Chapitre 3
Nous avons trouvé notre strip-teaseur tatoué d'1m80
Nate
Je pose le sac qui me sert de bagage à mes pieds, et inspire doucement pour calmer mon cœur qui commence à s'affoler dans ma poitrine. Je ne suis pas du genre à perdre mon sang froid, mais face à la porte qui mène à chez ma tante, j'appréhende toujours un peu la tempête que je vais me prendre dans la gueule.
Faites qu'elle soit dans un de ses bons jours...
Autour de moi, la grande façade des Hayes-Myers se dresse avec fierté, exposant à la vue de tous cette richesse que possède la famille. Si j'ai passé une grande partie de mon adolescence à dormir sur le canapé de cette maison, j'ai toujours une drôle d'impression en franchissant la barrière du jardin, comme si je n'étais pas à ma place et que l'énergie du lieu me le faisait comprendre. Pourtant les personnes qui y vivent m'ont toujours fait comprendre que c'est autant chez moi que chez eux, à n'importe quel moment de ma vie.
Je regarde un instant mon pantalon noir et mon t-shirt assorti, les lisse d'une main histoire qu'Harper ne m'engueule pas, puis trouve le courage de sonner. J'entends du monde se presser dans la maison, et vois même un petit corps courir de l'autre côté d'une des grandes baies vitrées. Sans que je ne puisse me retenir, un petit sourire se dessine sur mes lèvres.
Quand la porte s'ouvre, je ne vois pas du suite ma tante Harper mais plutôt un petit corps venir en courant pour me sauter dans les bras. J'arrive à la réceptionner de justesse, toujours surpris des traits qu'elle a hérité de sa mère. Quand on saute sur les gens pour les câliner sans raison, on ne peut pas se tromper sur les parents.
— Oncle Nate ! S'exclame Lola en me serrant fort.
Je la repose après l'avoir fait tourbillonner comme je peux, mais j'avoue qu'elle a bien grandi en un an. Du haut de ses dix-ans, la petite fille parait pourtant beaucoup plus jeune avec ses jolies taches de rousseurs et sa crinière rousse. Je ne suis même pas sûr qu'elle fasse un mètre trente.
— Comment ça va, championne ? demandé-je doucement quand elle replace sa petite robe à fleurs roses.
— Trop bien ! Gareth ne veut pas que je joue avec lui alors maman joue avec moi et mes poupées. Mais c'est nul parce qu'elle a envie de leur couper les cheveux et préfère que je lise une histoire alors que moi, bah j'aime pas ça. Oh et papa m'a acheté un poney pour qu'il aille avec mes poupées ! Il s'appelle Cookie et...
— Lola, la réprimande sa mère que je viens d'apercevoir au pas de la porte. Laisse Nate respirer, il a fait un long trajet pour venir de New-York jusqu'ici. Bonjour, Nate.
Harper arrive à son tour pour me serrer dans ses bras, et j'essaye de lui rendre son étreinte. Même si je l'ai vu il y a quelques mois quand elle m'a rendue visite, ça m'étonne toujours de la voir en compagnie de sa petite troupe. Qui aurait cru qu'elle ferait une si bonne mère de famille ?
— Gareth ! Crie-t-elle vers la maison à l'intention de son fils. Nate est là, viens au moins dire bonjour et lâche ton fichu jeu vidéo.
— Ça s'appelle Fortnite ! J'entends crier dans la maison.
Harper affiche une moue boudeuse qui accentue les quelques rides qu'elle a accumulée au fil des ans. Quant aux cernes foncés qu'elle porte sous les yeux, je pense savoir pourquoi elle les a...
— Lola ! Reviens ici ! Ces enfants vont me tuer, je te jure ! Râle-elle de nouveau. Je suis désolée, tu as fait un long voyage et je n'arrive même pas à t'accueillir normalement.
Elle profite de ce moment de répit pour attacher ses cheveux roux en un gros chignon, tout en s'étirant les muscles du dos. Sa tenue qui met en évidence son corps fin m'indique clairement que je l'ai interrompue dans une séance de yoga. Tant pis.
— Viens, rentre, m'indique-t-elle en commençant à rentrer. J'ai fait des cookies pour toi tout à l'heure. Je ne savais pas quand tu arriverais alors voilà.
