Chapitre 31

Toutes des Wonder Woman

Violet

- Non, je veux me débrouiller seule, je coupe Eden alors qu'elle sortait de la voiture pour m'aider.

Elle reste interdite deux secondes avant d'hocher la tête et de croiser les bras sur sa poitrine. J'ai mal partout à cause de ma séance de rééducation qui avait lieu juste après ma séance chez le psy, mais je veux réussir seule. C'est en me mettant des petits objectifs quotidiennement que je tiens aussi bien moralement et physiquement. Je dois me reprendre en main et apprendre à me débrouiller seule.

J'arrive à me lever sans difficultés en prenant bien mon temps pour trouver un équilibre, ce qui sera un peu plus simple quand j'aurais une prothèse, puis essaye de plier le siège. J'avoue que je le plie vite mais pour le mettre dans le coffre, c'est autre chose. Avec la fatigue et ma force physique diminuée, je sue à grosses gouttes. Eden fait un pas en avant pour m'aider mais je lui lance un regard noir. Elle semble comprendre en râlant un peu, mais me laisse faire.

Je parviens à mettre tout dans le coffre puis le ferme, et la partie facile arrive. À cloche pied, je saute jusqu'au siège passager puis m'effondre dedans sans retenir le gémissement de plaisir en sentant le moelleux dans mon dos. Ça m'a totalement achevée mais je suis fière de moi : plus je ferai ce genre de chose, plus je serai indépendante.

- Bravo, me dit Eden en entrant dans la voiture. Tu dois être fatiguée mais tu as raison. Excuse-moi si je te materne trop de temps en temps.

Je lui souris en riant un peu.

- Pas du tout Eden, merci pour tout ce que tu fais pour moi au quotidien mais c'est juste que je veux me débrouiller seule. Au maximum en tout cas.

- Mais avec ta radiothérapie et tout le reste... Ne me fais pas croire que ça va. Tu es épuisée... N'en demande pas trop à ton corps s'il-te-plaît.

- Mouais.

Je ne le ferai pas. J'ai toujours été très exigeante avec lui depuis toujours que se soit en danse ou non. Je ne vois pas pourquoi ça changerait. En plus, je sens que j'ai perdu énormément de mes capacités et ça me déplaît. Non, pire, je me déteste. Je déteste sentir mes jambes toutes maigres depuis que je ne danse plus, je déteste sentir mon ventre flasque et mes poumons vite essoufflés. Je déteste voir mon corps changer autant. C'est une des choses qui me fait peur, en plus du reste.

- Au fait... commencé-je l'air de rien alors qu'on quitte le parking, j'ai un truc à t'offrir tout à l'heure comme je n'ai pas eu le temps hier avec tout ce monde... bref. Et je sais que ce n'est pas un jour facile pour toi alors... si tu as besoin de parler je suis là.

- Merci Violet. Ça compte pour moi.

Je peux voir d'ici que sa gorge se serre et qu'elle pique du nez mais c'est compréhensible. Chaque année c'est compliqué de se rappeler la mort de son ex-copain. Dans d'autres circonstances, elle le vivrait mieux, mais c'était l'homme de sa vie je pense. Une fois, elle m'a confié qu'elle ne comprenait pas pourquoi elle avait survécu. Non pas qu'elle aurait préféré mourir à la place des autres, mais elle aurait préféré mourir avec eux. Elle n'a pas tort... Après ce petit passage difficile, elle m'a quand même dit que son tour du monde et tout son entourage l'a aidé à aller mieux. C'est toujours difficile mais elle est contente de ce qu'elle a accompli. Et moi, je suis fière d'elle aussi.

- Et puis... elle continue, un peu hésitante, Jesse m'a proposé de m'emmener au cimetière tout à l'heure.

Je n'ai pas vraiment eu l'occasion de lui parler hier, mais il avait l'air assez sympathique, tout à fait le genre d'homme que j'imagine pour ma tante.

- C'est super, enfin je veux dire, qu'il te soutienne comme ça.

- C'était le seul au premier plan quand Gareth est décédé. J'avais besoin de partir alors je n'ai pas vraiment eu l'occasion de voir mes proches. Il a été le premier à me croiser dans ma quête de réconciliation avec moi-même. Il m'a vu au plus mal...

