Chapitre 21

Tortille-toi comme un asticot.

Nate

J'écrase ma dernière clope contre le muret puis la jette rapidement. Le taff n'attend pas. Je salue d'un mouvement de tête le videur qui ne me regarde même pas puis retourne dans le Milady d'où une petite musique enivrante s'échappe. Dans le couloir, des dizaines de personnes discutent entre elles en buvant un verre ou en se remettant du rouge à lèvre avant de retourner à l'assaut des stripteaseurs qui font leur meilleur show sur scène. Certains me caressent le torse ou l'épaule quand je passe, intrigués par ma nudité et mes tatouages qui dansent sur ma peau. Je leur réponds d'un demi-sourire sans pour autant m'attarder, ma pause n'est pas complètement finie après tout.

Les tags disparaissent pour que je débouche sur la salle principale bondée en ce lundi soir. Si New-York est le vrai trou de la luxure, ici on dirait plus une boite de nuit avec avantages. Mais dans tous les cas, Greyson y gagne.

Je me fraie un passage entre les tables et les corps qui se pressent autour des scènes puis j'arrive au couloir qui mène à nos vestiaires. Je m'y engouffre et me laisse tomber sur le premier banc à ma portée.

Je n'arrive pas à bosser aujourd'hui. Le souvenir d'hier, de Violet allongée dans ce lit d'hôpital, me hante depuis que je l'ai quittée. Si j'ai pu assimiler le fait qu'elle a un cancer, passer outre sa jambe amputée est plus difficile. Je n'imagine pas la douleur qu'elle a dû ressentir en se réveillant avec un bout d'elle-même disparut à jamais.

Le jour de l'opération, dans la nuit, les chirurgiens sont arrivés dans la salle d'attente pour parler aux Davis. Pendant leur longue absence, Eden nous a rejoint, totalement affolée, alors Zack lui a expliqué toute la situation. J'étais incapable de l'aider car moi-même, on m'en a caché des choses. Roméo est resté muet, comme s'il était dans un monde parallèle du Spiderverse, et il n'a même pas répondu quand on lui a proposé quelque chose à grignoter.

Miranda et Michael nous ont rejoint dans un silence de mort, la tristesse déformant leur visage. Personne n'aurait pu prévoir ce qu'il allait se passer. Il fallait prendre une décision, peu importe la gravité et je ne peux pas les juger pour ça. Personne ne le peut.

Roméo a pleuré dans les bras de Zack. Miranda s'est effondrée de chagrin et Eden m'a prise dans ses bras pour ne pas craquer. Elle sait mieux que quiconque ce que ça fait d'être dans cette salle d'attente.

Nous nous sommes relayés toute la nuit puis tous les jours qui ont suivi avant son réveil. C'était Zack qui était là quand Violet a ouvert les yeux alors il nous a tous appelé pour qu'on le rejoigne.

- Nate ?

Je tourne la tête à gauche pour voir Harper et sa longue chevelure de feu dans l'encadrement de la porte. Hésitante, elle tient la bordure entre ses doigts fins et me sourit doucement.

- Qu'est-ce que tu fais là ? demandé-je, surpris.

- Je te rappelle que je travaille toujours ici, différemment mais quand même.

Elle lâche le mur pour venir me rejoindre sur le banc en bois. Elle porte une jolie chemise blanche un peu bouffante qui fait ressortir sa peau tâchée de grains de beauté avec un pantalon noir plutôt sobre. On dirait carrément une femme d'affaire dans cet accoutrement.

- Comment ça va depuis la semaine dernière ?

Elle est au courant, ça s'entend dans sa voix. En même temps, elle et Eden sont tellement collées que ça ne m'étonne pas trop. Et puis, même Eden a besoin de soutien dans cette situation, elle a tellement été présente pour Violet qu'elle doit être un peu retournée.

- Ça va, dis-je simplement en réfléchissant. Enfin j'en sais rien. C'est pas évident comme situation et je me sens un peu coupable.

- Coupable ?

- Ouais, on n'est pas en très bons termes depuis quelques temps avec Violet et peut-être que si j'avais su pour son cancer...

- Tu n'y es pour rien Nate.

Harper pose sa main sur mon épaule puis me la serre avec douceur.

- Tu sais, la maladie, ça te tombe dessus comme une merde. Tu assimiles, tu digères, mais une fois que tu comprends totalement ce que ça veut dire, tu as peur de mourir. Tu as peur de mourir parce que tu sais que ça va être le cas. Je connais Violet depuis qu'elle est née tout comme toi, elle a toujours dansé. Imagine-toi, tu danses depuis toujours au point que tu peux en faire ton métier. Bam, premier coup au moral, tu te fractures la jambe. Bam, on t'apprend que c'est un cancer donc tu n'es pas sûr de pouvoir danser de nouveau. Bam, dernier coup, tu tombes, tu te fractures encore mais cette fois c'est adios la jambe. Tu ne pourras plus jamais danser. Est-ce que tu aurais eu envie que tout le monde soit au courant ?

- Peut-être pas, par fierté.

- Par fierté et puis, est-ce que tu ne te serais pas dit que moins les gens sont au courant, plus la situation n'existe pas ?

- Je ne sais pas. C'est un fait, c'est là, dans moi, mais peut-être que oui.

- Eh bien voilà. C'est exactement ça. C'est là, dans toi, tu n'y peux rien, personne n'y peut rien. Tu n'aurais rien pu faire pour son cancer parce qu'il était là, et tu n'aurais rien pu faire pour savoir parce que même sa propre famille a été au courant très tard.

