié de rire. Même dans mes plus vieux souvenirs, je ne me souviens pas de l'avoir vu rire autant.

Il me prend par la taille pour soutenir mon poids et mon déséquilibre sans cesser de rire, puis j'attrape les béquilles qui sont restées dans un coin. Une fois ma dignité à peut-près retrouvée, je le suis dans la cuisine, orientée par le bruit de son fou rire qui ne se calme pas. J'avoue que je lâche un sourire en l'entendant comme ça.

Décoiffée, et puis quoi encore...

Nate préparait en effet des pancakes et un petit déjeuné digne des plus grands. Oranges pressées, confitures, beurre ou sirop d'érable : tout ce qu'un féru de nourriture rêverait de voir réuni sur cette table. Je m'assoie délicatement sur un tabouret en hauteur, me lèchent déjà les babines en voyant tout ce joli festin.

Hormis le fait qu'il a dû penser qu'on était quinze plutôt que deux, je pense pouvoir manger la moitié de ce qu'il y a là sans problème.

- Serre-toi, me propose-t-il en séchant ses larmes. Désolé, j'espère que tu ne t'es pas fait mal mais que tu as faim.

- Non, ça va. J'ai oublié ma jambe, ça m'arrive souvent. Enfin, je sais que ma jambe n'est pas là mais quand je me relève, je mets la moitié de mon poids sur le vide donc je tombe. Ce n'est pas la première fois. À force, je ne fais même plus attention quand je tombe, j'ai des bleus partout...

Nate lâche un petit rire avant de poser le dernier pancake sur la pile déjà bien haute. D'un coup de tête, il me demande silencieusement si j'en veux et je réponds par la positive. À moi le sirop d'érable !

- Merci pour tout ça, je m'exclame en me servant un verre de jus. Je n'ai pas souvent faim avec la radiothérapie et tout ça mais comme je suis sûr la fin, l'appétit revient au galop.

- Je t'en pris. Je n'arrivais pas à me rendormir alors je me suis dit que tu apprécierais ce petit déj', surtout après la soirée qu'on vient de passer.

- C'est clair...

Il pose devant moi deux pancakes dans une jolie assiette en céramique puis je badigeonne le tout de sirop d'érable et d'une banane que je coupe en morceau. Nate se contente de mordre dans un nature alors qu'il tartine un autre de chocolat. Nous mangeons en silence avec avidité, dévorant ce que Nate nous a préparé. Ce calme n'est pas du tout dérangeant, bien au contraire. Chacun mange dans son coin en se souriant de temps à autre, aucune gêne ou aucun malaise.

Après tout, Nate et moi nous connaissons depuis tellement de temps maintenant qu'il en faudra beaucoup plus pour nous gêner. La seule chose susceptible d'être compliquée, c'est une dispute. Mais même après trois ans à se parler très rarement, je viens de me rendre compte qu'il me manquait peut-être un peu, en effet. Notre brouille était justifiée, mais s'il n'avait pas fait un pas vers moi pour qu'on s'excuse mutuellement, est-ce qu'on se serait pardonné ? Est-ce que si je n'avais jamais découvert mon cancer, je serais morte sans avoir pu tourner la page sur cette soirée qui a changée notre relation ?

De toute façon, il y a trop de questions non élucidées dont on aura jamais la réponse. Le principal, c'est que je sois là, chez lui en vie, en train de défoncer le plateau de pancake. Si le cancer m'a bien prouvé une chose depuis des mois, c'est que la vie est trop courte pour en vouloir à ceux qu'on aime.

- Tu en veux encore ? me demande-t-il en se levant pour commencer à débarrasser.

- Non, c'est bon, merci. Je vais t'aider.

Je fais un geste pour me lever mais il me lance un regard noir. Au même moment, mon téléphone dont j'avais totalement oublié l'existence sonne. C'est Roméo.

- Décroche, je débarrasse, reprend Nate avec un sourire victorieux sur le visage.