- Mais tu savais pourquoi lui faisait un tour du monde ?

Eden sourit doucement en regardant la route, serrant le volant un peu plus fort entre ses doigts manucurés en arc-en-ciel.

- En fait, il venait de perdre sa mère. Il n'a jamais connu son père et il est fils unique. Il a toujours rêvé de voyager mais parfois, tu ne peux pas faire tout ce que tu souhaites. Alors quand son dernier point d'attache est parti, lui aussi. Il a tout vendu et on s'est rencontré. Je pense que c'est pour ça qu'on s'est entendu si bien, on se comprenait. Mais tu te doutes que jamais de la vie j'avais envie de sortir avec quelqu'un. Gareth était encore là. Il l'est toujours, mais j'ai mis quinze ans avant de comprendre qu'il voudrait que je refasse ma vie avec quelqu'un d'autre.

Elle se tait pour renifler. Elle ne m'a jamais caché tout ça même si elle n'en parle que rarement en se cachant derrière sa bonne humeur permanente. Seulement je n'avais jamais entendu parler de Jesse avant cette année. Peut-être qu'au fond d'elle, elle savait qu'il prendrait la place de Gareth un jour, sans le remplacer pour autant.

- Tu sais, reprend-t-elle en soupirant sèchement, je pense que mon destin est un peu merdique et que mes anges doivent être en sueur tout le temps.

- Comme les miens, je réponds en riant.

- Oui, j'avoue les tiens sont plus souvent sollicités. Mais ce que je veux dire c'est que malgré tout ça, on est encore en vie. J'ai vécu tout ce que je pouvais avant de me poser réellement, et maintenant je crois que le moment est venu. J'ai attendu des années avant d'être prête à ouvrir un nouveau livre, et Jesse m'a toujours attendu même quand on s'est éloigné. Mon destin est un peu merdique, je lui en veux autant que je m'en veux, mais en même temps, sans lui je n'aurai pas rencontré Jesse. Il est merveilleux, faudra que je prépare quelque chose pour qu'on soit tous les trois et que tu le rencontres mieux.

- Totalement d'accord ! J'ai quand même envie de savoir qui partage la vie de ma tante préférée.

Elle rit doucement avant de se garer dans l'allée de ma maison. Le temps est passé si vite... Mais bon, maman m'a dit qu'elle allait faire une tarte au chocolat pour mon retour, ça sera l'occasion de parler un peu autour d'un thé plutôt que de se voir en vitesse chaque jour.

- Attends Eden, je dois te donner ton cadeau.

Elle ouvre la bouche pour me réprimander sûrement, mais je lui mets un doigt sur la bouche avant qu'elle ne puisse parler. Je me tords pour chercher mon sac en toile sur les sièges à l'arrière, où le cadeau dépasse. Il est trop gros pour être transporté correctement mais je n'avais pas le choix.

- Tiens, je lui dis en lui donnant le paquet jaune, tout sourire.

Elle le saisit puis le retourne dans tous les sens pour essayer de deviner ce que c'est, mais avant qu'elle n'arrache le paquet, je préfère la prévenir.

- Ne pleure pas.

- Ok, je crois en mes capacités, je ne pleurerai pas.

Elle ment, et elle le sait. Eden arrache le papier et quand le cadeau rose apparaît, ses yeux s'embuent de larmes.

- Je ne crois pas en mes capacités, dit-elle en sanglotant.

Elle enlève tout le papier pour dévoiler un chapeau rose pétant. Son émotion est telle qu'elle n'arrive pas à s'arrêter de pleurer. Elle le regarde sous toutes les coutures, et j'espère ne pas m'être trompée.

Il y a quelques temps maintenant, elle m'a parlé d'un vieux chapeau rose qu'elle a perdu en déménageant dans l'ancienne maison de Gareth. Quand tout a été déballé, impossible de remettre la main dessus. J'ai trouvé un ressemblant en étant à Paris, bien avant que toute ma vie ne soit chamboulée, et je l'ai gardé pour son anniversaire. J'avais tellement peur qu'elle tombe dessus quand on a ramené toutes mes affaires de France ici ! Mais j'ai réussi à maintenir la surprise, et je n'en suis pas peu fière.

