Chapitre 25
Dans Titanic, je demande l'iceberg
Violet
Je me tourne et retourne dans mon lit, ma jambe manquante comme un poids à chaque fois. Je sais qu'elle n'est plus là, mais dès que je bouge un peu j'ai l'impression de soulever l'Everest.
Plus que 4 jours après celui-ci et je suis libre de reprendre ma vie. Bon, évidemment, il y aura énormément de rendez-vous pour la rééducation et tout ça, mais je ne veux pas y penser pour le moment. La seule chose dont j'ai envie, c'est de rentrer chez moi pour manger autre chose que la bouffe dégueulasse de l'hôpital. Et encore, je crois que c'est meilleur que ce qu'on nous donnait au conservatoire...
Je me retourne encore une fois, mais aucune position n'est confortable. Ma jambe me fait un mal de chien aujourd'hui et le bruit permanent de l'hôpital m'empêche de dormir.
Rien ne va, et je commence à en avoir marre.
Je suis constamment entourée à faire semblant de dormir ou à me faire soigner pour un rien, mais dès que j'ai un peu de temps pour moi, je le gâche en m'ennuyant. Mon regard dévie vers mon téléphone posé sur ma table basse. Hier, Eden me l'a ramené en le trouvant dans un coin de l'arrière-boutique. L'écran est légèrement fissuré mais rien de très grave comme je l'utilise rarement. Elle l'a posé là, m'indiquant qu'elle s'est permise de le recharger pour moi, mais c'est tout. Je n'ai pas eu le courage de m'en emparer.
Pourquoi ? Je ne sais pas. Au fond, j'ai peut-être un peu peur de ce qui peut s'y trouver.
Je l'attrape du bout des doigts, et à mon grand soulagement l'écran ne s'allume pas à mon contact. Je parcours longuement chaque rebord, me rappelant chaque fleur rose que décore la coque. Lentement, je me redresse avec un peu de difficulté pour pouvoir m'assoir convenablement. À chaque fois que je plie ma jambe je m'attends à ce que l'autre suive, mais sans genoux, rien ne bouge.
Ne pleure pas, Violet.
Je reste appuyer sur le bouton de côté puis l'écran s'allume, m'indiquant que l'appareil se lance. Mon cœur sursaute en voyant ça tandis que le stress et l'excitation commencent à m'envelopper. Je ne sais pas pourquoi l'appréhende autant cette étape, comme si j'avais des centaines d'amis ! Non, hormis ma famille je n'ai personne à inquiéter. Je n'ai jamais eu de meilleurs amis, de groupe qui me donne envie d'aller travailler. La seule chose qui m'a toujours motivée, c'est la danse.
Comme à chaque fois que j'y pense, je me prends un nouveau coup de couteau dans le ventre.
L'écran s'allume enfin sur mon fond d'écran qui n'est qu'une sorte de groovy rétro orange et rose avec des petites fleurs. Je n'arrive pas à retenir un petit sourire qui naît sur mes lèvres en tapant le premier code puis le deuxième. Mon écran d'accueil apparaît en ramant un peu, puis toutes les notifications s'accumulent. Je ne les regarde pas réellement, sachant pertinemment que la moitié ne sert à rien. J'ouvre en premier mes messages mais heureusement, rien d'important ne s'y trouve. Hormis des messages qui datent d'avant mon accident, personne n'a essayé de me contacter là-dessus.
Dans mes appels par contre... Toute ma famille a essayé de m'appeler des dizaines de fois chacun, certains pas plus tard que ce matin. Peut-être qu'ils essayent de mettre la main sur mon portable ? Ou peut-être qu'ils pensent avoir plus de chance de me parler en m'appelant plutôt qu'en venant à l'hôpital quand je fais semblant de dormir. Qui sait ?
Ce qui m'étonne le plus par contre, c'est ma messagerie téléphonique pleine. De toute ma vie, on ne m'a jamais autant contacté ! Quitte à m'ennuyer, je mets sur haut parleur pour faire le tri et vider tout ça, effaçant automatiquement sans écouter quand il s'agit d'un membre de ma famille. Je les vois presque tous les jours, ou du moins je les entends, ce n'est pas pour me les coltiner quand je suis sur mon téléphone.