Je vois où elle veut en venir. Je m'en veux d'être en conflit avec Violet parce que mon cerveau a assimilé le mot cancer à mort. Donc indirectement, je me dis que si elle meurt demain, je m'en voudrais toute ma vie. Mais est-ce que ça aurait changer quelque chose dans le cas inverse ? Est-ce qu'elle m'aurait tenue au courant et si oui, qu'est-ce que ça aurait changé ? Dans tous les cas, elle est malade. Même avec toute la volonté du monde, je ne pourrais rien y changer.

- Depuis quand tu es devenue si sage ? demandé-je à Harper en riant.

- Hummm, laisse-moi réfléchir... depuis que j'ai failli mourir peut-être ? Ah non, formalité ça. Depuis que je suis née en fait.

Elle éclate de rire et moi aussi. L'avantage avec elle, c'est qu'on peut rire de tout. Elle ne s'est jamais cachée d'avoir eu une enfance difficile et d'avoir dû devenir une adulte bien trop tôt. Si à 40 ans elle peut paraître enfantine de temps à autre, je pense que c'est juste une façon pour elle de rattraper un bout manquant de sa vie.

- Je me suis excusé, hier, je lui explique en reprenant mon sérieux. Elle dormait et je me suis excusé de tout ça. Au fond, ce n'est pas vraiment sa faute et je commence à voir tout ça d'un œil neuf.

- Par rapport à ce qu'il c'était passé avant de partir à l'Opéra ?

J'hoche la tête et ma poitrine se serre. Je déteste les mauvais souvenirs.

- Enfin, depuis qu'elle est à l'hôpital, je réfléchis beaucoup. J'ai l'impression qu'elle a grandit à cause de tout ça même si elle reste plutôt froide en général. On a déjà fait la paix mais... je ne sais pas. Il y a quelque chose qui me dérange encore. Je ne sais pas comment faire pour être présent pour elle tout en gardant mes distances.

- Pourquoi tu voudrais garder tes distances ?

Je me tais. Elle n'a pas tort et elle le sait. Cette conversation est sa préférée depuis des années.

- C'est compliqué, Harper. Tu le sais mieux que quiconque.

- Si c'est une question de différence d'âge, c'est rien ça. Regarde-moi et Grey, ce vieillard de 54 ans samedi prochain ! Et tout roule.

- Tu sais très bien que ce n'est plus ça le problème...

- Tu en as toujours pincé pour elle Nate.

Aie. Je n'aime pas quand Harper passe en mode entremetteuse. Ça faisait un an qu'elle n'avait pas remis ce sujet sur le tapis depuis que j'habitais à New-York, mais maintenant que tout change autour de moi, elle revient à l'assaut. Et elle n'en a pas fini, je le sais.

- Je ne veux pas parler de ça Harper, c'était une gamine.

- Mais ce n'est plus une gamine maintenant. Et elle a même pris vingt ans dans la gueule quand elle a su pour sa maladie.

Je me lève d'un coup, mettant fin à la conversation.

- Ma pause est finie, dis-je tout bas en me dirigeant vers la porte.

- Tu ne pourras pas fuir toute ta vie Nate. Aussi bien pour Violet que pour tes parents ou pour le reste. Ça ne marchera pas toute une vie.

- Ne t'en fais pas pour moi, merci Harper.

Je ne la laisse pas répondre et me précipite dans le couloir pour rejoindre la salle étouffante où mes collègues se donnent corps et âmes. Lentement, j'avance vers les scènes pour me faire remarquer des clients et bien faire comprendre que je suis de retour en piste. Je parcours mon torse de mes mains, bougeant pour faire briller les paillettes qui le recouvre, puis un collègue me laisse une scène pour moi seul. Je monte sur l'estrade surplombant le public puis je commence à me tortiller sensuellement en prenant le rythme de la musique. Je dis tortiller car je ne pense pas que danser soit le verbe approprié.

Certains me sifflent alors je décide de m'attaquer à la barre de pole dance. Je laisse mes doigts courir sur le froid de la barre jusqu'à ce que j'aie assez confiance pour m'élancer dans les airs et enchaîner des figures plus physiques les unes que les autres.

J'entends qu'on m'applaudit, me siffle et m'acclame, mais je ne souris pas pour autant. À chaque fois que j'entame ce numéro, je suis persuadé d'avoir mon quota de clients pour la fin de soirée. La tête en bas, tournant doucement autour de la barre, j'envoie quelques baisers et ne manque pas d'en envoyer un énorme quand je remarque la tignasse rousse de ma tante qui m'observe les bras croisés sur sa poitrine. Elle lève les yeux au ciel puis se détourne pour rejoindre son mari qui pianote sur son ordinateur derrière un comptoir de bar.

Je rejoins la terre ferme puis salue mon public avant de céder ma place à une collègue presque entièrement nue. À peine descendu, deux femmes me sautent dessus pour caresser chaque tatouage de mon cou à mon boxer, me faisant clairement comprendre le fond de leurs pensées.

Quand faut y aller.

J'attrape la première par les cheveux pour poser mes lèvres sur les siennes avec brutalité tandis que l'autre pose des baisers dans mon cou.

Il est temps.

Je prends une main à chacune pour les entraîner vers les chambres où elles me paieront grassement pour ce qui s'apprête à arriver. La blonde court presque vers une porte de chambre ouvert tandis que la brune n'arrête pas de me caresser.

Je soupire assez discrètement pour ne pas qu'elle m'entende, puis m'engouffre dans la chambre de tous les désirs.

Quand faut y aller...

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