- Violet... c'est...

- Est-ce que c'est le même ? Enfin, ça y ressemble ?

Eden essuie son nez avant de poser le chapeau sur sa tête.

- Je m'en fous que ça ne soit pas exactement le même, ce qui compte c'est le geste. Ça représente beaucoup pour moi.

Elle s'avance malgré la ceinture qui entrave ses mouvements pour me prendre dans les bras. Je lui rends son câlin puis on détache chacune notre ceinture. Eden vient m'aider pour aller plus vite, puis elle me dépose devant chez moi, son chapeau sur la tête. Ses sanglots ont cessé mais je sens encore l'émotion forte qui règne autour de nous. Maman nous ouvre, son tablier de cuisine sur elle, puis elles discutent toutes les deux quelques minutes. Eden pose un dernier baiser sur mon front avant de retourner dans la voiture et de retourner au café. Les gens vont la prendre pour une folle avec ce truc rose sur le crâne, mais je sais qu'elle s'en fout.

- Comment c'était aujourd'hui ? Demande maman en poussant mon siège vers la cuisine.

Ça sent bon le chocolat dans la pièce et nos tasses d'eau bouillantes sont déjà prêtes sur l'îlot de la cuisine. Si la communication n'a pas été notre fort depuis l'annonce de mon cancer, j'ai l'impression que maman reprend peu à peu ses esprits. Je sais que ce n'est pas évident pour elle, et qu'elle regrette son comportement. Elle me l'a dit et depuis deux semaines, elle fait tout pour se rattraper. Je n'ai pas besoin de tout ça, mais je la laisse faire. Si ça peut l'aider à se sentir mieux...

En tout cas, je ne lui en veux pas. Chacun réagit différemment après tout.

- Ça a été, je lui réponds en me levant pour m'assoir sur un des tabourets en hauteur. Le rendez-vous avec le psychologue s'est bien passé et après la rééducation comme d'habitude. J'ai mal, je râle, mais j'avance. Petit à petit, certes, mais c'est déjà ça.

- Je suis fière de toi, Violet.

- Papa n'est pas là ?

- Non, il aide Roméo avec une histoire d'arche de ballons ou je ne sais pas quoi.

J'acquiesce et prends mon thé. Elle en a fait aux fruits rouges, mon préféré.

- Bon, dit-elle en prenant la tarte du frigo pour nous en couper une part, on a jamais eu le temps de parler de tout ça... sérieusement on va dire. On en a déjà parlé, du fait que je n'étais pas moi-même et... enfin tu sais tout, par rapport à Thomas, Gareth et tout ça. J'ai eu peur et je ne t'ai pas soutenue comme une mère aurait dû le faire. Je m'en veux beaucoup pour ça.

Je le sais. Elle me l'a dit au moins une centaine de fois depuis des jours. Mai j'avoue que ça fait du bien de retrouver sa mère en rôle de mère et sa tante en rôle de tante. Elle me manquait.

- Alors dis-moi tout, Violet. Je veux tout savoir du début à la fin.

- Comment ça ?

- Je vois que ça va mieux, donc indirectement je vais mieux aussi et... j'ai réussi à prendre du recul, à assimiler tout ça. Alors maintenant, je veux reprendre mon rôle et te soutenir. Raconte-moi tout, du début à Paris jusqu'à maintenant face à cette sublime tarte.

Je lui souris en mordant dans sa tarte qui est effectivement sublime. Elle prend une gorgée de thé en tirant la langue comme il est chaud, puis je lui partage ma vie. J'évite certains détails comme le fait que Charles soit ici ou ce qui s'est passé hier soir avec Nate, mais je lui parle du reste. De la présence d'Eden, de comment Roméo m'a blessé avec son attitude puérile. Je lui parle de mon parcours, jusqu'à la découverte de ma jambe. Je lui conte nos sorties avec Layla, le bonheur d'avoir une amie pour la première fois. Et ça me fait du bien. Je me libère de tout ça, profite de ce goûter pour rire avec elle, et tout dédramatiser, en espérant qu'elle comprenne et que de son côté, ça aille un peu mieux aussi.

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