J'acquiesce et la suis avec mon sac à la main tout en jetant un dernier coup d'œil sur Lola pourchassant un papillon qui n'a rien demandé. Le pauvre virevolte dans le jardin en faisant des loopings pour éviter son agresseur qui rit fort de sa petite voix claire et aiguë.
Telle mère, telle fille, comme on dit...
***
Assis sur le grand canapé vert de leur gigantesque salon, j'entends Harper se presser dans la cuisine non loin de là. Comme si elle avait besoin de faire toutes ces conneries pour m'accueillir. Je dois retourner à l'appartement qu'Eden me loue de toute façon, donc je ne compte pas rester trois ans.
— Gareth ! J'entends encore crier depuis l'autre pièce.
— Rooh c'est bon t'es reloue ! Répond le fils qu'on entend de l'étage.
Des bruits se rapproche jusqu'à ce que le garçon déboule depuis l'escalier en courant, visiblement agacé par sa mère. Il arrive dans le salon sans porter de t-shirt avec seulement en guise de bas un vieux short des Warriors, une équipe de basket du coin. Il s'approche de moi en remettant ses cheveux bruns clairs d'un coup de tête, puis tend sa main pour que je la serre. Ses grands yeux verts me rappellent ceux de sa mère, c'est presque troublant. Comme sa sœur, il a des centaines de tâches de rousseurs sur le nez, beaucoup plus foncées que sa cadette.
— Des nouveaux tatouages ? Il demande simplement avec un air de bonhomme alors qu'il n'a que quatorze ans.
Je saisis sa main et la serre un peu, avant de tirer sur son bras pour l'attirer à moi. Le garçon est déséquilibré alors j'en profite pour l'attraper et mettre son dos sur mes genoux. J'attrape sa mâchoire entre mes doigts pour lui faire une bouche en cul de poule, et il se retrouve coincé à ma merci.
— On ne vient pas dire bonjour à son oncle ? Je demande en riant presque.
— Chu' m'ach pas réponchu, il réplique en essayant d'articuler malgré tout.
— Morveux va, je suis plus important que tes jeux à la con.
Je le relâche et il essaye de se redresser d'un coup de bassin, mais il semble ne pas avoir assez de force dans les abdominaux pour se réussir sa tentative. Il opte alors pour se laisser rouler sur le côté, et finir au sol pour mieux se relever.
— Mais qu'est-ce que vous faites encore ? Demande Harper en arrivant avec un plateau de gouté.
— J'apprends à ton fils la politesse, répondis-je du tac au tac en lançant un regard noir au garçon.
Celui-ci s'écarte pour retrouver les escaliers, tout en volant un biscuit sur le plateau de sa mère au passage.
— Gareth ! On ne mange pas en haut !
Le jeune s'en fout royalement et grimpe les escaliers trois par trois jusqu'à ce qu'il disparaisse de ma vue. Harper soupire bruyamment en posant le plateau sur la table basse, puis s'installe en face de moi sur un siège.
— Tu n'étais pas aussi difficile que lui à cet âge là, elle déclare en me servant un soda dans un verre en forme de Minion. Courtney a eu de la chance de t'avoir.
J'hausse les épaules et saisis le verre qu'elle me tend en la remerciant. Le liquide pétillant coule dans ma gorge et je me rends compte que j'étais mort de soif après deux jours de routes. Greyson m'avait bien proposé de prendre l'avion pour revenir ici plus rapidement, mais je ne me voyais pas abandonner ma vieille voiture dans cette ville mouvementée où elle aurait eu un triste avenir. Je tiens un minimum à mon indépendance, aussi bien pour le véhicule que financièrement. L'argent n'est certes pas un problème pour leur famille, mais je ne suis pas du genre à accepter tout ce qu'ils proposent à leur entourage pour faire plaisir. Je m'entretiens seul, et je me contente de ce que je peux me permettre.
J'attrape un cookie sur la pile, un peu heureux de savoir qu'elle a retenu quels sont mes biscuits préférés. Je mords dedans et retiens un gémissement de plaisir quand le chocolat mélangé au croustillant de la pâte ravive mes papilles.
— J'espère que tu as mangé en deux jours, continue Harper en sirotant une tasse remplie de thé. Si Greyson était là, il te taperait sur les doigts. Tout comme ta mère.