Je lève les yeux au ciel et tente de masquer un peu ma gêne aussi, puis décroche pour entendre la voix enjouée de mon frère. Décidément, il peut passer rapidement d'un extrême à l'autre celui-là.

- Coucou Vio', comment ça va ? Maman a été prévenue par Eden pour la soirée qui a mal tournée. Tu es bien chez Nate là, hein ?

- Salut frangin, et oui ne t'en fait pas je suis chez ton pote. On mangeait tranquillement.

- T'as besoin que je vienne te chercher peut-être ? J'ai un évènement à midi donc c'est maintenant ou jamais.

Zut, je ne suis pas du tout en tenue pour que mon frère vienne me chercher. Habillée comme ça, il va penser que j'ai fait quelque chose avec Nate et quand c'est le cas... Je secoue vivement la tête pour empêcher les souvenirs de remonter puis soupire trop doucement, juste pour ne pas qu'il m'entende.

- Ne t'en fais pas, je réponds sur le même ton enjoué que mon frère, Nate va me déposer au café ou chez les parents dans la journée. Et puis j'ai rééducation cette aprèm, donc voilà...

- Ok...

Il a l'air déçu. C'est vrai qu'on ne se voit pas souvent en ce moment, encore moins que quand j'habitais à Paris, mais vu ses comportements brutaux qui me blessent facilement, ce n'est pas plus mal. J'aime Roméo de tout mon cœur, mais parfois il se comporte vraiment comme un enfant à qui on a refusé un jouet.

- Bon, je te laisse avec Nate alors... Je peux l'avoir au téléphone s'il-te-plaît ?

- Pas de soucis.

Je me lève et passe le téléphone à Nate qui ne semble pas surpris le moins du monde. Ce n'est pas la première fois que Roméo demande de parler à la personne avec qui je suis. Peut-être que c'est censé être un acte protecteur ou je ne sais quoi, mais bon. Si ça lui fait plaisir...

Je profite de ce moment pour m'éclipser et squatter la salle de bain le temps que les deux amis finissent de discuter. Je me douche rapidement, me brosse les dents avec mon doigt à défaut d'avoir une brosse à dent puis enfile mon t-shirt de la veille et un short noir moulant que j'avais mis en-dessous de mon costume. Hors de question que je remette mon pantalon sale et tous les accessoires qui vont avec.

J'essaye de dépoussiérer un peu mon t-shirt que j'avais un peu teint pour le rôle mais rien n'y fait. On dirait vraiment qu'il est tâché de boue et le débardeur je n'en parle même pas. Je sors et tombe directement sur Nate qui enlève son tablier de cuisine. Il passe rapidement sur ma tenue puis part pour revenir avec un t-shirt propre.

- Mets ça, il me dit en souriant. On sort aujourd'hui.

- Hein ?

- C'est mon jour de repos, et Roméo m'a dit que ta séance de rééducation est plus tard dans la journée. On a le temps d'aller se balader.

Je fronce les sourcils et il me chasse avec les mains pour que j'aille enfiler le haut. Je m'exécute et quand je reviens à peine le temps d'ouvrir la bouche qu'il m'offre un clin d'œil et s'enferme dans la salle de bain. Je décide de faire le lit puis d'aller sur le canapé vert histoire de m'occuper le temps qu'il sorte. Je n'ai pas vraiment d'affaires donc ça ne me préoccupe pas plus que ça.

Quand Nate revient, il a les cheveux humides coiffés en arrière et sa peau bien rasée contrairement à hier. Il est encore habillé tout en noir, rien de nouveau sous le soleil mais il a quand même opté pour un haut à manches longues qui cachent ses tatouages. On est en novembre, il était temps qu'il pense à se couvrir mieux que ça.

- Bon, on y va ? demande-t-il en attrapant ses clés de voitures. Si on veut faire ce que j'ai prévu, faut se bouger.

- On va où alors ?

- Mets tes chaussures, c'est une surprise.

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