Le premier message qui m'interpelle est celui d'Henriette, la mère d'Harper. Je ne la connais pas très bien mais c'est une très gentille femme qui a vécu plus de choses difficiles que nous tous réunis. J'ai beaucoup d'admiration pour elle.
— Bonjour ma petite Violet. Désolé si ça grésille mais j'utilise le téléphone fixe de la maison de retraite. Bryan a failli le casser il y a quelques jours donc on en pâtit tous. Bref, comment vas-tu ma petite ? J'ai appris ce qu'il s'est passé et je suis désolée pour toi. Je ne vais pas t'embêter plus que ça, on s'en fout des paroles d'une vieille dame, pas vrai ? Rétablis-toi bien, ma belle. Rappelle-moi quand tu voudras discuter devant un bon thé.
Ses paroles me touchent autant que son geste. Je sais que c'est dans les conventions d'appeler quand quelque chose se passe dans la vie de quelqu'un, mais jamais je n'aurais pu penser qu'elle le ferait.
Je continue ma petite recherche mais c'est principalement maman qui m'appelle pour ne rien dire. La pauvre semble tellement inquiète, elle m'appelle entre chaque service au restaurant... Quand ce n'est pas elle, c'est papa qui ne parle pas beaucoup mais qui reste quand même à boucher ma messagerie. Je les aime mais ils en font beaucoup trop...
Oh, un autre nom m'interpelle quand la voix robotique me l'annonce. Les Howard, les parents de Nate. Ils sont en voyage dans tout le pays de ce que je sais, mais je n'ai pas noté auquel des deux appartient ce numéro.
— Coucou ma belle Violet. C'est Courtney et John est à côté de moi.
— Salut Violet !
— On a su tout ce qu'il se passe dans ta vie en ce moment, on regrette de ne pas être là mais tu es forte, on sait que tu tiendras avec ou sans notre aide. Et puis, on a Nate qui est près de toi, il m'a un peu raconté de son point de vue les choses. Ne t'en fais pas, on ne connaît pas toute ta vie privée. Bref, je voulais faire court mais je suis une vraie pipelette ! On pense fort à toi petit rat, tu as toute notre force.
— Gros poutou petit rat !
Ça fait un peu mal de les entendre me surnommer comme ça... Je ne suis plus du tout un petit rat de l'Opéra mais plutôt un gros ragondin de l'hôpital. La différence est flagrante.
Je m'empresse de laisser un message aux deux pour les remercier et les rassurer quant à ma situation. Je mens un peu en disant que tout va bien de mon côté, même une jambe en moins. Après tout, ils sont loin, ils l'ont dit eux-mêmes. Que je mente ou pas, le temps qu'ils rentrent, j'irai peut-être réellement bien.
Punaise, j'ai les larmes qui me montent aux yeux de nouveau. Je ne veux pas pleurer.
Ma messagerie s'arrête, m'indiquant que je n'ai plus aucun message. Une chose de faite. Maintenant, on passe aux réseaux sociaux. Je fais l'erreur d'ouvrir Tiktok où des vidéos de mes camarades apparaissent directement sur mon écran. Je retourne en vitesse sur ma page d'accueil, une goutte de sueur sur le front, et regarde la seule vidéo que j'ai postée avant de me faire renverser. Je ne suis jamais sur les réseaux sociaux, mais cette vidéo était très belle alors j'ai décidé de la poster. On me voit m'entraîner seule sur le parquet, entourée de beaux miroirs propres. Pas de paroles, pas de description, juste moi et la musique d'Amélie Poulain qui résonne en fond. La chorégraphie n'est pas très intéressante, pas très poussée, mais chaque pas est très bien exécuté.
Malgré ma poitrine qui me fait mal, je ne peux pas m'empêcher de sourire en me revoyant comme ça. Mon chignon blond, ma tunique noire, mes pointes beiges qui sont la continuité de ma jambe et ma concentration sans faille.
Cent milles likes.
J'ai un petit mouvement de recul en me rendant compte de ce chiffre hallucinant, et en effet, j'ai presque fait un million de vue avec cette simple répétition insignifiante. Dans les commentaires, des centaines de personnes me complimentent ou me font remarquer des erreurs futiles. Tant d'amour et de haine que je ferme rapidement l'application et décide de la désinstaller dans la foulée.