Mais ils ne sont pas là, j'ai envie de lui répondre. Entre Greyson qui est en voyage d'affaires, laissant sa femme avec ses monstres d'enfants, et ma mère avec John je ne sais où en Amérique, j'ai le droit de me démerder seul. J'ai passé l'âge d'avoir mes parents sur le dos, surtout à presque trente ans.
— T'es pas très loquace, constate-elle en attrapant un cookie, ça fait deux mois que je ne t'ai pas vu, Nate. Parle-moi un peu au moins. Pourquoi tu es revenu ? Je croyais que tu te plaisais au club de New-York. Je sais que c'est un peu plus la débauche là-bas, mais la dernière fois que je t'ai vu...
La dernière fois qu'elle m'a vue, c'est surtout que je ne savais pas que John n'était pas mon père. C'est l'avantage quand on vient bosser dans un endroit où sa mère a fait ses débuts, on en apprend plus sur sa propre famille.
— C'était bien, je me force à répondre. J'ai juste envie de revenir. Voir mes potes et... j'en sais rien. Je suis un peu perdu en ce moment sur ce que je veux faire ou non. Je me suis dit que revenir ici me permettra d'y voir plus clair.
Harper me toise doucement comme elle a l'habitude de le faire pour deviner ce que je pense. Elle n'était pas au courant non plus que John n'était pas mon vrai père. Greyson le savait mais refuse d'en parler. Il s'acharne à vouloir que j'aie une conversation avec ma mère et celui que je pensais être mon géniteur alors qu'ils sont en plein voyage dans le pays. Mais je n'ai juste pas envie d'en parler. Au fond, je le savais depuis toujours, j'attendais juste qu'ils me l'avouent.
— Et tu as vu Roméo ? Essaye-t-elle de poursuivre. J'ai croisé Zack l'autre jour, mais pas de Roméo donc...
— Je viens juste d'arriver, je lui fais remarquer en riant doucement. Je suis directement venu te voir je te signale.
— Pas la peine d'être désagréable ! Elles t'ont toutes rendues aigries à New-York ou quoi ? J'ai eu vent de quelques aventures et soirées qui s'organisent là-bas, mais rien qui entrait dans le style bad-boy aigri de trente ans ! Ce n'est pas parce que tu es un adulte accomplit que je ne peux plus te botter le cul quand j'en ai envie. Je t'ai connu presque en couche-culotte mon vieux !
Elle pouffe toute seule, mais je ne réagis pas. C'est vrai que je me comporte un peu comme un con avec elle, parfois. Mais en fait, je ne m'en rends juste pas compte. Je suis lassé de tout et ça me tend beaucoup en ce moment, parce que je m'en rends compte. Je commence à comprendre que quelque chose ne me plait pas dans ma vie, mais je n'arrive pas à mettre de mots dessus.
— Désolé... Il se passe beaucoup de choses en ce moment et... je ne me voyais pas rester à New-York, j'explique en posant mon soda sur la table basse. Je voulais voir autre chose et je ne remercierais jamais assez Greyson de m'aider professionnellement et de me faire autant confiance. Mais le Milady's club de New-York... c'est chaud, peut-être trop pour moi. Y a des soirs où j'ai cru que j'allais perdre ma queue, putain !
Harper explose de rire en crachant presque la gorgée de thé qu'elle venait d'avaler.
— En même temps, on t'avait dit que c'était le plus trash, réplique-t-elle en essuyant le coin de sa bouche. Même moi qui en ait vu des vertes et des pas mûres, je n'y ai jamais mis les pieds. Enfin, j'ai fait pire dans ma carrière de strip-teaseuse, mais celui de New-York... Tu es jeune, c'était une expérience à faire.
— Ouais bah pour le coup, je n'ai jamais autant baisé qu'en un an. On m'a demandé des trucs dégueulasses en plus, hallucinant.
— T'as accepté ? Questionne-t-elle d'un ton rieur.
— T'es folle où quoi ? Je suis payé à donner du plaisir, pas à me faire chier dessus.
C'est la goutte de trop, Harper se met à pleurer de rire en imaginant la scène, et au même moment Lola arrive en nous offrant un gâteau de terre chacun qui ressemble drôlement... à de la merde. On dirait une réplique foireuse de Moi, Moche et Méchant où Edith ramène un gâteau de boue à la femme de l'orphelinat.
— Mais maman, pourquoi tu rigoles ? Fais attention, ça va faire comme la dernière fois et tu vas te faire pipi dessus.
— Lola ! Râle-t-elle entre deux rires. Il y a des choses que tu dois garder entre nous.
La petite hausse des épaules et vient s'installer sur mes genoux tout en prenant mon bras pour observer des tatouages. Ses petites mains tracent méticuleusement chaque contour d'encre noire de mon poignet jusqu'à mon coude, suivant le serpent entre toutes les fleurs qui entourent mon bras jusque l'entièreté de mon cou.
— Tu en as un nouveau ? Me demande la petite fille quand sa mère nous quitte pour aller sécher ses larmes et sûrement changer de bas.
Je souris doucement parce qu'à chaque fois que je les vois, les enfants d'Harper me le demandent forcément. Comme Gareth tout à l'heure.
Je lui fais un signe de main pour qu'elle comprenne qu'il faut qu'elle se rapproche. Je mets ma main contre son oreille, comme si j'allais lui dire un secret dont personne ne doit en découvrir la vérité. Je perçois carrément l'excitation de la petite, comme si c'était le scoop de l'année que j'allais lui révéler.
— Oui, j'en ai un nouveau, m'exclamé-je à voix basse.
— Dis-moi ! s'impatiente-t-elle en bougeant frénétiquement les jambes.
— Sur la fesse !
— Hannnn !
La petite se lève d'un bon de mes genoux, aussi rouge qu'une pivoine, une main devant sa bouche pour se retenir de rire.
— Tu en as un sur la fesse ? redemande-t-elle tout bas pour que sa mère n'entende pas.
— Oui, mais chut Lola, c'est un secret.
La petite hoche plein de fois la tête avant de partir en courant dans l'escalier tout en gloussant. Sa mère arrive au même moment, suivant de la tête la trajectoire de sa fille les sourcils relevés.
— Qu'est-ce qu'il vient de se passer, me demande-t-elle sans comprendre le comportement de Lola.
— Un secret entre nous deux, dis-je en souriant.
— Si tu lui as dit que l'appel du pipou est plus fort que tout, je t'étrangle Nate !
— Mais non, je vais attendre deux ans avant de perpétuer la tradition.
— Mais tradition de quoi ! Je regrette de t'avoir appris ça plus jeune...
— Je me venge, c'est tout.
Harper croise les bras sur sa poitrine comme une enfant boudeuse en s'asseyant sur le siège. Au même moment, mon téléphone vibre dans la poche de mon pantalon. Je m'empresse de le récupérer, car hormis Roméo, très peu de monde m'envoie des messages. Je lis rapidement le texto de mon meilleur pote pendant qu'Harper est concentrée sur un cookie.
« Yo mec, ça fait un bail ! Zack m'a dit que tu rentrais aujourd'hui, il a croisé Harper et tu sais comment elle est avec toi... Bref. Tu me dis quand t'es dispo pour qu'on se capte, je pense que tu reprends le taff que lundi donc c'est Nice. On se capte, bisous. »
« PS : Violet est rentrée de France il y a deux jours, ne soit pas étonné si tu la croises. »
Sans que je le veuille, je suis obligé de relire trois fois le message pour être sûr que je ne me suis pas trompé. Mais les mots commencent à s'embrouiller dans ma tête, et je ne suis même plus sûr de leurs sens.
Violet est de retour.
J'ai eu vent de sa fracture à la jambe il y a quatre mois, mais je ne savais pas qu'elle rentrait ici. Ou du moins, je n'ai pas envisagé cette possibilité. Après son départ sans se retourner il y a trois ans, je n'ai pas eu vraiment de nouvelles, hormis par l'intermédiaire de son frère ou d'Harper et Greyson qui sont proches avec ses parents. En vérité, je m'en foutais de ce qu'elle y fait là-bas. Tout ce que je sais, c'est qu'elle nous a abandonné pour sa propre fierté, sans penser à la peine qu'elle causerait autour d'elle.
— Nate ? Ça va ?
Je relève la tête de mon téléphone pour observer Harper qui semble inquiète. J'hoche la tête et me lève en rangeant l'engin dans ma poche arrière de jean, puis m'excuse en prétextant une urgence auprès de Roméo. Harper ne dit rien de plus, et moi non plus.
À force, elle sait pertinemment que je mens.
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