J'aurais dû la supprimer. Mais en même temps, ça reste la dernière trace sur Terre de ma danse.
Je soupire longuement, le cœur lourd. Des dizaines d'émotions se bousculent dans ma tête mais je décide de les chasser. Je ne veux pas pleurer pour ça.
J'ouvre Instagram cette fois, sachant pertinemment que je risque d'avoir plus de messages indésirables. Mes parents n'utilisent pas cette application pour me joindre, les plus jeunes, si. Je décide de ne rien ouvrir mais me contente de voir les différents noms qui s'affichent. Harper m'envoie un stickers, sûrement un de ces GIF ridicules dont elle raffole. Roméo m'envoie un post, sûrement une chose drôle pour me remonter le moral — ou le sien plutôt. Layla m'a envoyé un message que je n'ai pas envie de lire de suite, mais il commence par un salut et environ cinq ou six cœurs rouges de suite. J'ai hâte de la retrouver en fait...
Mais en continuant à regarder chaque conversation, une m'interpelle en particulier.
Merde.
Une dizaine de messages en attente de Charles, le danseur que je devais voir le soir de mon accident. J'ai totalement oublié notre rendez-vous. Le pauvre, il ne doit pas comprendre pourquoi je lui ai posé un lapin.
Je clique pour ouvrir la conversation, une boule dans la gorge.
« Charles : Coucou, toujours 19 heures c'est ça ? »
« Charles : je suis devant le café, tu travailles toujours ? »
« Charles : le café est fermé... c'est bien le Anita's Coffee shop ? J'espère que je ne suis pas assez nul pour m'être trompé quand même »
« Charles : Violet ? Je commence à trouver ça bizarre... Si tu ne veux pas qu'on se voit aucun souci mais réponds-moi s'il-te-plait. »
« Charles : Bon, ça fait une heure que j'attends je vais rentrer si tu n'y vois pas d'inconvénient. Pas de rancune, si tu ne me réponds pas c'est que tu as une bonne raison, je te fais confiance. »
« Charles : Tu sais qu'au dernier adage, Lili-Rose s'est cassée la figure devant tout le monde ? La pauvre, elle a été la tête de turc pendant une longue semaine... »
« Charles : je ne sais plus quoi te dire Violet. J'ai fait quelque chose de mal ? Je sais que je t'ai déjà volé ta place à la barre, mais ce n'était pas fait exprès je te le promets. Il y a une sorte de lancée de lanternes ce soir, tu veux qu'on y aille ? J'en ai entendu que du bien. »
« Charles : Ça fait une semaine que tu ne réponds pas, je commence à m'inquiéter. Tu t'es fait mal ? On t'a kidnappé ? Zut, si c'était le cas, logique que tu ne me répondes pas. »
« Charles : je te fais peur, c'est ça ? Merde, pourquoi j'insiste comme ça ? Ne pense pas que je fais parti de ces gros lourds qui ne comprennent pas que quand une femme dit non, c'est non. Je ne suis pas comme ça, c'est juste que tu ne m'as pas répondu du tout alors... Bon, bref. »
« Charles : Et si je me mets à chanter du Taylor Swift, j'ai une chance de te voir apparaître ? »
« Charles : Tu as gagné, j'abandonne. Envoie un message quand tu seras prête, sans rancune. »
Une larme coule le long de ma joue mais je l'essuie rapidement. Je me sens minable. Je lui ai posé un lapin pour une bonne raison, mais je m'en veux encore plus de ne pas avoir pensé à lui une seule seconde. Quel genre de personne je suis ? On s'entendait bien et je n'ai même pas eu une seule pensée pour lui !
Nate avait peut-être raison. Je suis quelqu'un d'égoïste.
Une autre larme coule sur ma joue et c'est un torrent qui suit celle-ci comme si elle avait montré l'exemple. J'éteins mon téléphone pour ne pas être dérangée, puis le pose entre deux sanglots. Je me rallonge, serre ma couverture contre mon cœur, mouillant mon coussin de larmes chaudes.
Je suis égoïste.
Égoïste.
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